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Lendemains Référendaires : Le Cœur Du Débat N’est Pas Au Cœur Du Débat

20 mars 2016 est une date repère d’un événement majeur dans l’histoire politique du Sénégal. Entre les deux modalités du choix, le «Oui» a fini par l’emporter officiellement. Le débat public des suites référendaires n’est pas allé au-delà des vices organisationnels et des arguments émotionnels tentant de justifier la défaite du «Non» face au «Oui», celle du «Oui» face au «Ni Oui ni Non». Au lendemain de ce jour historique, le Sénégal se dote d’une nouvelle charte fondamentale avec des implications politiques majeures sur lesquelles il est important de focaliser le débat public afin que tout potentiel désagrément dérivé puisse être détecté tôt, discuté largement et solutionné efficacement. Parmi ces points, nous en soulignerons trois.

I. Le dérèglement de l’horloge électoral

Dorénavant, si la tendance se maintient, le Sénégal va organiser trois élections majeures tous les deux ans et demi en moyenne, avec une année bi-électorale (présidentielle et locales) une fois sur deux, selon une série de séquences alternes de deux et trois ans. Soit d’ici 2035, date de rendez-vous avec l’émergence, le bilan électoral aura à son actif une douzaine de consultations, ce qui n’est pas sans risques majeurs.

1.1. Risque économique important

Le Sénégal est un producteur mondial de salive. Pire, les élections constituent d’importants gisements avec une production pré, per et postélectorale à hauteur de millions de barils de salive par jour. Pendant ce temps, le seul gage de croissance ou d’émergence au sens générique du terme, notamment la production nationale de sueur, déjà très faible, va accuser une baisse drastique. En fin de course, on s’étonne du grand bond en arrière, d’être passé du dernier des premiers au premier des derniers. C’est le paradoxe senegalensis ou le mirage du miracle. Vouloir et attendre de vrais résultats sans réellement agir pour ; mais juste se donner beaucoup de peine pour faire semblant de faire. D’ailleurs, au Sénégal, faire semblant de faire est une façon de faire ; elle est même très répandue.

Autant dire que d’ici l’horizon 2035, aucune plage ne sera sérieusement aménagée à l’élaboration et l’opérationnalisation de véritable politique de développement. Le Plan Sénégal Emergent trouve ici une menace très sérieuse du fait de l’hyperfréquence électorale. Si une démocratie respire par la voie des élections, dans notre nouveau cas d’espèce, le risque de suffocation démocratique est réel.

1.2. Forte probabilité de cohabitation, source d’instabilité politique

Nous distinguerons deux types d’avènement de cohabitation qui ont le même pronostique politique :

  • La cohabitation-sanction : Il s’agit d’un évènement parlementaire sanctionnant le président dont le mandat est en cours par la perte de sa majorité législative. La survenue d’un tel événement serait inédite au Sénégal malgré notre supposé long passé démocratique ou plutôt électoral.
  •  La cohabitation-alternance : Il s’agit de la survenue d’une alternance à la tête de l’Etat avec un président nouvellement élu qui trouve en place une Assemblée nationale au sein de laquelle il n’a pas la majorité. Ce fut le cas avec l’alternance politique de 2000 au décours de laquelle le président Wade, accédant au pouvoir, trouve en place une Assemblée nationale majoritairement socialiste (93 députés sur 140) en cours de mandat.

Dans les deux cas, il s’agit d’un pouvoir exécutif sans majorité parlementaire. Le corollaire d’une telle situation, c’est une sorte de dualité au sommet de l’Etat, cas hautement confligène. Du coup, s’installe un imbroglio parlementaro-exécutif. L’opposition devient de fait la majorité parlementaire et le camp présidentiel l’«opposition parlementaire». Ce fut un bon prétexte pour une nouvelle constitution en urgence juste après la première alternance politique au Sénégal pour éviter cette inattendue situation de cohabitation. L’urgence, c’était justement et exclusivement la dissolution de cette  assemblée de 1998. Le temps démontrera que le reste fut diversion politique, l’essentiel des mesures référendaires majeures (durée de mandat, nombre de députés, Sénat…) ayant été secondairement l’objet de revirement par voie parlementaire. Contrairement au président Sall, le président Wade n’avait aucun intérêt à surseoir son référendum qui était une urgence politique extrême, sinon gouverner en toute quiétude lui aurait été impossible, voire difficile. Dans le même registre, la dissolution du Sénat en 2012 n’aurait pas été facile pour le président Sall sans la collaboration de la majorité oppositionnelle d’alors.

