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Réduction Du Mandat Présidentiel : Une Exigence Pour Le Sénégal, Une Nécessité Pour L’afrique

« Si je suis élu pour sept ans, je m’engage à n’exercer qu’un mandat de cinq ans…» Macky Sall

Puisque le débat sur la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans refait surface, il nous paraît intéressant de nous y attarder un instant. L’argument avancé par les partisans du maintien du mandat présidentiel à 7 ans porte sur le sacro saint respect de la Constitution, clé de voûte des institutions et charte suprême de la nation.

Du point de vue stricto sensu juridique, cette thèse n’est pas dénuée d’intérêt, dans la mesure où le respect de la Loi fondamentale est la marque de fabrique des sociétés modernes et démocratiques.

Pour autant, elle ne résiste pas à l’examen des faits, pour le cas du Sénégal, pour la simple raison qu’une analyse approfondie met en évidence de nombreuses failles.

Le premier élément mis en avant par les tenants de cette thèse consiste à souligner l’impossibilité pour le Président de matérialiser un de ses engagements forts pris pendant le second tour de la campagne électorale de 2012, et réaffirmé après son élection le 25 mars 2012, en raison d’un obstacle juridique infranchissable, lié aux dispositions contenues dans la Constitution.

Si tel est le cas, la question qu’on est tenté de se poser est de savoir comment le candidat Macky Sall, qui disposait d’une multitude de conseillers, d’experts, de juristes confirmés, et d’un avocat chevronné en la personne de Alioune Badara Cissé a-t-il pu formuler cet engagement solennel de réduire son mandat de 7 à 5 ans, lourd de conséquences devant le peuple ? Car, une telle méconnaissance d’une des dispositions majeures de la Constitution (durée du mandat présidentiel) paraît à tout le moins invraisemblable pour un candidat à la magistrature suprême, ou du moins pour ses proches conseillers. Elle est d’autant plus inimaginable que le Président Sall (et non pas cette fois ci le candidat Sall) a réitéré formellement cet engagement après son élection.

Par ailleurs, nous n’avons pas eu le souvenir, après une telle annonce du candidat Macky Sall, que des voix autorisées (spécialistes du droit, Constitutionalistes, etc…) se soient publiquement et clairement exprimés pour informer le peuple qu’un tel engagement était irréalisable.

En vérité, la question relative à la réduction du mandat du Président Macky Sall de 7 à 5 ans n’est pas à situer au chapitre des promesses électorales. Il s’agit de matérialiser un engagement solennel pris devant le peuple sénégalais. Pendant et après la campagne électorale de 2012. C’est pourquoi, Il est important de souligner la nuance sémantique entre ce qui relève d’une promesse électorale et ce qui constitue un « engagement », dont la portée est solennelle. Une nuance de taille.

En effet, affirmer qu’on va procéder à la création de 500 000 emplois dans le contexte économique actuel est une promesse électorale, parce qu’improbable ; tandis que s’engager à réduire un mandat présidentiel est de l’ordre du possible, parce que faisable. Cet engagement est réalisable parce que d’une part, l’objectif est de tirer la Constitution vers le haut (un progrès démocratique indéniable), et d’autre part, que le Sénégal regorge de Constitutionnalistes aguerris, en mesure de fournir tous les outils juridiques permettant son effectivité. Ces deux conditions cumulées fragilisent considérablement la thèse de l’impossibilité « juridique ».

Une impossibilité juridique qui n’a pas lieu d’être, puisque la Constitution prévoit en elle-même, le cadre de son évolution. Dans le cas du Sénégal, il s’agit d’organiser un référendum sur la question, comme le prévoit l’article 27. En principe, la question des moyens est sans objet, puisque si on a pu dégager 2,5 milliards de CFA pour la définition d’une stratégie (projet Sénégal Emergent), il ne devrait y avoir aucune difficulté pour mobiliser quelques milliards supplémentaires pour solliciter l’avis du peuple sur un thème aussi central que la durée du mandat présidentiel.

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Comme autre point faible, on pourrait évoquer également la non abrogation de la loi Sada N’Diaye « aberration juridique toujours en vigueur ». Si on se fie à l’article 60 de la Constitution, les députés sont élus pour un mandat de 5 ans. Le Président de l’Assemblée nationale étant un député élu avant d’être porté au perchoir ; il en ressort qu’il n’est pas logé à la même enseigne que les autres députés, puisque son mandat est de 1 an (renouvelable ou pas). Un statut précaire qui fait qu’il est à la merci de contingences politiciennes.

Il est curieux de constater que les fervents défenseurs de la Constitution, partisans du respect scrupuleux de la Charte suprême ne se soient point mobilisés pour le rétablissement du mandat du Président de l’Assemblée nationale à 5 ans. Un mutisme effrayant. Une indignation sélective qui jette le doute sur la posture des Ayatollahs de la loi fondamentale, foncièrement attachés à « la Constitution, rien que la Constitution, toute la Constitution ». Quand on la Constitution chevillée au corps, on veille à son respect intégral. Une question de principe.

