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Macky Sall Entre Oligarchie Et Essaimage De La République

« C’est un malheur du temps que les fous guident les aveugles. » William Shakespeare

Quand une famille, un clan, une corporation ou un groupuscule quelconque s’apprête à faire main basse sur la république et la démocratie, le silence est synonyme de compromission. La république des essaims : voilà ce qui se trame au Sénégal depuis quelques temps et qui risque de jeter les fondements d’une oligarchie qu’il sera difficile de déboulonner. Une oligarchie est un système politique dans lequel l’autorité est partagée par quelques personnes ou un groupe restreint ou particulier (de personnes) qui exerce le pouvoir en poursuivant son propre intérêt. L’omniprésence des parents du couple présidentiel, de leurs amis et des journalistes (qui occupent une place privilégiée dans la liste des amis dudit couple) est trop flagrante et étouffante pour être passée sous silence.

Mansour Faye (maire et ministre), Marième Faye (épouse du Président disait quelques semaines avant le remaniement que si Mansour Faye n’était pas son frère il aurait été ministre depuis longtemps !), Adama Faye s’agite à Dakar, Aliou Sall (fait la pluie et le beau temps à Guédiawaye) à Rufisque Homère Seck le beau-père du Président Sall s’agite, A Pikine, Abdoulaye Thimbo oncle du chef de l’Etat est dans la mêlée et la liste est très longue ! Il ne sert à rien de vouloir légitimer cette omniprésence par un prétendu engagement des parents de Macky et de son épouse : combien de Sénégalais dont l’engagement à l’APR et la compétence ne souffrent d’aucun doute sont laissés en rade ?

La légitimité du Président, comme l’astre du jour, rayonne sur sa famille et ses proches et c’est naturel : ce qui est en revanche immoral c’est que les membres du clan présidentiel profitent de l’aura du Président pour convoiter des postes électifs ou nominatifs. Qui aurait entendu ces noms si Macky n’était pas Président ? La fonction de Président de la république est l’ultime honneur qu’un peuple peut faire à un homme ! Si j’étais Président de la république je travaillerais de toutes mes forces à bénir le peuple qui m’a fait cet honneur au lieu d’instrumentaliser cette fonction pour la promotion des miens. Je bénirais sans cesse ce peuple et si mes actes de reconnaissance ne suffisent pas je convierais ma famille et mes proches à rendre tous les jours hommage à ce peuple au lieu des les convier à un partage du gâteau. Qu’est ce qu’un être humain peut attendre de plus de ses concitoyens après avoir été choisi Président de la « res publica » ? Cette charge est tellement immense et noble que toute velléité d’y associer sa famille apparaît comme intempérance, immodération, boulimie et grossièreté.

Nous sommes des millions de Sénégalais, si une famille produit un Président c’est déjà quelque chose d’exceptionnel : la pudeur recommande alors aux membres de cette famille de faire preuve de tempérance et de modestie. Mais profiter de la légitimité de son frère, gendre ou beau-fils pour essaimer la république comme des abeilles, voilà ce qui est proprement insupportable pour la république et les républicains. Ils sont partout, dans toutes les sphères de l’État : à la présidence, dans le gouvernement, dans les directions, dans les collectivités locales, dans les marchés de l’État ! Comment les Sénégalais peuvent-ils supporter un tel processus d’essaimage de la république ? Ils ne s’en rendent même pas compte en réalité !

A côté l’essaim des Faye-Sall-Timbo, on a mis sur orbite l’essaim de journalistes. Essaim sur essaim : ce qu’il y a en dessous est forcément nébuleux ; la pénombre prend le dessus sur la lumière. La scène politique sénégalaise est ainsi verrouillée, mystifiée et manipulée de bout en bout. La manipulation a ceci d’ingénieux qu’elle est d’autant plus opératoire et efficace qu’elle est clandestine : ce n’est pas donné au grand public de percevoir le procédé manipulatoire et le manipulateur. Edward Bernays disait que la meilleure façon pour un responsable des ventes d’amener un public à consommer son produit ce n’est pas de vanter lui-même les vertus de celui-ci, mais de solliciter l’avis favorable des médecins sur les effets salutaires dudit produit. Car de par leur position, les médecins influencent nos habitudes alimentaires. C’est exactement cela la clé de décryptage de l’amitié entre le Président Macky Sall et les journalistes et/ou les membres de la société civile.

En effet, il n’y a pas, du moins dans les principes, meilleure sentinelle de la bonne gouvernance que les journalistes et la société civile : par leur position, ils sont crédités de probité et de neutralité, de sorte qu’en leur faisant cautionner certaines positions ou en s’entourant d’eux, on cherche à influencer l’opinion sur sa posture.

Pourtant rien ne vérifie cette présomption d’intégrité dont jouissent la société civile et les journalistes, il est fort à craindre que le jour où le vrai visage de certains acteurs sera découvert, ce sera un gigantesques crépuscule, une extinction définitive du soleil de l’imposture dans notre pays. Macky recrute, de façon intempérante, dans la corporation des journalistes pour, dit-on bétonner sa communication. Nous pensons qu’il s’agit plutôt de la perpétuation d’un cercle de mensonge né depuis 2008 : tous les maillons de la chaîne avaient participé à la capture et la domestication de l’opinion publique sénégalaise. Chaque maillon doit aujourd’hui être récompensé pour perpétuer la chaîne. Le cercle du mensonge politique : chacun (politiciens, journalistes) mentant et manipulant, ils finissent par se croire mutuellement. Ils diffusent ainsi dans le public une gamme d’idées et d’images simples mais efficaces. C’est ce qu’on appelle la contagion du mensonge : une vieille tare de la démocratie.

Ce que la stratégie d’essaimage de la république ne sait cependant pas c’est que la politique ne sera jamais une science, bien qu’elle soit obligée de recourir à quelques sciences : son ancrage dans l’humain lui enlève tout déterminisme, toute régularité. Le recrutement de sociologues, de journalistes, d’experts en communication et d’historiens correspond à un désir de satisfaire le rêve enfantin d’avoir une emprise sur les consciences humaines. Cependant un tel désir demeure inévitablement inassouvi, car l’homme est un véritable cosmos jamais complètement exploré : les Sénégalais finiront par comprendre.

 

Alassane K. KITANE

professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès.

Alassane K. KITANE

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