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Affairement Sécuritaire Au Sénégal : Entre Big Brother Et Extraversion Sécuritaire

Jusqu’ici le gouvernement du Président Macky Sall faisait reposer sa politique de sécurité nationale sur le renforcement des moyens des forces de défense et de sécurité. L’insuffisance des effectifs et le vieillissement des corps de sécurité se mêlant à la montée de l’insécurité dans les quartiers semblent avoir justifié la mise en place des agents de sécurité de proximité, un corps dont la légitimité et l’opportunité étaient fortement controversées. Par ailleurs, l’efficacité technique et le calibrage éthique de ce corps, au demeurant difficile à qualifier – on ne sait pas s’il relève de forces civiles ou paramilitaires – est mise en doute par la réalité concrète de tous les jours.

Au-delà de cette situation pour le moins ambivalente, la sécurité nationale a subi des vexations aigues venant de l’intérieur du secteur. Plus que dévoiler la pourriture bureaucratique et les apories persistantes de l’autoritarisme, les scandales de corruption et de banditisme au sommet de la hiérarchie sécuritaire qui ont explosé ces deux dernières années renseignent à plus d’un titre sur la gravité de la question du service public de la sécurité. Bien que la tendance ait souvent été de les ignorer, voire les enrayer, assez souvent pour des raisons politiciennes et par manque de courage politique, ces dimensions morales et déontologiques sont d’autant plus inquiétantes que nos forces de sécurité ont été les auteurs de plusieurs assassinats et meurtres jusqu’ici restés impunis. On en est arrivé à ce point que l’on devrait se demander si la santé morale et déontologique ainsi que la redevabilité dans la justice militaire ne sont pas des chantiers à inscrire dans le tableau des urgences de la politique de sécurité nationale. Pourtant, c’est assez regrettable de le constater, les défis sécuritaires du gouvernement semblent être autres.

Sur les traces de Big Brother

On s’en aperçoit lorsque l’on jette un regard sur quelques événements ayant trait à l’action du gouvernement en matière de sécurité nationale. Sous le prétexte de la crise de l’épidémie de la fièvre Ébola, des téléphones de type militaire ont été distribués aux forces de sécurité frontalière. Ensuite, le renseignement national connait un nouvel épisode de centralisation avec des installations censées avoir été effectuées au Palais, par un gouvernement étranger en plus qui en aurait fournit le matériel, avec tous les risques d’espionnage illégal et subversif auquel les organes de l’Etat, les fonctionnaires, les populations et les entreprises nationales peuvent être exposés. Voilà que le gouvernement a décidé d’installer des puces sur des cartes d’identité et d’électeur des citoyens, sous le prétexte de la rationalisation et de l’amélioration du système électoral. Lequel prétexte, en plus d’être quelque peu fantasque, expose à suffisance les visées politiciennes de ce qui apparaît comme un enthousiasme effrayant pour la sécurité. Inutile de préciser que ce matériel sera probablement fourni par un gouvernement étranger tout comme les experts (probablement des militaires) qui se chargeront des opérations techniques.

Compte tenu de ce qui relève de l’évidence lorsque l’on est un peu familiarisé avec ces questions-là ainsi qu’avec l’histoire politique nationale, en relation avec les suspicions persistantes sur la sensibilité de notre Exécutif aux campagnes de séduction des groupes multinationales et de gouvernements étrangers depuis son accession au pouvoir, le temps est peut-être venu de prendre au sérieux l’hypothèse de la mise en place d’un Etat-policier qui sera en mesure d’anticiper et de briser les résistances et les défections légitimes de ses populations en cas de besoin, même si ce ne serait guère au nom de la sécurité nationale et de l’intérêt général. C’est à cela que sert la mémoire, autant la générosité du régime d’Abdoulaye Wade envers la police avait suscité de l’enthousiasme naïf, autant il a fallu en subir la brutalité pour venir à bout de ses excès un 23 juin 2011. L’anxiété que suscite cet affairement sécuritaire prend de l’épaisseur lorsque le Ministre de l’Intérieur annonce la volonté du gouvernement, avec un projet de loi à l’étude, de rattacher le corps de la gendarmerie à son département.

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Cette décision étrangement brusque semble pour le moins relever d’un autoritarisme bureaucratique de la part de l’Exécutif gouvernemental. Le caractère autoritaire de cette décision réside dans le fait qu’il ne semble guère découler d’un processus de consultation et d’étude entre l’Exécutif d’une part, et la hiérarchie militaire de l’autre. C’est ce que suggèrent les réactions indociles des gradés de la gendarmerie contre la décision de jumeler deux corps très différents à bien des égards : le statut civil et paramilitaire de la police diffère d’avec celui militaire de la gendarmerie ; la réputation des deux corps les placent également à des niveaux éloignés de l’allocation de la confiance publique ; les prérogatives pénales de la gendarmerie sur les autres corps militaires et paramilitaires dans le cadre de la justice militaire et, variation de taille, les vocations urbaines de la police en opposition à celles rurales de la gendarmerie.