Le second argument invoqué pour le maintien du mandat présidentiel à 7 ans consiste en une volonté de donner au Président les moyens d’asseoir une politique dont les résultats ne seraient visibles que sur 7 ans. Cette thèse peut être battue en brèche, pour au moins 3 raisons :

Primo, il est incongru de lier la bonne marche d’une nation à la durée d’un mandat présidentiel (le mythe de l’homme providentiel étant révolu). Suivant un principe intangible, depuis la nuit des temps « les hommes passent, les institutions demeurent ».

Secundo, de grandes démocraties modernes pour ne citer que les Etats Unis, et la France disposent d’un régime avec un mandat présidentiel court (sans entrer sur le type de régime présidentiel), de 4 ou 5 ans, sans que, à ce que je sache, l’essor ou la stabilité de ces pays en soient affectés.

Tertio, le principe d’un mandat court (5 ans) nous semble particulièrement adapté pour les pays africains en raison de la conception de l’Etat par les dirigeants et de leur tentation permanente à « user et abuser » des attributs du pouvoir, au détriment de leur peuple.

On a pu constater qu’à défaut de pouvoir réinstaurer voire imposer des partis uniques (une époque révolue), les Chefs d’Etats africains se sont remarquablement adaptés à la géopolitique moderne, en s’adonnant à leur nouvel exercice favori qui consiste à tripatouiller leurs Constitutions, voire manipuler les institutions fragiles de leurs jeunes nations. Un cas d’école fascinant est celui du Burkina Faso. La mégalomanie, l’insolence, et la surdité de l’autocrate Blaise Compaoré, la paranoïa qui l’habite et la férocité de son régime font craindre les pires dérives « au pays des hommes intègres ».

Le célèbre journaliste d’investigation Norbert Zongo en a payé le prix fort, assassiné pour avoir mis à nu les turpitudes et la folie du régime de Blaise Compaoré, dont on se demande toujours, comment il a pu, du jour au lendemain, bénéficier du statut enviable de médiateur des conflits dans le continent africain. Du point de vue formel, le Burkina Faso possède tous les attributs d’une démocratie : une constitution respectable, un pluralisme avec l’existence de partis politiques.

En outre, ce pays est signataire de tous les textes (traités internationaux, Chartes, protocoles additionnels, etc…) et est membre de toutes les instances régionales et continentales. Néanmoins, l’envers du décor est tout autre. Après plus de 26 ans d’exercice solitaire du pouvoir, le despote Blaise Compaoré par une ultime manœuvre dont il est maître, envisage, une nouvelle fois de rempiler, en foulant au pied la Constitution de son pays.

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A moins que l’histoire, comme elle sait souvent le faire, ne lui joue un mauvais tour, à un moment où à un autre. Tout comme le fantasque Yaya JAMMEH dont les actes rappellent ceux d’un certain Dadis Camara en Guinée, au comportement enfantin. Car, une des caractéristiques de l’histoire est qu’elle finit toujours par avoir raison des tyrans.

Sacrée Afrique dont l’agronome René Dumont disait en 1962 qu’elle était mal partie, et dont Mamadou Lamine Diallo du mouvement TEKKI interpellait les citoyens, dans son ouvrage intitulé

« Les africains sauveront ils l’Afrique ? » Rien n’est moins sûr quant à la réponse, mais retournons la question à son auteur, actuellement aux manettes du pouvoir.

Pour en revenir au Sénégal, la création de l’ONEL, de la CENI, de la CENA, les contestations électorales de 1988, 1993, 2000, 2007, l’appel constant aux observateurs internationaux pour juger de la sincérité, de la transparence et de la régularité des scrutins, prouvent que les acteurs politiques sont les premiers à douter de la fiabilité de leurs institutions, pourtant réputées « démocratiques ». Ou du moins des hommes qui les incarnent. Dans cet ordre d’idées, la proposition de Moubarack Lô tendant à l’instauration d’un mandat unique (il plaide pour une durée de 6 ans), mérite un débat au niveau de l’intelligentsia sénégalaise. Que l’on soit pour ou contre.

Les sociétés africaines n’étant pas des sociétés comme les autres du point de vue du fonctionnement et de la gestion de l’Etat, les chefs d’états africains, dans leur grande majorité, n’étant pas animés (ou très peu) du sens de l’intérêt général, un mandat unique serait un moyen parmi tant d’autres de contrecarrer la pérennité d’un pouvoir dont l’action est préjudiciable aux populations.

Un mandat unique aurait certainement permis d’éviter l’officialisation de la candidature de Macky Sall aux prochaines élections présidentielles de 2017, faite à Paris, le 07 décembre 2013, sur les bords de la Seine sans qu’on puisse déterminer si on avait affaire au candidat Macky Sall ou au Président Macky Sall (son discours n’ayant pas levé le doute sur sa casquette du jour). Sachant que nous sommes en 2013, et que 4 ans nous séparent des élections présidentielles prévues en 2017.

