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Le Reboisement De La Mangrove : Une écologie Vraiment Rizericide?

J’ai lu avec intérêt la contribution de mon frère, Mr Pape Bertrand Basséne, publié dans le journal Le Quotidien du 14 septembre 2013 et qui est intitulé «Mangrove contre rizière en Casamance : A propos d’une écologie «rizièricide». Mr Basséne s’en prend ouvertement à cette colossale opération de reboisement conduite en Casamance par le ministre Ali Haïdar et son organisme, l’Océanium. Les propos avancés çà et là par Mr Basséne pour justifier une attaque aussi gratuite que celle à laquelle il s’est livré dans les colonnes de ce journal me paraissent tellement dénués de fondement que je ne peux m’empêcher, malgré le respect et la fraternité qui me lient à lui, de réagir à mon tour au contenu de sa réaction.

D’abord, précisons que reboiser c’est replanter des arbres sur un terrain déboisé. En Casamance comme partout dans les zones côtières et insulaires, le déboisement des mangroves n’est pas tombé du ciel comme par enchantement. Il est le fruit de l’intervention humaine et de phénomènes naturels comme les ouragans, l’érosion côtière, l’élévation du niveau des mers, la salinité, les émissions de gaz toxiques dus aux activités industrielles et aux transports, la recherche de bois de chauffe et de matériaux de construction, la conquête de nouvelles rizières dans les zones inondées, etc. Partout dans le monde où ce phénomène s’est produit, il n’y a pas d’autre moyen pour le contrer que de commencer, avant tout, par la réimplantation des palétuviers sur les terres dénudées ou tannes afin d’inverser ses effets dévastateurs sur l’environnement. C’est dans ce sens que Mr Haïdar et Oceanium ont mis de l’avant, conformément aux recommandations des Accords de Kyoto et en collaboration avec les organismes nationaux et internationaux comme UICN, WAAME, PAGEMAS et OCEANIUM, un programme destiné à ralentir la dégradation de l’écosystème des mangroves en Casamance et partout au pays où celle-ci est en situation de stress avancé.

Longtemps attendues par les populations qui s’y impliquent aujourd’hui avec un enthousiasme hors du commun, la restauration de la mangrove et les effets bénéfiques qu’elle produit sur le terrain infirment l’idée longtemps en vogue selon laquelle la mangrove est un milieu hostile et inutile, et donc un milieu à détruire. Elles se fondent, au contraire, sur le fait que la mangrove a un intérêt certain tant au niveau socioéconomique (production de bois et de bois d’œuvre, abondance de sa faune – poissons, crustacés, crevettes, huîtres etc.) qu’écologique (son important rôle dans la séquestration du carbone atmosphérique, les chaînes trophiques côtières, la protection des côtes contre l’érosion marine et la sensibilité aux variations du niveau des mers, etc.). Une mangrove luxuriante favorise une richesse spécifique et le développement d’effectifs élevés de poissons et de crustacés. Elle joue aussi un rôle d’enrichissement trophique des milieux et, sous ce rapport, sert de zone de frayère, de nourricerie, d’habitat, de reproduction, de développement et de protection contre la prédation des poissons et autres crustacés vulnérables.

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C’est donc en toute connaissance de cause, et fort des données scientifiques accumulées, qu’Oceanium procède, depuis le début des années 1990, au reboisement des mangroves du Sénégal. En Casamance en particulier, 500.000 palétuviers ont été plantés en 2007 dans une dizaine de villages. Devant l’engouement général des riziculteurs diolas, 6.000.000 de propagules ont été plantés entre septembre et octobre 2008 et, de fin juillet à début novembre 2010, ce sont au total 62.000.000 de palétuviers qui ont été plantés dans les vallées de la zone sud. À l’échelle du pays, ce sont plus de 5.500 hectares qui ont été reboisés grâce à la mobilisation sans faille de plus de 110.000 personnes venant de 408 villages.