Assez pour penser que la décision de concaténer la gendarmerie et la police, car c’est de cela qu’il s’agit et que l’on ne veut pas avouer, pourrait tenir à deux raisons essentielles. La première, c’est la possibilité d’étouffer les nombreuses tares des corps de police et de gendarmerie dont les scandales à répétition constituent les avatars. Ce qui, dans le même temps, permettrait au gouvernement de dissimuler son manque de courage politique et son embarras pour prendre à bras le corps le problème de la corruption des forces de sécurité. Pourtant, on sait qu’il ne saurait y avoir pire pour la sécurité d’une nation que le banditisme d’Etat qui prospère dans le silence feutré de la soldatesque. L’argument d’une frayeur symptomatique de la part de l’Exécutif vis-à-vis de l’assainissement du commandement de la sécurité et de la défense nationales semble être appuyé par un certain nombre de facteurs : dont en premier lieu, l’appartenance du noyau de l’Exécutif actuel à la magistrature précédente qui a été vertement mise en cause dans les nombreux cas de banditisme civilo-militaire, comme ceux décrits par l’ouvrage du Colonel Ndao et de ses soutiens dans son corps de métier. En second lieu, on se souvient encore du traitement étonnamment expéditif de l’affaire de la drogue au sein de la police.

La seconde, c’est la mise en place par le régime actuel d’un dispositif d’espionnage d’État contre sa population et ses adversaires politiques. Ce qui pourrait participer d’une ambition plus vaste de subjuguer les forces politiques qui n’adhéreraient pas à ses projets et à son action. Ce deuxième aspect pourrait en même temps servir des intérêts étrangers si on prend en compte le fait que le renseignement militaire et civil qui constituent le socle de la sécurité nationale demeurent sensibles aux injonctions des gouvernements étrangers comme la France, Israël et les Etats-Unis, dont on a tendance, on le sait, à céder à l’altruisme empoisonné. Cette dynamique de mise en place d’un Etat-policier n’est pas à isoler de la générosité étrangère dans l’allocation d’équipements de renseignement et de surveillance militaire et de veille sécuritaire. Le fait qu’on ait recouru à des structures publiques nationales comme l’Autorité nationale de Régulation des Télécommunications et Postes pour dissimuler l’origine d’équipements sécuritaire et la sollicitude suspecte de ces gouvernements en dit long sur ce qui se joue véritablement derrière cet affairement sécuritaire soudainement entamé et presque généralisé.

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Extraversion sécuritaire et falsification de la donne sécuritaire

Comme on le voit, le problème fondamental et récurrent, comme c’est souvent le cas avec la sécurité nationale des gouvernements en quête de légitimité ou à faible performance, c’est que la sécurité nationale est susceptible de devenir l’instrument de clans politiques, d’entreprises privées et de sectes mafieuses qui se servent de la philantropie interservices, des gouvernements étrangers et de l’aide internationale en matière de logistique et de financement au nom de la lutte anti-terroriste. En caractérisant les priorités du gouvernement en matière de sécurité, le Ministre de l’Intérieur justifiait la hausse du budget de son département pour l’exercice prochain par le fait que des programmes importants devaient servir de réponse « aux enjeux sécuritaires liés à l’environnement sous-régional », faisant ainsi inconsciemment aveu de l’orientation extravertie du gouvernement en matière de sécurité nationale.

Sans pour autant minimiser les menaces de l’insécurité transfrontalière, encore moins ignorer la menace terroriste, on ne peut pas néanmoins laisser falsifier la structure d’ensemble et laisser abuser l’opinion publique nationale. Le type structurel de criminalité transnationale dont le Sénégal et les pays de la sous-région ont toujours souffert et continuent encore de souffrir a moins à voir avec le terrorisme qu’avec la criminalité transfrontalière – coupeurs de route, braquages, braconnages des écosystèmes périphériques (forêts, parcs et réserves), milices post-conflits non désarmées et non intégrées, trafic de drogue, blanchiment d’argent et cybercriminalité. Les populations frontalières aux pays voisins du Sud ne diront pas le contraire. Elles n’ont jamais cessé de s’insurger contre le pillage des forêts de la Haute Casamance et des environs de Niokolo-Koba, les bandes armées et les coupeurs de routes. Cette situation n’a pas seulement pour conséquence fâcheuse de jeter le gouvernement dans les travers du biais de l’extraversion sécuritaire, consistant au déclassement stratégique et politique des enjeux concrets de sécurité nationale au profit d’enjeux abstraits, fictifs, dont seuls les gouvernements étrangers et les entreprises multinationales servant de bailleurs ont la capacité technologique et les prérogatives exclusives (règle du plus fort) d’en établir la mesure et, éventuellement, d’en exagérer à leur guise les contours. Cette situation est susceptible de démobiliser l’État-major des armées ainsi que les troupes autour des politiques publiques de sécurité, avec toutes les conséquences néfastes qui viennent avec.

