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Lapidation Du Cortège Présidentiel à L’ucad : «de Ce Que La Violence Physique Peut être Symbolique»

Les jets de pierres dont le cortège du Président a récemment fait l’objet à l’Ucad ont été, à juste titre, unanimement condamné, mais on n’a presque pas pris la peine de l’analyser froidement. La violence, quelle qu’elle soit, est toujours regrettable dans les affaires de la cité, car elle n’a rien de proprement humain.

La définition de la violence comme excès de force ou comme force brutale et extrême révèle déjà qu’on la déprécie d’une certaine façon. Il faut néanmoins reconnaître que le rapport de l’homme à la violence est à la fois complexe et ambigu : nous la redoutons et la condamnons lorsqu’elle s’abat sur nous et la réclamons en même temps contre nos adversaires et ennemis. Il y a manifestement une ambivalence de la violence révélée par la relation paradoxale que nous entretenons avec elle. Dans l’éducation de nos enfants, dans l’art, dans le sport et dans la politique, la violence est omniprésente. Si ce n’est pas la violence physique, c’est celle morale ou verbale qui est utilisée. Le statut de la violence dans la société est donc problématique.

Exercer la contrainte physique sur autrui (emprisonnement, coups et blessures, etc.) est une forme de violence physique. Humilier, rabaisser, insulter, snober son prochain ou exhiber de façon arrogante la prospérité aux yeux de celui qui croupit dans la misère sont des cas de violence morale. Cependant, la violence physique peut parfois être purement symbolique. Que dire de cette gifle qu’une dame svelte inflige à son époux dix fois plus puissant qu’elle ? Elle sait bien qu’une telle gifle ne le corrigera pas, mais elle veut juste lui exprimer sa profonde indignation et son désespoir de lui faire entendre raison. Aussi, se demande-t-on souvent : «recourir à la violence, est-ce désespérer de l’humain ?». C’est évident que cette dame qui gifle ainsi son époux est symboliquement en train d’éveiller la raison qui somnole en lui ou qui est usurpée par les passions.

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Il est donc probable que ce que les étudiants voulaient réellement lapider, c’est la surdité incurable dont ce régime fait montre à l’endroit de leurs complaintes. Car si rien ne peut justifier un jet de pierres sur l’institution présidentielle, il est tout aussi injustifiable qu’un régime parade à l’université en habillant ses sbires aux couleurs du parti aux dépens de la solennité de la République qui devrait en pareille occasion, rythmer l’évènement.

Quand la République elle-même tombe dans les abus ou les abimes de l’extravagance et de l’ostentation, les citoyens ostracisés et violemment ignorés n’ont plus d’autre choix que de secouer la République par une violence somme toute symbolique. De même que l’épouse furieuse contre l’incapacité de son mari à entendre raison, sait que la violence qu’elle lui inflige n’est qu’une façon de toucher son amour-propre, les étudiants ont voulu réveiller le Président de sa torpeur. De même également qu’aucun époux civilisé ne rendrait la gifle à son épouse, un Président qui a de la hauteur devrait faire preuve de dépassement dans une telle affaire, afin de méditer profondément le sens caché de l’intifada des étudiants. Tant qu’un homme n’est pas capable de noyer sa force dans un mur de faiblesse pour mettre sa femme en confiance, il n’est pas encore fort ; de même un Président qui n’est pas capable de décoder dans l’indulgence le sens de la parodie de violence d’étudiants déboussolés est faible.

Notre conviction est que le mode de communication dont ce régime fait preuve envers les étudiants est d’une violence tellement inouïe, qu’elle ne peut qu’engendrer la frustration et la révolte. On ne peut pas se permettre de faire une propagande si éhontée dans un milieu tellement rempli de craintes d’un avenir incertain, de désespoirs dans une société peu inventive, de regrets face à tant d’acquis remis en cause. Quand on use de la communication unidimensionnelle, quand on étouffe les voix dissonantes par un tapage sans répit, on est en train de semer les germes de la violence. Nous avons une jeunesse déboussolée et quasiment exclue des instances de décision la concernant, et il nous faut inventer un nouveau mode de communication au lieu de leurrer le monde avec des simulacres de réalisation. Le langage est justement un moyen qui permet aux hommes de communiquer, or la communication est un levier essentiel dans l’annihilation de la violence. En effet, c’est la communication qui réduit les distances entre individus et cultures, réduit les différences et résout les différends que l’on cherche à solder souvent par la violence. Celle-ci n’est généralement utilisée que lorsque le dialogue, la persuasion, ne sont plus suffisants. On dit souvent que la violence est l’expression de la pensée morte, pour signifier que recourir à la violence est un aveu d’échec de la pensée vraie, du discours convaincant ou même persuasif.

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J. Habermas a raison, en analysant la communication, de distinguer l’«agir communicationnel» de l’«agir stratégique». Celui-ci ne vise que l’efficacité alors que l’agir communicationnel vise l’intercompréhension et le consensus. L’agir communicationnel nous révèle notre essence d’humain en ceci que c’est un principe qui implique que toute vérité, toute norme sociale, doivent être discutées et éventuellement remises en cause. Un tel principe implique ce que Habermas appelle une éthique de la tolérance et de la libre communication entre citoyens, entre humains. Il y a toujours eu de nouveaux pavillons dans le campus et des amphithéâtres, mais ça n’a jamais occasionné un tel tintamarre. Il est temps que ce régime arrête sa propension à être un régime de racleur de projet infrastructurel. L’agir stratégique peut opérer un temps et avoir plus ou moins de succès, mais il ne peut remplacer les actes qui parlent d’eux-mêmes. Les actes suffisamment significatifs n’ont point besoin d’être chantés, car ils sont en eux-mêmes des chants immortels.

 

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck

Thiès.

Alassane K. KITANE
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