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La Déclaration De Patrimoine : De Quelles « Mains Sales » S’agit-il ?

Le 26 avril 2014 nous consacrions une petite réflexion à la loi sur la déclaration de patrimoine votée le 21 mars 2014 par l’Assemblée Nationale du Sénégal.  Dans ce texte que nous avions intitulé « Le grenier, les « mains sales » et la loi sur la déclaration de patrimoine », nous nous interrogions sur la portée et l’efficience de cette loi. Nous avions particulièrement remis en cause la restriction de la force de cette loi dont la conséquence était de laisser des opportunités ouvertes à la perpétuation des crimes économiques et financiers, cela en dépit des explications et des assurances fournies par le Ministre de la Bonne gouvernance de l’époque, lesquelles nous paraissaient insuffisamment fondées à plus d’un titre.

Quelques mois après la promulgation de cette loi, il se trouve que son application est en bute à des obstacles multiples dont le plus important reste aujourd’hui le refus de certaines personnes assujetties de céder par déférence à la rigueur des dispositions de la loi. La conséquence est qu’il n’est pas encore possible, encore moins garanti, que les gouvernés et l’Etat lui-même soient en mesure de distinguer le grenier national des avoirs des gouvernants. Au-delà de ce refus, nous pensons que des questions plus importantes se posent, mettant en exergue la nature des enjeux qui entoure la mise en application de la loi. C’est à l’élucidation de ces questions et de ces enjeux-là que ce présent liminaire est destiné. Nous pensons qu’au final cette loi, comme tant d’autres et à l’instar de l’affaire de la répression des biens mal acquis, c’est la légitimité du chef de l’Etat et la force des institutions républicaines qui sont en jeu. Pour nous en rendre compte, commençons par prendre tour à tour les arguments de ceux qui refusent de se soumettre à la force de la loi ou tentent de s’y soustraire.

Incapacité pour les uns à justifié leur patrimoine

Quelques uns se montreraient incapables de justifier leur patrimoine si l’on en croit les aveux publics de la Présidente de l’Office national anti-corruption (OFNAC). Á l’une des émissions « Grand Jury » de la chaine privée multimédia TFM, cette dernière a déclaré qu’un ministre l’aurait réveillé à une heure tardive pour lui faire l’aveu de son incapacité à déclarer son patrimoine. Il reste à savoir s’il s’agit dune incapacité matérielle ou morale. La Présidente de l’OFNAC d’ajouter qu’un autre ministre se serait allé à des aveux et des conjectures indignes de sa fonction. D’autres, poursuivait la Présidente de l’OFNAC, voudraient que son service torde le cou à la loi et aux procédures pour faire enregistrer leur déclaration de patrimoine de manière dérogatoire aux dispositions formelles de la même loi. Autrement dit, la plupart des assujettis à la loi sur la déclaration de patrimoine souhaiterait s’y prendre sans fournir les justifications requises pour en établir le caractère licite, comme le prévoit la loi. Et d’autres prétendent ne pas être en mesure de déclarer leurs avoirs bancaires, déclare la patronne de l’office.

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La question que l’on est tenté de se poser est de savoir comment le Président de la République a pu se permettre la liberté (au sens administratif de l’expression) de placer ces personnes aux stations de régents financiers et techniques au sein du gouvernement et de la haute administration sans considération de leurs états patrimoniaux pour le moins recommandables? Le Président avait-il pris la peine de considérer et de déférer lui-même aux procédures d’enquête de moralité préalablement à sa décision de leur confier de telles fonctions ? Si Oui, comment se fait-il que l’OFNAC rencontre aujourd’hui les difficultés dont la présidente a fait état pour avoir connaissance du patrimoine des assujettis à la loi ? Si Non pourquoi ces autorités-là se sont-elles retrouvées au sommet depuis, et font-elles montre d’autant de gêne et de réticence pour accéder à une loi dont elles n’ignoraient pas à l’avance les répercussions ? Pourquoi ces personnes assujetties à la loi ne peuvent-elles pas tout simplement démissionner si elles ne peuvent pas ou ne tiennent pas à révéler leur patrimoine et à en prouver l’origine licite ? Leur patrimoine a-t-il été accumulé avant ou pendant leur promotion à leurs fonctions respectives ? Ces questions ont leur importance dans la mesure où elles permettent de dégager le champ et la gamme des divers niveaux de responsabilité dans cette affaire. En même temps, elles permettent d’envisager le lien vital entre la déclaration du patrimoine du chef de l’Etat et celle des autres membres de l’Exécutif gouvernemental.