Les problèmes structurels de la sécurité nationale au Sénégal sont connus de tous et touchent essentiellement à la sécurité publique et la sécurité du territoire. La première a trait à l’incapacité chronique des forces de sécurité à assurer la sécurité des personnes et des biens du fait de la corruption généralisée aussi bien au sommet de la hiérarchie et dans les unités sur le terrain. Il faut y ajouter l’insuffisance des forces, leur sous-équipement, et le manque de discipline, lequel tient de la qualité défaillante de la formation. La seconde tient principalement à l’insuffisance des unités d’intervention aux postes frontières et le sous-équipement. Si bien que, on l’a dit, la stratégie globale de sécurité nationale du gouvernement du Sénégal reposait initialement sur le renforcement des effectifs à travers la hausse des enrôlements ainsi que sur le renouvellement progressif de l’arsenal d’urgence.

C’est dire combien il est difficile de voir en quoi le rattachement de la gendarmerie au Ministère de l’Intérieur pourrait-elle changer la donne ainsi décrite. D’autant plus que séparée ou non, la gendarmerie est déjà impliquée avec la police dans les deux pans essentiels de la sécurité nationale telle qu’on l’a connue jusqu’ici et telle que les nouveaux défis se présentent en toile de fond des considérations d’ordre structurel et géopolitique. On sait également que la gendarmerie est de loin mieux réputée que la police dans ce sens. La question est donc de savoir si le rattachement envisagé ne compromettra pas cette réputation tout en ouvrant la porte à de nouveaux risques non calculés. Le corps de la gendarmerie sera-t-elle prêt à troquer cette gloire contre une tentative obscure de passer sous silence ses préoccupations en matière d’assainissement dont l’inaction impartiale suite aux scandaleuses affaires révélées ces derniers mois en constitue un filon trop flagrant ? Quel pourrait être ce lien-là si ce n’est que le contrôle de la gendarmerie par le Ministère de l’Intérieur, et partant, par l’Exécutif suprême, offrirait des avantages énormes en matière de contrôle et de surveillance de la population et des forces politiques indociles.

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Il n’y a pas de sécurité avec des rentes et une mise à l’écart de l’Armée

De toute évidence, le gouvernement serait en train de faire de mauvais choix sécuritaires pour deux raisons au moins: ou bien on est en train quelques parts de manipuler l’Exécutif suprême de l’État pour diverses ambitions sectaires voire mafieuses ; ou bien on tient en haut lieu à contourner les véritables problèmes et à étouffer des menaces aux projets hégémoniques de l’Exécutif, tout en préférant tirer parti des encaissements parallèles au titre des rentes générées par l’aide à la lutte anti-terroriste. Quoi qu’il en soit, il y a une grande urgence à prendre au sérieux et à ne pas précipiter les décisions en matière de politiques publiques en général, sur les problèmes de sécurité nationale en particulier. Généralement, les politiques publiques deviennent des carcans fatalement éprouvants une fois qu’elles sont mises en place, pour la bonne et simple raison qu’elles engendrent des rentes dont la suppression ou le maintien en coûtent beaucoup plus que ce qui a été initialement consenti pour ces politiques.

Dans la mesure où ces cas de figure sont parfois inévitables, à charge alors pour les gouvernements de s’assurer que ces rentes n’impliquent pas des forces ennemies ou des clans mafieux. Cette précaution commence en amont dès l’agitation des idées en guise de réponses aux demandes publiques. Voilà pourquoi autant on devrait s’étonner que l’Assemblée Nationale n’ait pas interpellé le gouvernement et le Ministre de l’Intérieur sur les équipements fournis à travers l’ARTP aux forces de sécurité et au renseignement, autant on recommande que les parlementaires de l’Assemblée et du Conseil Économique, Social et Environnemental se saisissent des décisions annoncées par le Ministre pour exiger des études de contrôle et des concertations entre l’Exécutif, l’Armée et le Pouvoir judiciaire. Ce qui est certain c’est que dans un État de droit on ne peut pas décider avec succès de la sécurité et de la défense nationales sans l’avis ultime de l’Armée, encore faudrait-il que celle-ci fasse l’objet d’une épuration salvifique.

 

Aboubakr Tandia

Aboubakr TANDIA

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