Au vu de ces données factuelles et des reportages de la presse sur le «miracle du reboisement», on est en droit de se demander en réalité pourquoi Mr Basséne s’attaque si gratuitement à Oceanium et, en particulier, à Mr Haïdar que le journal Le monde considère, en reconnaissance des tâches «nobles» qu’il entreprend au Sénégal pour préserver l’environnement, comme «l’un des cent écologistes les plus influents de la planète».

Mr Basséne prétend qu’il est contreproductif de planter des palétuviers «jusqu’aux abords des villages casamançais» car, selon lui, cela mettrait en péril l’environnement villageois, les connaissances écologiques des populations ainsi que les «cultures immatérielles» des sociétés qui évoluent dans ce milieu. Il prétend également que cela «désaffecte les jeunes casamançais à l’égard des activités traditionnelles comme la riziculture». Et dans une curieuse fausse typologie des civilisations sérère et diola que tout pourtant rapproche, il qualifie les premières de «civilisation du sel» parce que le sel serait leur matrice culturelle de base aussi loin que l’on remonte dans le temps tandis que les secondes – les Diolas – seraient une «civilisation du riz» parce que leurs techniques agricoles sophistiquées en auraient fait une des civilisations du riz les plus brillantes et les plus évoluées en Afrique noire.

Ce qu’ignore Mr Basséne c’est qu’en 1677, Chambonneau avait souligné la présence d’une «épaisse et haute mangrove» dans le delta du fleuve Sénégal. En 1916, Chaudreau atteste de la disparition des reliques de la végétation de mangrove sur le littoral mauritanien. En 1940, Trochain témoigne également de la disparition de la végétation de mangrove des cuvettes du N’diael, dans la vallée du Djoudj, près de St-Louis. Il découvre aussi des pneumatophores subfossiles qui confirment, tel que mentionnée par Chambonneau longtemps avant lui, l’existence d’une mangrove sur le fleuve Sénégal. D’autres études montrent que le delta du Saloum est la région la plus septentrionale en Afrique de l’ouest qui a été longtemps occupée par une «haute mangrove » aujourd’hui disparue. Le paysage de cette région était jadis formé de marigots, de forêts tropicales, de lagunes, de cordons sableux et de riches mangroves qui ont favorisé l’évolution d’une faune et d’une variété d’espèces d’oiseaux dont les rares encore existants vivent aujourd’hui protégés dans le parc national.

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Toutes ces mangroves qui ont prospéré sur le littoral ouest africain ont disparu, à l’exception de certaines localités comme à Somone, Joal-Fadiouth, dans l’estuaire du Saloum, en Gambie et le long du fleuve Casamance où les formations de mangrove sont largement dominées par l’espèce Rhizophora mangle aux racines échasses moins adaptée aux eaux à salinité élevée et l’espèce Avicennia africana aux racines pneumatophores qui évolue en zones plus salées.

En somme, on peut affirmer qu’aussi impossible que cela peut paraitre à vue d’œil, le littoral sénégalo-mauritanien était luxuriant et parsemé de palétuviers. La disparition de la mangrove dans cette zone aujourd’hui conquise par le sable ou le sel est tributaire du déficit pluviométrique, de la salinisation ainsi que de l’acidification des sols. À ces causes, s’ajoutent la dégradation et la perturbation des régimes hydriques responsables de la submersion et de la sédimentation, la coupe de bois, la pression foncière, la construction des routes et des barrages, l’érosion côtière, l’attaque des parasites, etc. Tous ces facteurs qui ont petit à petit détruit ce littoral, avancent à pas feutrés vers la Casamance où, au vue des images satellitaires disponibles dans tous les grands centres de recherche agricole, on note depuis 1975 une diminution marquée des superficies de mangrove.

L’autre problème de la sortie inappropriée de Mr Basséne est la posture narcissique qu’il nourrit derrière l’idée sempiternellement répétée d’une société diola aux techniques agricoles dotées d’une exceptionnelle efficacité. Cette idée que les historiens et géographes de l’après-guerre ont inventé de toute pièce pour caractériser, à juste titre, le haut niveau d’adaptation des Diolas à leur milieu naturel n’est plus vraie aujourd’hui, surtout si on prend en compte la dégradation du milieu naturel et la baisse continue de la productivité agricole en zone sud.

