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Et S’il Est établi Que Le Frère Et La Sœur Sont Tous Les Deux Des Voleurs !

Dans sa livraison du mercredi 6 février 2014, le journal « Le Quotidien » a fait état d’une décision du Président de la République, prise sur lui de ranger le lourd dossier du Fesman. Il ne souhaiterait pas, selon le même quotidien, s’encombrer de la fille de son prédécesseur après le frère.

Souhaitons que cette information ne soit pas avérée ! Ce serait très grave, en effet, si le Président de la République avait effectivement pris cette curieuse et surprenante décision. En attendant d’en avoir le cœur net, les commentaires vont déjà bon train. C’est ainsi qu’une dame, membre de l’entourage proche du Président de la République et de son épouse, s’est permis la déclaration suivante : « Mettre en prison en même temps Sindièly et Karim Wade, ce serait déstabiliser Me Wade ». Curieuse déclaration, qui a dû certainement surprendre et faire sursauter plus d’un !

Je n’ai de leçon à donner à personne. Nous vivons dans un pays démocratique où la liberté d’expression est une réalité. Chacun a donc tout le loisir d’y exprimer ses idées, ses opinions. La sagesse commande, cependant, de ne pas lâcher trop facilement la bride à la langue car la parole, une fois prononcée, se rattrape difficilement, si toutefois d’ailleurs elle peut se rattraper. C’est le sens de certains adages, notamment de celui-ci : « Il faut retourner plusieurs fois la langue dans la bouche avant de parler. » Un autre recommande de n’ouvrir la bouche que lorsqu’on est sûr que ce qu’on va dire vaut mieux que le silence. Un autre encore nous rappelle que « si la parole est d’argent, le silence est d’or ».

Pour revenir à la décision supposée du Président de la République de passer l’éponge sur la gestion gabegique du Fesman, des gens vont très vite en besogne et parlent déjà « d’amnistie » en faveur de la fille très chérie du président Wade. Même si c’était là la volonté du Chef de l’tat, on n’en est pas encore à ce niveau. On amnistie après une condamnation et c’est une prérogative exclusive de l’Assemblée nationale. A la rigueur, le Président de la République pourrait-il indiquer à sa majorité de voter dans un sens ou dans un autre. En tous les cas, je ne croirai pas, jusqu’à preuve du contraire, que le Président de la République ait pris sur lui cette décision de soustraire Sindièly Wade à la justice, sous le seul prétexte qu’il ne souhaiterait pas s’encombrer de la fille de son prédécesseur après le frère. Ce serait une immixtion flagrante, une entrave grave au fonctionnement de la justice, un discrédit pour lui-même et pour nos juges. Et notre démocratie dont nous sommes si fiers en porterait un sacré coup.

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Quant à la position publiquement exprimée par sa proche collaboratrice que mettre en même temps en prison le fils et la fille du président Wade le déstabiliserait, elle pose vraiment problème. La justice est quand même impersonnelle ; elle s’applique à tous les citoyens, indépendamment de l’origine, de la richesse, de la pauvreté ou de quelque autre considération subjective que ce soit. Si le fils et la fille de l’ancien Président de la République sont convaincus de détournements de deniers publics ou de toutes autres formes de malversations, ils doivent être traités comme des délinquants, et la loi leur sera alors appliquée sans cruauté inutile, mais aussi sans faiblesse coupable.

Nous nous étonnons surtout que cette dame aujourd’hui proche du Président de la République et de son épouse s’érige en défenseur zélé des enfants de Wade et de Wade lui-même. Nous nous souvenons qu’elle était, pendant les douze années de gouvernance Wade – moins les quelque trois mois pendant lesquels elle a été ministre –, aux avant-postes des manifestations que nous organisions contre l’impunité. Voilà qu’aujourd’hui, curieusement, elle prône la punition sélective ! Voilà qu’elle se soucie du sort du vieux président alors que ce dernier trouvait rarement grâce à ses yeux. La justice doit se garder, en mettant en même temps en prison ses deux enfants, de le déstabilise ! La loi ne s’applique quand même pas sur tel ou tel citoyen, selon qu’il est le fils de tel ou de tel autre ! Ensuite, pendant combien d’années avons-nous été déstabilisés par l’ancien président Wade ? N’est-ce pas lui qui a passé le plus clair de sa gouvernance à inverser nos valeurs ? N’est-ce pas lui qui a changé nos mentalités au point que nous intégrons désormais comme des valeurs le goût du lucre et du gain facile, la détestable transhumance, etc ? Pendant les douze longues années que sa gouvernance a durées, la médiocrité a pris progressivement et largement le pas sur l’excellence.