Il aurait également permis au Président Macky Sall de se consacrer exclusivement à la mission pour laquelle il a été élu : consolider les acquis démocratiques, renforcer les institutions du pays, garantir l’exercice des libertés individuelles et collectives, améliorer les conditions de vie et d’existence du peuple , redonner espoir au monde rural, revivifier le tissu industriel, lutter contre le chômage des jeunes en mettant l’accent sur des formations qualifiantes (par exemple un système de partenariat Universités-Entreprises pour les étudiants, et création de structures du type ateliers de formation pour les jeunes non scolarisés) ; mettre un terme définitif au conflit casamançais, asseoir une politique de santé publique et d’hygiène digne de ce nom, assurer la promotion de la bonne gouvernance par une transparence dans les actes de gestion, lutter contre la malnutrition qui touche certaines zones du pays, etc…..Des défis multiples pour un pays sous développé, qui ne laissent guère à un Chef d’Etat en exercice, le temps de songer, l’espace d’une seconde, à une réélection.

Bien entendu, le principe du mandat unique n’est pas en soi une panacée, et ne saurait prétendre résoudre tous les maux dont souffre le continent africain. Des maux, pour l’essentiel, liés, à la nature, au fonctionnement des régimes, à l’exercice et à la conception du pouvoir. Mais dans un continent où les rares alternances sont dévoyées, où les progrès démocratiques n’ont pas mis fin à la mal gouvernance, au détournement des deniers publics, à la corruption des élites, un mandat unique peut être un moyen de limiter l’attrait exercé par le pouvoir, en incitant (il faut l’espérer) son détenteur, persuadé de ne pas rempiler, à une gestion plus « vertueuse », plus axée sur les préoccupations du peuple et moins « autoritaire » pour éviter des lendemains qui déchantent.

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Puisque le débat sur la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans est désormais posé, nous pensons qu’il est judicieux que les citoyens, les organisations de la société civile se l’approprient au même titre que les partis politiques.

La presse doit jouer un rôle central dans l’animation de ce débat. Soulignons au passage que la non dépénalisation des « délits de presse » ou qualifiés comme tels, est une sorte d’épée de Damoclès, d’entrave subtile à la liberté d’expression des journalistes. Une liberté sacrée et inviolable, lorsqu’elle s’exerce dans le cadre de la loi. Enfin, l’avis des constitutionnalistes, experts en la matière, sera déterminant.

La question est de savoir d’ailleurs pourquoi leur expertise n’a pas été sollicitée à priori, dés l’entame (sur la faisabilité), et seulement à posteriori (sur l’impossibilité souhaitée)? Il y a là une logique qui échappe à la rationalité. Etrange tout de même !

Au delà de la question stricto sensu juridique, qui n’en est pas une, l’idée selon laquelle il est admis de pouvoir se dédire « WAKH WAKKEET » constitue une transgression absolue des règles morales.

En Afrique, berceau de la tradition orale, la parole revêt un caractère sacré qui se transmettait de génération en génération. Si l’histoire de l’Afrique ancienne a été, en grande partie reconstituée, c’est grâce à la fiabilité et à la crédibilité des sources orales (certes, pas toutes), considérées comme des sources à part entière, au même titre que les sources écrites. Amadou Hampaté Ba soutenait « qu’en Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle ».

Chez les spartiates, il existait un code d’honneur axé sur le renoncement et la promotion des valeurs collectives au détriment des valeurs individuelles.

Aux Etats Unis, le parjure constitue un acte grave dont la conséquence est une sanction politique quasi immédiate (mise en œuvre de la procédure d’impeachment).

On aurait donc tort, comme Machiavel de penser qu’en toutes circonstances « la fin justifie les moyens », et que l’action politique est désincarnée, voire dénuée de vertu.

Le WAKH WAKHEET est contraire à l’éthique, à la morale et d’une certaine manière, à la tradition orale africaine.

En notre qualité de citoyen ordinaire, nous estimons que la réduction du mandat de 7 à 5 ans ne pose aucun problème d’ordre juridique insurmontable (à supposer que la question soit juridique, ce dont on peut vraiment douter). Le référendum est la voie tracée par la Constitution, ce qui veut dire que c’est au peuple de trancher. Le débat doit être libre, transparent et contradictoire.

Les Constitutionnalistes sénégalais sont parfaitement en mesure d’accompagner et de sécuriser d’un point de vue juridique, ce qui doit être considéré comme un saut démocratique. Cet engagement dont la portée est éminemment institutionnelle, puisqu’elle touche la Constitution est à déconnecter du catalogue « des promesses électorales ». C’est un engagement solennel qui engage le Chef de l’Etat et la nation toute entière.

Au-delà d’une exigence démocratique, c’est l’image du Sénégal et son positionnement (en tant que Démocratie) en Afrique et dans le monde qui est en jeu.

 

Seybani SOUGOU

E-mail : sougouparis@yahoo.fr

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