D’autres remettraient en cause la légitimité de l’Office national anti-corruption (OFNAC)

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Mettant en doute la moralité de quelques membres de l’OFNAC, certaines personnes assujetties craignent que leurs précédents personnels avec ces membres ne leur coûtent un traitement impartial de leur dossier, voire un usage abusif à des fins peu orthodoxes de leur déclaration de patrimoine. Cette crainte ressemble beaucoup a celle d’accusateurs d’hier qui risquent de se retrouver « accusables » aujourd’hui. Comment une telle crainte pourrait-elle se justifier si le patrimoine a été licitement accumulé en conformité extensive avec les dispositions de la loi ? De telles craintes ne posent-elles pas la question de la fiabilité de la procédure et des conditions de recrutement du personnel gouvernemental et administratif de haut niveau ? Par ailleurs, l’on est manifestement amené à constater que l’Etat n’a aucun moyen de disposer des informations dont elle a besoin et auxquelles il a droit à chaque fois que de besoin, notamment des informations du genre relatives à la crédibilité et à la légitimité des fonctionnaires et haut cadres qui sont préposés aux services les plus sensibles et les plus importants que l’Etat peut leur confier.

Et s’il s’agissait de pire ?

Au-delà, de tels faits, jusque-là non démentis publiquement, renseignent sur l’étendue de la corruption parmi les hauts cadres de l’administration et les membres de l’Exécutif gouvernemental. Pis encore, ils étalent au grand jour la nature de la culture politique de nos dirigeants dont on voit à quel point elle est aux antipodes de ce que prétendent les slogans de la rupture et l’idée de l’émergence. Le fait que ces hauts cadres contournent les règles et le protocole gouvernemental pour s’adresser directement et en privé à la directrice de l’OFNAC montre leur peu d’égards pour les fonctions qu’ils occupent, les valeurs et les principes qu’ils sont censés servir ainsi que l’intérêt général. Pire encore, de tels  agissements suggèrent que leurs auteurs ne semblent pas témoigner suffisamment de respect pour le chef de l’Etat et la République qu’ils ont jurés de servir en bonne foi.

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Le Chef de l’Etat a-t-il un contrôle réel et efficace sur les membres de son gouvernement et de la haute administration dont la nomination et le choix sont souvent de son ressort personnel et direct ? En effet, n’est-ce pas d’ordinaire le chef de l’Etat qui nomme aux emplois civils et militaires ? La quasi-totalité des membres du gouvernement et de la haute administration ne sont-ils pas issus de sa formation politique l’APR en dehors de ceux qui viennent des partis alliés de la coalition Bennoo Bokk Yaakaar (BBY) ? Le refus des personnes assujetties de se plier à la procédure de la déclaration de patrimoine voudrait-il dire que ces derniers ne prennent pas le chef de l’Etat en exemple ? Ont-elles des doutes sur le patrimoine du chef de l’Etat pour ainsi montrer autant de courage et peu de détermination à s’exécuter devant la loi ?

L’ensemble des questions ici posées montrent en outre comment la situation de refus remet en cause la légitimité même du chef de l’Etat au-delà de celle de la loi, ou, pourquoi pas, de l’OFNAC. Car, à l’évidence, c’est de cela qu’il s’agit, si effrayante que puisse être l’épreuve qui consiste à envisager la question.

 

Aboubakr Tandia

Aboubakr TANDIA

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