C’est lui qui, à force de mallettes d’argent, de véhicules rutilants, de parcelles de terrains dans les zones les plus huppées, de passeports diplomatiques, a discrédité nombre de nos chefs religieux dont les disciples indignés s’éloignent de plus en plus. C’est lui qui a détraqué notre administration, l’une des meilleures d’Afrique avant 2000, en même temps que le système de calcul des salaires et autres indemnités qu’il a mis sens dessus dessous, créant ainsi, à la tête du client, des situations de rentes très mal supportées par l’écrasante majorité des agents de l’Etat. Il en est résulté, tout naturellement, le réchauffement du climat social qui nous empoisonne l’existence depuis plus de dix ans. Donc, si déstabilisation il y a, c’est lui, l’ancien président Wade, qui a profondément déstabilisé notre pauvre pays.

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Et, à supposer que Sindièly coure le risque de retrouver son frère Karim en prison, à qui la faute ? Le seul responsable des déboires judiciaires de ses deux enfants, c’est bien lui, et lui seul. Lui qui a choisi de les placer au cœur de la République, de la gouvernance, de la gestion des affaires les plus « juteuses » de l’Etat, tout en veillant à ce qu’ils fussent hors de tout contrôle. L’actuel Président de la République est bien placé pour en attester.

Aujourd’hui donc, des compatriotes se soucient du sort du père et de ses deux enfants, en fermant hermétiquement les yeux sur les centaines de milliards de francs Cfa, engloutis dans les seules gestions de l’Anoci et du Fesman. Peu leur importe la détresse et le dénuement total que vivent des millions de nos compatriotes ! Nombre d’entre eux peinent à assurer deux repas quotidiens à leurs familles, n’ont accès ni à l’eau potable, ni à l’énergie électrique, ni aux infrastructures (de base) de santé et d’éducation. Des dizaines de milliers de leurs femmes perdent la vie en la donnant sur des charrettes ou seules dans leurs chambres, sans aucune assistance médicale. Des enfants qui naissent miraculeusement dans ces conditions, beaucoup meurent avant un an ou ne fêtent pas leur cinquième anniversaire. Des millions de jeunes battent chaque jour désespérément le macadam, sans voir pointer à l’horizon l’ombre d’un seul emploi. Ils restent ainsi, le cœur gros et pendant de nombreuses années, à la charge de leurs parents dont ils devraient pourtant assurer la relève.

Des villages entiers, tout en paille en ce début du 21ème siècle, sont la proie facile des incendies qui dévorent tout sur leur passage : meubles modestes, récoltes, bétail, etc. Les véhicules des sapeurs-pompiers qui viennent rarement à leur rescousse tombent en panne en cours de route. C’était le cas, il y a deux semaines environ, à Gade Escale dans la Communauté rurale de Ndindy (Département de Diourbel). Dans nos régions périphériques, c’est l’insécurité due, pour l’essentiel, à l’insuffisance des brigades de gendarmerie ou, même si elles existent, à la modicité de leurs moyens de fonctionnement. Il en est de même des services régionaux des eaux, forêts et chasse qui manquent aussi de tout. Les maigres forêts qui nous restent sont ainsi laissées à l’appétit d’aventuriers venus pour la majorité des pays limitrophes. Les pauvres paysans qui ont peiné pendant plusieurs mois sous un chaud soleil, voient leurs récoltes (mangues, oranges, tomates, oignons, patate, etc) pourrir faute de pistes de production pour les transporter jusqu’aux marchés.

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Le sort peu enviable de ces populations et leur environnement de plus en plus dégradé ne retiennent pas l’attention. C’est sur celui de Me Wade et de sa fille que l’on s’apitoie, en oubliant que les milliards que le père et les deux enfants nous ont soustraits pendant leur gouvernance longue et ruineuse, pourraient servir à réduire de façon notable l’acuité des problèmes cruciaux que nous avons passés en revue un peu plus haut.

La décision prêtée au Président de la République et la plaidoirie publique de sa proche collaboratrice en faveur de Me Wade et de sa fille, ne devraient laisser personne indifférent. Karim Wade et de nombreux autres compatriotes sont en détention préventive. Sindièly devrait connaître le même sort si les recommandations du rapport de l’Inspection générale d’Etat qui l’épingle étaient suivies d’effets. Rien ne devrait être entrepris pour enfoncer Samba ou favoriser Coumba. Ni du côté du palais présidentiel, ni de celui des foyers religieux. La loi doit être la même pour tous. Laissons donc les différents procureurs faire normalement et sereinement leur travail. Quand ils en auront terminé, ils remettront les dossiers aux juges. C’est à ces derniers qu’il appartiendra alors, après un jugement que nous souhaitons équitable, de dire qui est coupable et qui ne l’est pas. En attendant, mettons-nous au travail et éloignons-nous des supputations, suppositions et autres élucubrations les plus audacieuses, alors que nous ignorons tout du contenu des différents dossiers traités par la justice.

Dakar le 7 février 2014

 

Mody Niang, mail : modyniang@arc.sn

Mody NIANG

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