Ainsi, si le cas de 2000 se reproduit, vu que dorénavant la probabilité sur les 10 ans est multipliée par trois, est-il démocratiquement décent de procéder à la dissolution de l’Assemblée nationale sous prétexte de vouloir disposer immédiatement d’une majorité parlementaire ? Ou alors, le président nouvellement élu devrait-il se résoudre à cohabiter avec une assemblée démocratiquement élue pour 5 ans par le peuple souverain jusqu’au terme du mandat législatif, comme ce serait le cas dans toute démocratie majeure dont nous nous réclamons ? Dans le cas de la cohabitation, le président est un otage politique d’une opposition parlementaire majoritaire incontournable dans la mise en œuvre de certaines initiatives majeures de gouvernement. Situation de conflit frontal de missions publiques, voire de conflit politique qui ne laisse non plus souvent aucune marge au déroulement de politique de développement, surtout avec nos partis sans offre politique sérieuse et cohérente.

Au total, le fait d’avoir un décalage de durée du mandat présidentiel et de la législature occasionne une désynchronisation électorale pouvant constituer un facteur majeur d’instabilité politique. Ce risque est également retrouvé dans la proposition du mandat unique de 7 ans qui peut entraîner les mêmes travers à côté de bien d’autres qui lui sont spécifiques. La démocratie étant un long processus fécond et fragile par ses phénomènes inédits, il est important d’anticiper la réflexion publique autour de réponses anticipatives appropriées à ces situations latentes.

II – Le système partisan bientôt au musée de l’histoire politique

Le dimanche 20 mars, la messe fut dite pour le système partisan. Victime de la loi de 1981 instituant le multipartisme intégral et supprimant les courants de pensée, le système partisan a fini par connaître une «prolifération anarchique» pour reprendre les termes des Assises nationales. Et toutes les fois qu’il en fut ainsi, l’issue ne pouvait être que fatale. Naguère et jusqu’à récemment socle du jeu électoral et politique à tous les échelons, le parti a fini, sans en réalité l’avoir jamais amorcé, d’être un laboratoire de propositions de politique de développement ; à la place une usine de manœuvres politiciennes et de monstruosités verbales. Il est devenu un véritable enjeu socioéconomique avec l’avènement d’acteurs, véritables courtiers, sur le marché politique. Il faut créer un parti pour exister «politiciennement». De la vision qualitative de la démocratie senghorienne à celle quantitative dioufienne, nous sommes passés de 4 à 250 partis ou plus, dont la grande majorité reste ni audible ni visible. Le mode opératoire, c’est le recours au virus appelé coalition qui a fini de gangrener le jeu et le tissu politique.

L’objectif, ce n’est plus de concourir au suffrage universel par soi-même, n’en ayant ni l’ambition ni les moyens physiques, le seul moyen d’usage est sonore. Leur politique est simple. Elle est sonore. A défaut d’être cent, il faut faire du bruit comme cent. Le bruitage est une ressource en politique politicienne. Du bruit, on espère un fruit ; c’est la valeur virtuelle. Ensuite, c’est le remorquage. Le reste est une question de calcul, non pas mathématique, mais politique. Dans le cas mathématique, 0+0=0 et x+0=x. Mais en politique, le 0 revendique sa part non pas du zéro, sa valeur réelle, mais du x. On assiste ainsi à l’émergence du néant de leaders politiciens aux allures trompeuses de géant. On n’existe souvent que de nom par une forte médiatisation….

Avec la nouvelle constitution, le parti politique cesse d’être le producteur exclusif d’acteurs politiques. Demain, un parti de renom sera en conflit avec certains de ses militants de renom. Ce qui va occasionner une scission prochaine de beaucoup de grands partis des flancs desquels sortiront, non pas toujours un parti, mais des «mouvements atypiques» qui, selon leurs stratégies, mèneront leurs activités en intra ou extra muros. Plus besoin d’aller emprunter les vrais récépissés des pseudo-partis. Des citoyens de renom ayant bâti leur notoriété en dehors du champ partisan ne se verront plus obligés d’aller se bousculer dans les méandres tortueux des circuits militants des partis avec des secrétaires généraux à vie ou à volonté et sans agenda démocratique clair ni d’offre publique de politique alternative traçable et avec seul instrument de gouvernance un sabre coupe-tête, au nom de ce qui est théorisé comme «la discipline de parti», réduisant par le silence les cadres supposés têtes pensantes en simples perruques meublant la galerie au nom de la panse.

L’élargissant du champ d’intervention de ces acteurs civils aux élections locales ouvrent d’intéressantes perspectives à la fois sur le caractère non partisan d’un nouveau leadership local incarné, non par le parti mais, par des individualités et également sur les coalitions nationales qui se feront de façon spontanée sur des noms et non sur des partis. Ainsi, devant ce déclin irréversible du système partisan, le contenu à donner à la modernisation du rôle des partis politiques requiert de profondes réflexions intégrant la nouvelle donne.

Dr Cheick Atab BADJI

Mba en Science politique, Géostratégie et Relations internationales

Analyste de politique – Biopolitiste

Project Manager – Suivi Evaluation

Email: drbadji@gmail.com

 

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