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Indépendance Culturelle Et Souveraineté Linguistique: La Tentation Du Mépris Culturel

Aujourd’hui il est devenu courant de voir légitimer les usages incorrects des langues étrangères chez nous, plus particulièrement les langues coloniales. Bien qu’elles soient devenues la bouche et l’oreille de l’autorité qui ne s’impose plus la pudeur de la solennité avec des usages cataclysmiques, les langues étrangères, rappelons-le officielles, comme le français sont mises en dérision dans ce qui s’apparente plutôt à de la déviance culturelle. Pis, cette décadence qui est d’abord le fait de la politique trouve justification au nom d’une autre politique : la décolonisation. Au point que l’on en oublie la part importante, la plus importante d’ailleurs, de la déliquescence de nos systèmes éducatifs et l’échec de nos dirigeants politiques et de nos bureaucraties.

Que de fautes et d’erreurs dans la pratique de langues étrangères qui ont bien plus à voir avec l’échec de nos systèmes de gouvernement et de notre culture politique, mais qui, malheureusement, sont injustement imputées à la simple présence de langues étrangères dans nos sociétés. Une critique dépourvue quand bien même d’élégance et parfois de lucidité. La mentalité du colonisé passe ainsi pour être sa conscience qui, elle, toute proportion gardée, doit quand même à l’expérience coloniale, y compris sa subjectivation révolutionnaire à travers la langue coloniale devenue officielle. L’expérience historique montre que le relativisme culturel cher à Levi Strauss et aux anticolonialistes relève d’abord de la pratique concrète avant de suinter de l’ancre des savants. C’est en effet dans leurs rencontres, entrelacements et chocs éventuels que les langues et les cultures se définissent les unes par rapport aux autres sans pour autant prendre le tracé des frontières politiques et culturelles. C’est ce que nous apprenons à souhait des grandes entreprises de traduction et de retraduction des patrimoines intellectuelles et scientifiques dans l’histoire, au gré de la succession des empires d’Orient et d’Occident : du grec à l’Arabe en passant par le sanskrit ou le persan parfois, puis de l’arabe au latin.

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A vrai dire le phénomène (multi)linguistique transcende la réalité (multi)culturelle. Les langues ne s’opposent que dans la politique. Il suffit pour s’en tranquilliser l’esprit de se rappeler un principe philologique : il n’y a pas de langue proprement souveraine, ni dans la forme, ni dans l’usage. Pourquoi se priver d’un autre principe, sociolinguistique cette fois-ci : les langues font plus que servir et se servir de l’histoire, elles sont toujours porteuses d’ambitions politiques. Celles du colonisateur comme celles du colonisé. A charge pour celui-ci de ne pas s’offrir de belle sottise à la tentation a-historique du mépris culturel en évitant de confondre langue et culture, indépendance et souveraineté.

La souveraineté est essentiellement un problème politique. C’est dans la politique que les langues règnent dans leur chez soi, d’une manière semblablement arbitraire. Alors que bien des nations ont conquis leur émancipation culturelle en usant des langues d’autrui : les nations européennes ont toutes brillé des dorures du latin par-dessus les locutions barbares, puis avec l’intermède de la renaissance grâce à leur ouverture à l’arabe dans lequel fut codé pratiquement la totalité de la bibliothèque globale de l’époque antérieure. Qui refuserait aujourd’hui tout son mérite à l’anglais dans l’émancipation culturelle des peuples d’Asie (Chine, Corée du Sud, Inde,) et d’Afrique (Afrique du Sud) ? Le Portugais est bien le medium d’un des plus grands festivals de la planète, celui du Carnaval de Rio.

Il n’est pas sûr qu’en dévalorisant les langues des autres que l’on parvienne à valoriser les siennes. L’on serait injuste et ingrat à la fois. Injustes pour prétendre donner à ses langues ce que l’on ôte à celles des autres; ingrats parce que l’idée même de devoir valoriser les langues nationales est intrinsèquement liée à notre culture intellectuelle et notre conscience de nous-mêmes, lesquelles culture et conscience, cela est indéniable, se sont construites à travers l’usage des langues que nous torturons aujourd’hui tout en nous honorant d’un tel brigandage. Les discours politique et scientifique par lesquels nous formulons cette demande de souveraineté linguistique et d’émancipation culturelle, un projet somme toute légitime, sont construits et diffusé, beaucoup mieux et essentiellement, à travers ces le français, l’anglais ou le portugais. Du moins tant que ces dernières langues gardent leur statut politique.

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C’est ici que se trouve la troisième raison pour laquelle la valeur d’une langue ne saurait rationnellement découler de la “dé-valeur” d’une autre. C’est le fait que stratégiquement il est de peu d’intérêt pour le décolonisateur de nier la valeur et les soins qu’elles méritent aux langues par l’usage desquelles il réclame sa souveraineté linguistique et l’indépendance culturelle. Mieux il les pratiquera, mieux son discours d’émancipation en sera formulé, diffusé, compris et traité avec respect. Est-il besoin de rappeler que si le décolonisateur en est arrivé aujourd’hui à réclamer la revalorisation de ses langues, c’est qu’en grande partie il s’est aperçu à quel point il a été « méprisé » au travers et au moyen des autres langues ? Pourquoi est-ce que le décolonisateur devrait-il supprimer un mépris par un autre, une bêtise par une autre ?

 

Aboubakr TANDIA

Aboubakr TANDIA

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