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L’economie Handicapée Par Trop De Jours Fériés Et Chomés

Comme à l’accoutumée, il a fallu deux jours pour célébrer la fête de Tabaski au Sénégal : une partie le mardi et, selon la presse, une majorité le mercredi. Il est déjà arrivé, dans un passé récent, que la Tabaski soit célébrée sur trois jours et la Korité sur deux jours, soit trois jours fériés et chômés de plus que les deux prévus par la législation sociale (Korité et Tabaski). Si nous y ajoutons la journée ou les deux journées consacrées à la célébration du Magal de Touba ainsi que les autres journées de l’année déclarées « pont », nous nous trouvons avec une vingtaine de jours ouvrables non travaillés. Soit largement au-delà des 15 jours fériés et chômés théoriquement prévus par la législation sociale. Le Sénégal peut-il se permettre de compter, chaque année, une vingtaine de jours fériés, chômés et généralement payés ? Nul besoin d’être un expert en économie ou un as des chiffres pour répondre à cette question. La réponse est non !

Une vingtaine de jours ouvrables effectivement chômés annuellement

Sont appelés jours fériés, tous les jours de commémoration ou de célébration d’une fête civile ou religieuse. Au Sénégal, ils sont au nombre de quinze (Jour de l’an, Korité, Fête Nationale, Tabaski, Pâques, Lundi de Pâques, Fête du travail, Ascension, Pentecôte, Lundi de Pentecôte, Assomption, Toussaint, Noël, Tamkharit, Maouloud). La loi les a déclarés tous comme étant des fêtes légales et chômées. La loi ajoute que La fête Nationale (4 avril), la fête du travail (1er  mai) et la Tamkharit sont des jours payés. En plus de ces trois jours payés, la convention collective nationale interprofessionnelle offre, chaque année, huit autres jours payés à choisir sur cette liste de fêtes légales. Cela porte à 11 jours payés sur les 15 journées de fêtes légales officielles. En fait, il convient de dire qu’il y a, effectivement, 12 jours payés lorsqu’on sait, pour cette année, que le Président de la République a pris un décret déclarant la journée du Magal 2013 fériée, chômée et payée. Ce qui porte les jours fériés et chômés à 16 au lieu des 15 théoriquement prévus par la législation sociale. Les 15 jours de fêtes légales, donc fériés et chômés, constituent un minimum incompressible.

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Le nombre annuel de jours fériés et chômés dépassent, dans la réalité, ces 15 théoriquement prévus. En effet, le décret 74-1125 prévoit la possibilité de déclarer « pont » et fériées des journées qui ne figurent pas sur la liste des 15 jours de fêtes légales lorsqu’elles sont comprises entre une fête légale et un dimanche, ou au moins accolées à une fête légale. Les différentes autorités qui se sont succédé à la tête de l’État ont pleinement utilisé cette possibilité en décrétant, à chaque fois que l’opportunité ou l’opportunisme politique le recommandait, des jours « pont » fériés et chômés.

Une autre raison du dépassement, chaque année, des 15 jours de fêtes légales théoriquement prévus tient au fait que les dates des fêtes musulmanes (Korité, Tabaski, Tamkharit et Maouloud) dépendent de l’observation des phases de lunaison et qu’il est rare, par exemple, que la célébration de la Korité ou de la Tabaski soit unanime en intervenant le même jour. Cela a pour conséquence la récurrence des 2 jours de Korité et des 2 jours Tabaski. Au total, le Sénégal se retrouve, à chaque année, avec une vingtaine de jours fériés et chômés. Ce qui est énorme pour un pays pauvre dont beaucoup de besoins essentiels ne sont satisfaits convenablement parce que nous ne travaillons pas suffisamment.

Une perte de production de 2,6% par an dans le secteur industriel

D’après les résultats d’une étude quantitative concernant les « Effets des jours fériés sur l’activité économique », réalisée par Serigne Moustapha SENE de la Direction de la Prévision et des Etudes Economiques (DPEE) et, présentés lors de la sixième édition du Point Economique (PE) de la DPEE tenue le lundi 16 juillet 2012, les jours fériés et chômés occasionnent, dans le secteur industriel, une perte de production de 2,6% par an. Les participants à cette rencontre pensent, à juste raison, que cette perte de production industrielle due aux jours fériés et chômés serait sous-évaluée. En effet, l’enquête d’opinion réalisée par l’auteur auprès des chefs d’entreprises révèle, entre autres, que les jours fériés et chômés provoquent un absentéisme qui débordent les journées de travail concernées surtout lorsqu’ils coïncident un jeudi (le vendredi devient un « pont » légal ou de fait). À cela s’ajoutent les ralentissements, généralement notés, dans le fonctionnement des services de l’Administration ainsi que la baisse du rythme de l’activité économique à Dakar où sont concentrées l’essentiel des activités productives du pays.

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Certaines entreprises sont obligées d’embaucher du personnel supplémentaire, de façon ponctuelle, pour suppléer leurs travailleurs réguliers dans le but de pouvoir atteindre les objectifs de production qu’elles se sont fixés. Cela provoque, bien évidemment, des surcoûts et, subséquemment, une baisse de la productivité du travail. Ce n’est pas avec ces nombreuses pertes de journées de travail que l’industrie sénégalaise deviendrait compétitive, gagnerait des parts de marchés dans l’espace ouest-africain ou saisirait de nouvelles opportunités, par exemple.

Des conséquences désastreuses sur la compétitivité du pays

Dans le modèle développé par Serigne Moustapha SENE, le seuil critique de jours fériés chômés au-delà duquel des effets négatifs apparaissent s’établit à 13. Dans ces conditions, avec la vingtaine de jours effectivement déclarés fériés et chômés par année, l’économie sénégalaise s’expose largement aux effets négatifs induits par les pertes d’heures de travail occasionnées par ces nombreuses fêtes légales. La productivité du travail s’en ressent et, partant, la compétitivité du pays. En effet, dans un article consacré aux enjeux du régime de croissance après l’alternance politique intervenue en 2012, une analyste de l’Agence française de développement (AFD) fait constater que « la productivité relative sénégalaise stagne et devient même inférieure (sur la période récente) à celle des pays hors zone franc ».

Ce constat est aussi partagé par le World Economic Forum (WEF) qui vient de publier l’édition 2013-2014 de son Rapport global sur la compétitivité dans lequel les pays de la planète sont classés à l’aide d’un indice composite, le Global Competitiveness Index. Le Sénégal y occupe le 113e  rang sur 148. Il est loin de figurer dans le top des 10 pays africains ayant les meilleurs niveaux de productivité, donc plus compétitifs. Parmi ces pays africains qui devancent le Sénégal figurent l’Île Maurice, le Rwanda, le Botswana, la Namibie, la Zambie et le Kenya. Cette situation quoiqu’alarmante ne trouve pour toute réponse, de la part de certains politiciens populistes, que la proposition d’en rajouter encore ! En effet, ces responsables politiques sénégalais de premier plan proposent l’ajout d’autres dates, certes importantes pour les musulmans (Magal de Touba, lendemain de la Tabaski, etc.) à cette si longue liste de jours fériés, chômés et pour la plupart payés. Cela nous paraît comme une irresponsabilité, voire une fuite en avant, où les deux à la fois. C’est dommage que la fameuse expression, pourtant si juste, « il faut travailler, encore travailler, toujours travailler » ne soit réduite qu’à un slogan creux.

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Cheikh Faye

Cheikh FAYE

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