Durant les années d’après-guerre où cette idée a été inventée, le problème de l’eau et de la salinité ne se posaient pas de la même manière qu’aujourd’hui. En ces temps-là, il pleuvait en abondance et la riziculture était une riziculture de stricte autosubsistance. En dehors de la deuxième Guerre mondiale où il y eut une révolte généralisée des Diolas contre la taxe en nature imposée par les français pour financer l’effort de guerre contre les Nazis, le riz ne faisait l’objet d’aucun échange monétaire direct. Il servait essentiellement à la nourriture quotidienne des ménages, aux libations et aux cérémonies festives de la culture immatérielle.

Aujourd’hui, la situation a bien changé. L’«économie agricole» ne nourrit plus son homme en Casamance. Après des années de baisse continue de la productivité agricole et l’augmentation de l’importation du «riz étranger» (plus de 5,4% de céréales sont importées chaque année pour nourrir le “grenier du Sénégal” où 80 à 90% de l’activité paysanne est consacrée à la culture du riz), la riziculture est structurellement victime de l’effet combiné des risques climatiques de plus en plus élevés, de la fuite de la main-d’œuvre vers les villes et les pays étrangers mais, aussi, de la crise économique, de la dépendance des systèmes paysans par rapport à l’économie de marché, de la pauvreté des techniques traditionnelles, de la rareté et de la détérioration des facteurs de production.

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Elle est peu adaptée à l’environnement naturel à cause du fait qu’au lieu de suivre l’évolution de cet environnement en pleine mutation, elle répond aux changements qui s’imposent avec des schémas et des techniques du passé. Au rythme où le milieu naturel se dégrade en Casamance en ce moment, les casamançais doivent se préparer à porter en terre les diables qui les tourmentent sinon je ne vois pas comment ils pourront échapper au sort tragique qui a frappé certaines civilisations agraires de la Vallée de l’Indus et de la Mésopotamie. On sait que ces civilisations ont en effet disparu de la surface de la terre, faute d’avoir pu s’adapter à temps au processus insidieux et indétectable des mutations irréversibles de leur milieu de vie.

C’est dans ce cadre qu’il faut lire et apprécier à sa juste valeur l’intervention de Mr Haïdar et d’Oceanium. En reboisant les mangroves du Sénégal comme le réclament, depuis belle lurette, les paysans retranchés dans les contreforts de leurs villages, Haïdar et Oceanium s’attaquent au problème le plus pressant et le plus urgent de l’agriculture des pays du tiers monde : le manque d’eau douce.

Les arbres et les mangroves occupent une place centrale dans le «Cycle de l’eau». La transpiration et l’évapotranspiration des végétaux ont une influence considérable sur ce cycle : par la photosynthèse, les feuilles vertes captent le gaz carbonique et rejettent l’oxygéne dont nous avons besoin pour vivre. Ce faisant, elles assurent la respiration de la plante et, par les racines, le tronc et les feuilles, elles relâchent une partie de l’eau dans l’atmosphère où celle-ci se condense et tombe sur terre sous forme de pluie pour nourrir les plantations et faire prospérer les cultures.

La nostalgie des «traditions ajamaat» faussement perçues par nos élites comme immaculées ne doit en rien conduire à idéaliser nos valeurs dont certaines ont montré leurs limites à nous adapter aux changements en cours ni à fermer nos yeux sur les besoins impérieux de nos sociétés à répondre aux mutations nécessaires en vue de mieux faire face à la pression et aux exigences du milieu dans lequel nous vivons.

Si, en reboisant les mangroves du sud jusqu’aux abords des villages diolas, Haïdar et Oceanium contribuent à apporter l’eau douce à ces populations qu’ils reconnectent avec la rizière qui les nourrit, il faut non seulement s’en féliciter mais il faut également encourager cet effort qui va certainement aider ces gens à s’émanciper des contingences d’une nature aveugle qui leur est de plus en plus hostile.

 

Lamine Diédhiou

Sociologue

Canada

Email : Dingassli@Yahoo.fr

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