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« Dekeubi Da Fa Macky »

“Dekeubi Da Fa Macky” ou l’argent ne circule pas. C’est la nouvelle expression qui fait florès sous nos cieux. On s’en gargarise. On en rigole. On en fait une arme de déstabilisation. Seulement, au-delà de la volonté manifeste et certainement légitime de pourfendre le régime en place, il convient pourtant de s’arrêter un instant pour s’interroger sur le discours que véhicule une telle expression et sur la logique qu’elle charrie.

Hormis son aspect drolatique, Dekeubi Da Fa Macky est en réalité une expression problématique du fait de sa forte charge corruptogène. Dans quel pays a-t-on vu de l’argent circuler comme s’il tombait du ciel, propulsé sur le devant de la scène comme par enchantement, par la volonté d’on ne sait quelle “main invisible” pour ne point dire quel mystérieux “louxouskat” (prestidigitateur).

C’est vrai qu’il y a quelque chose d’étrange voire de grotesque qui consiste à laisser croire que le pays sort d’une période où l’argent circulait à gogo.

Ce qui se passe, en ce moment, dans le cadre de la traque des biens mal acquis, apporte des éléments de réponse. Avant-hier, mardi 27 août 2013, s’inscrivant dans le sillage d’autres présumés délinquants à col blanc qui l’ont précédé, un ancien directeur du cadastre soupçonné de s’être enrichi de près de 8 milliards a transigé autour de 3,6 milliards FCFA, pour continuer à humer l’air de la liberté. Aussi étrange que cela puisse paraître, ces prétendus milliardaires sont souvent de simples salariés de la fonction publique ayant choisi de mettre leurs différentes positions de responsabilités au service exclusif de leurs intérêts personnels. Dévoyant leurs prérogatives, ils se sont plutôt inscrits dans une logique de captation, de privatisation et de patrimonialisation de l’Etat pour leur propre compte. Leur prétendue richesse se décline au regard de la proximité entretenue avec le pouvoir en place.

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Cela est d’autant plus frappant que, assailli par des griots, Pape Samba Mboup, l’ancien chef de cabinet de l’ancien président de la République Me Abdoulaye Wade, n’a pas pu s’empêcher de leur rétorquer : « dimnalé len ma, li xewoon, xewotoul » (Excusez moi. Ce qui avait cours ne l’est plus »  (in Le quotidien l’AS n° 2166). Une autre manière façon de dire “Dekeu bi Da Fa Macky”

En un mot, les temps ont changé. Avec la perte du pouvoir, la générosité qui consistait à distribuer de l’argent à tout va, au moindre propos louangeur, n’est désormais plus de mise. Une attitude qui renseigne absolument sur la mentalité des élites au pouvoir et plus particulièrement celles qui ont sévi de 2000 à 2012 dans le cadre de la présidence wadienne. L’argent du contribuable pouvait être dépensé à tout bout de champ selon les lubies du moment.

(Sans traçabilité aucune, il était distribué comme des cacahuètes, comme si ce pactole ne provenait pas du fruit des impôts et des taxes perçus des contribuables et autres travailleurs et devait par conséquent servir à l’amélioration des conditions de vie de populations dépourvues de tout, sans eau courante, sans électricité et vivant dans des conditions de précarité absolue .

C’est dire que cette époque était d’une arrogance impitoyable du fait d’une prédation s’exerçant dans une opacité et une insoutenable violence symbolique orchestrées par des dirigeants beaucoup plus soucieux de s’en mettre plein les poches et d’assurer leurs arrières que de trouver des solutions aux innombrables problèmes de survie qui assaillent les populations les plus vulnérables, notamment les jeunes, les femmes et les personnes âgées.

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Alors quid de Dekeu bi Da Fa Macky ? On le voudrait bien à condition que cela soit compris comme une rupture radicale avec l’ordre ancien. Aussi, au lieu de rassurer ses compatriotes en leur disant que le Sénégal est redevenu liquide, le chef de l’Etat serait plus inspiré de revendiquer un changement de paradigme. De rompre avec toutes ces cérémonies placées sous le parrainage de la Première Dame et diverses autres personnalités où l’on voit circuler beaucoup de liasses de billets.

Il urge de tourner le dos à toutes ces pratiques d’autant que, instruits par leurs propres expériences, les Sénégalais ont été témoins de la dimension corruptrice du pouvoir et de sa capacité à sécréter de l’arrogance et du mépris. Parce que le système de prédation qui a sévi depuis les indépendances a ruiné les campagnes et contraint les populations à s’exiler, au point qu’aujourd’hui, “si vous mettez un bateau dans n’importe quel port africain et proclamez que vous cherchez des esclaves pour l’Europe, le bateau va se remplir immédiatement ” (Pr Ibrahima Thioub in Le Monde du 31.05.10) , il est attendu du chef de l’Etat de la seconde alternance politique, non pas une gouvernance où les ministres et autres hauts fonctionnaires de l’Etat rivalisent à coups de “sape” ostentatoire mais à coups de solutions apportées aux problèmes impérieux qui taraudent leurs compatriotes. Trouver du travail, se soigner, se loger, manger à sa faim, aller à l’école, etc.

D’où l’urgence d’inverser les choses en imprimant un autre rapport à l’argent, une autre perception de la richesse comme produit généré par le travail. Ce serait tout à fait salutaire. Rien, pour le moment, ne permet d’entrevoir cette rupture attendue, dont l’importance refondatrice n’est plus à démontrer parce que, c’est  le seul Dekeubi da fa maki qui vaille.

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Vieux Savane

SudQuotidien

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