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Le Sénégal, Un Pays Francophone ?

Pour un pays dont moins de vingt cinq pour cent de la population parle le français, et quel français ( !), le Sénégal se plait à jouer le rôle de premier de la classe du monde francophone. Cette situation, pour le moins ubuesque, doit nous interpeller et nous amener à nous interroger sur le bien-fondé de cette posture pour ne pas dire imposture…

Tenez, allez dans n’importe laquelle des administrations sénégalaises et essayez de tenir une conversation en français avec les agents administratifs de base.

Vous n’y arriverez pas. Et si, Sénégalais bon teint vous insistez, il s’ensuivra, dès que vous aurez le dos tourné, un commentaire du genre : «Thiey ! Toubab bounioul, waw xana ki deggoul wolof ?»

… Et vous aurez remarqué que le français poussif qui vous aura été servi, si douloureusement, serait plus proche du créole que de la langue française telle que célébrée par l’Académie du même nom…

Alors, si après plus de trois siècles de domination française et cinquante-trois ans après l’indépendance, même l’Administration n’est pas franchement francophone, que dire du reste de la population ?

Il s’y ajoute que Monsieur le ministre de l’Education nationale vient de rendre publics les résultats d’un test sur les capacités des enseignants en français en ces termes : «Lorsque nous avons fait ce test, ce sont 9% des enseignants  qui peuvent enseigner le Français, 39% qui peuvent enseigner en langue française» … Peut-on imaginer la qualité des élèves passés entre de si bonnes mains ?

Cela pour dire que la francophilie du Président Senghor a agi tel un prisme déformant sur la réalité objective de l’acclimatation du français au Sénégal et même, plus généralement, en Afrique dite francophone. Le fait que le President Abdou Diouf, ancien chef d’Etat du Sénégal, préside aux destinées de l’Organisation internationale de la francophonie, permet à l’illusion de se prolonger… Qui a intérêt, au fond, à cette vaste tromperie ?

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La France qui se paie à bon compte une zone d’influence sans grands frais ? Sans investissements massifs dans nos systèmes éducatifs pour consolider la diffusion de sa langue.  Sans l’instauration d’un visa francophone qui permettrait la mobilité des étudiants et universitaires dans l’espace francophone. Sans mutualisation des centres de recherches et archives en Français pour promouvoir le renforcement des capacités des chercheurs francophones.

Or, sans certains outils agressifs de diffusion de la langue française, celle-ci est condamnée face au rouleau compresseur de l’Anglais. Ne voilà t-il pas que la France politique, pragmatique à souhait, élargit le cercle de ses invités annuels aux pays africains… anglophones ! Plus intéressants au plan économique avoue-t-on.

Tiens, tiens… le business, bastion imprenable de l’Anglais, langue des sciences et des nouvelles technologies, rappelle à l’ordre les idéalistes du rayonnement de la langue et de la civilisation françaises. Et comment ! «Il faut investir en Afrique pour créer et consolider 200 000 emplois en France», affirme avec vigueur le Président François Hollande. Et cela à tout prix ? Serval ? Sangaris ? Le prix du sang…

Alors, dans ce nouveau contexte,  quel avenir pour nos pays avec la langue française en bandoulière ? Bonne question à la veille d’ac­cueillir un Sommet de la francophonie !

De mon point de vue, le français devra être perçu, de plus en plus, comme un outil bien pratique d’intégration africaine et un moyen de résistance à la politique d’une certaine France en Afrique !

Eh oui, pied de nez de l’Histoire, la communication entre un Sénégalais et un Congolais n’est possible qu’en français … fut-il laborieux et couleur locale ! Les avantages de l’usage du français pour la construction d’un espace économique et culturel panafricain sont, paradoxalement, un des seuls intérêts de cette langue  «ramassée dans les cendres de la colonisation».

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A la condition que nous conduisions les destinées de nos pays en fonction de nos propres intérêts et non de ceux de la France politique tels qu’énoncés clairement par le Président François Hollande lors de la réunion de Paris. Il est dans son rôle au demeurant, le brave Monsieur Hollande ! 10,5% de taux de chômage soit trois millions de chômeurs et des poussières, ça rend lucide. Et nos dirigeants alors ?

Dirigeants de pays où le chômage est la règle et le travail l’exception ! Quelle est leur vision stratégique dans l’espace francophone ? Quelles synergies entrevoient-ils entre le français, langue de communication internationale, et nos langues nationales ? Ce, au vu de la nécessité impérieuse de les valoriser pour accélérer la diffusion du savoir et des savoir-faire dont nos pays ont grandement besoin pour se développer rapidement.

D’un autre côté, quelles stratégies pour accélérer l’apprentissage de l’anglais, de l’arabe et… du mandarin, ces langues devenues indis­pensables pour s’accrocher au train de la mondialisation ! Car il nous faut, enfin ( !) dissocier l’usage de la langue française du rayonnement de la France ! Tel était l’un des propos des indépendances chèrement payées et dont nous sommes en train de brader les acquis à l’autel d’une recolonisation rampante ! L’appel au secours lancé par les dirigeants africains lors de la crise malienne, les initiatives françaises en Centrafrique, vont à contresens de l’Histoire. Il est préoccupant de constater que la plupart des hommes et des femmes, aux commandes dans tous les pays africains aujourd’hui, houspil­laient le colonialisme et le néocolonialisme et étaient, pour certains, aux avant-postes des luttes syndicales et politiques post indépendances. Que vous arrive-t-il, Camarades ?

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Au fond, le drame de l’Afrique ce sont ces élites, complexées et amnésiques, qui trahissent les serments de leurs engagements primordiaux à l’autel des lambris et des dorures du pouvoir. Il est temps de les secouer fortement !

 

Amadou Tidiane WONE

Ecrivain, Ancien Ministre – Ancien Ambassadeur

woneamadoutidiane@gmail.com – www.facebook.com/amadoutidianewone

Amadou Tidiane WONE
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