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L’emergence Est Une Supercherie, « gumbe Du Jiite Yoon »

Au Sénégal, depuis quelques semaines, comme une parturiente qui est en dystocie, un concept mobilise les énergies et les compétences gynécologiques pour expulser ce bébé téméraire et résistant.

Le partogramme est appelé à la rescousse pour mesurer le niveau de progression de l’accouchement et déterminer avec précision les complications obstétrico-gynécologiques de la parturiente. Mieux, une extraction, ou une césarienne comme pratique technique médicale est réalisée pour faire face à cette dystocie prolongée. Finalement, les spécialistes ont réussi à expulser du ventre de la mère, le bébé qui était tant attendu. Ce bébé est la fierté du père, sans doute, plus que celle de la mère…

Les nouveaux tenants du pouvoir l’ont baptisé EMERGENCE. Comme un aîné « taaw », les griots, les laudateurs, les ami(e)s, les spécialistes saluent ce nouveau né qui cristallise toutes les attentions. Il mobilise les familles, les nouvelles alliances, les nouvelles filiations, les nouveaux penseurs et les nouveaux griotismes…Il est la boussole de la République et de ses tenants !!!

Délibérément, cet éditorial fait le parti pris d’éviter, à ce stade, les définitions et revues de littérature académiques sur l’émergence. J’ai beaucoup aimé ce que Moubarack LO, a écrit, dans sont texte sur l’Emergence économique des Nations. Définition et mesure, qui retrace quelques définitions et auteurs (Amartya Sen, Walt W. Rostow (1960) Harrod (1939) et Domar (1946), le modèle néoclassique révisé, Solow (1956), la théorie des institutions avec North (1990), Williamson (2000), Rodrick (2002) Acemoglu et al. (2004), l’analyse structurelle traitant de l’impact des transformations structurelles sur la croissance).

Cet éditorial fera aussi le parti pris méthodologique de ne pas développer les significations gréco-latines et celles appliquées de l’émergence dans des domaines aussi variés que la physique, la zoologie, la biologie, la géologie, la chronologie, la minéralogie.

Cet éditorial se veut plus stratégique et s’interroge sur notre capacité à « singer » et à être pourvoyeur et non producteur, consommateurs et non concepteurs de savoirs…

Les plans d’ajustements structurels des années 80 sont passés par là et ont plus « sous développé » notre pays qu’ils ne les ont enrichis. Les programmes de lutte contre la pauvreté sont passés par là.

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L’émergence est présentée à l’instar des autres catégories conceptuelles comme une donnée économique, qualitativement supérieure. L’histoire du développement de notre pays est ainsi consubstantiellement liée aux concepts internationaux qui semblent donner du sens et de la crédibilité.

Il y’a plus de 20 ans, j’étais étudiant à l’Université Gaston Berger de Saint Louis. Nous étions 50 en première année, 30 en deuxième année, sept en licence de sociologie urbaine et rurale, trois en maitrise. Je pouvais rendre visite – chez eux les professeurs – pour recueillir leurs commentaires sans compter les opportunités d’interactions académiques qui s’offraient à nous, privilégiés que nous étions.

Il y’a plus de quarante ans, je me rappelle, à Reubeuss, à Armand Angrand, les rues de Dakar étaient nettoyées la nuit comme en Europe. Notre cadre de vie était agréable les rues propres.

Il y’a quarante ans, nos paysans et nos villages étaient dans des conditions agricoles meilleures aujourd’hui, nos pasteurs plus nantis, les conditions d’études meilleures.

Il y’a quarante ans, plus ou moins, les exemples peuvent être démultipliés à l’extrême sur la qualité de vie, d’éducation, d’enseignement et de formation.

Plus de quarante ans après (ceci est juste une indication temporelle), pourquoi parlons-nous d’émergence alors que nos conditions de vie se sont dégradées ? Pourtant nous produisons plus de richesses.

L’émergence est un leurre conceptuel. Elle est une marque de fabrique. L’émergence n’est pas une catégorie économique. Elle doit être d’abord une catégorie culturelle. Penser que le développement se résume à des milliards est une supercherie de notre modernité que les tenants des pouvoirs actuels (et antérieurs) cherchent à valider auprès des sénégalais.

Construire des routes qui coûtent des milliards et voir des charrettes qui se bousculent et se disputent avec les voitures est un anachronisme frappant.

Construire des ponts à coût de milliards au moment où les passagers ne les empruntent pas est symptomatique des déséquilibres entre modernité technologique urbaine et mentalité ruralisante.

Emprunter des milliards pour se développer est une supercherie, une tromperie et une fraude. C’est postuler que les concepts priment sur les réalités et les factualités culturelles qui sont les fondements de l’émergence. L’argent voire la monnaie n’est qu’un instrument. Certes, il permet des échanges et est un élément important de l’émergence et du développement.

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Cependant, l’argent ne sera jamais suffisant pour impulser le développement surtout lorsqu’il est déconnecté des fondements et des pratiques culturels qui lui donnent du sens.

L’émergence ne s’exporte pas. Elle est ou doit être générée par un processus culturel endogène qui part des unités familiales aux agrégats macro-économiques. L’émergence comme toute culture exportée ne pourra jamais être le moteur d’un développement endogène durable.

Le Ghana avec Rawling, le Burkina Faso de Sankara ont-ils eu un PSE ? Assurément non !!! Quelques soient leurs limites naturelles, voila des dirigeants africains qui ont imprimé à leurs actions politiques du sens et de la direction.

Ils ont compris que l’émergence ne se réduit pas à des concepts élaborés dans les salons huppés de Bretton Woods par des experts qui ne savent pas où se situent Mandat Dépôt dans le Vélingara ou Sorokogne dans la Saloum ou Ndouloumadji Dembé/Founébé dans le Fouta.

Il est vrai que le capital international et ses affidés ne toléreront jamais des remises en cause profondes d’une vision endogène propre au Sénégal en particulier, à l’Afrique en général. Les martyrs se comptent par milliers. Mais nous n’avons pas le choix que de développer d’abord notre pays en s’appuyant sur nos énormes ressources qui devront faire de nous des pays riches et non pauvres.

Nous reviendrons prochainement sur un éditorial qui balaie d’un revers de main l’assertion d’un pays pauvre en dépit des classifications économiques fantaisistes d’institutions de Brettons Woods relayées par celles des Nations unies et similaires.

L’endettement qui est le principe de base de l’émergence (les tenants du pouvoir actuel se plaisent à nous rappeler les milliards de promesses issus du Club de Paris) se fera en exploitant toujours et encore plus l’humain. En trois siècles, la traite des nègres a déporté plus de 300 millions d’esclaves pour assurer notamment l’émergence des USA.

Avec l’émergence et les présupposés qui la fondent, nous allons qualitativement arriver à un degré supérieur qui va au delà de la traite négrière, au-delà de la crise des sub-primes, au-delà de la crise économique mondiale.

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Ce nouveau concept, pour moi, est le prélude à un processus calculé et irréversible d’accaparement de nos terres voire de mise en vente de notre pays.

A part le Brésil, le Sénégal est un des pays où des milliards d’hectares de terres sont vendus et mis au service des biocarburants par les chinois, américains, français et autres puissances du capital financier international.

Pourtant, nous avons investi des milliards dans les barrages de Diama qui devraient nous permettre d’exploiter au moins 340.000 hectares de surfaces aménagées. Nous n’avons pas encore réussi à en exploiter plus de 10%. Dans le même temps, des centaines de milliers d’hectares sont désaffectés et octroyés à des privés du capital international, prélude à la mise en vente subtile et progressive de notre pays.

Ce qui me désole le plus, c’est que le Président Macky Sall ne me parait pas avoir la vision et la volonté politique de faire face à ces graves menaces devenues réalités.

Ce qui est grave, c’est que notre intelligentsia dans son écrasante majorité continue d’être des consommateurs et des diffuseurs de ces idées forgées par des agendas extérieurs qui veulent mettre sous tutelle définitive notre pays.

L’émergence est un concept creux qui ne tient pas compte des complexités culturelles qui traversent notre pays. Elle est présentée comme une condition fondamentale de notre développement futur comme si ce dernier doit être déconnecté des modes de production culturels.

Est-il trop tard pour nous ressaisir ? J’espère que non !!!!

 

Abdou Ndao, Sociologue et Président du Cabinet Epistème

(*) Merci à Bëlëp David Ndéné Ndao pour la transcription et la traduction

Abdou Ndukur Kacc NDAO

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