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Le Temps De Lever Le Coude

En juillet 2013, le Vérificateur général du Sénégal (VGS) présentait au Président de la République le premier Rapport d’activités sur l’état de la Gouvernance publique (RGP). Une réforme de l’Inspection générale d’Etat (IGE) avait notamment abouti à cette innovation, les deux autres étant la création d’un emploi de Vérificateur général (et de Vérificateur général adjoint) du Sénégal et l’institution d’un mandat d’une durée de sept (7) ans non renouvelable pour le Vérificateur général.

Dans sa présentation, le Vérificateur général du Sénégal (VGS) précise que « le Rapport d’activités n’est ni un rapport d’étude, ni un rapport de vérification ; (que) c’est d’abord un instrument de reddition des comptes du Vérificateur général du Sénégal; (qu’) ensuite il présente au Président de la République, aux citoyens et aux partenaires techniques et financiers, une synthèse des principaux résultats des missions de l’IGE (…) ». Le VGS poursuit ses explications préliminaires en ces termes :

« Au demeurant, l’idée de ce Rapport sur l’état de la Gouvernance publique procède d’un constat : l’Inspection générale d’Etat (…) ne peut publier in extenso les rapports issus de ses travaux, dès lors que ses membres ont le droit d’accès sans restriction, à toutes les sources d’information, même à celles classées ‘’Secret Défense nationale’’. »

Donc, malgré le caractère confidentiel, voire secret des rapports de l’IGE, il y a un souci de ne pas priver les acteurs de la vie publique, les partenaires mais aussi et surtout les citoyens des importants enseignements tirés des missions des Inspecteurs généraux d’Etat. Ce souci, qui comporte une fonction pédagogique et de communication, est un véritable coup de pouce à la promotion de la Bonne Gouvernance.

Ces enseignements, même synthétiques, devraient être largement diffusés au public qui n’a malheureusement pas accès, pour son écrasante majorité, au Rapport d’activités. C’est un devoir, pour les compatriotes qui disposent de cet important document et des suivants (2014, 2015), de les partager avec le plus grand nombre. L’exercice auquel je me livre ici s’inscrit dans cette perspective.

Le Rapport de juillet 2013, même synthétique, livre d’importantes informations. J’ai lu et relu ce document avec beaucoup d’intérêt, intérêt au fur et à mesure transformé en indignation, peut-être en révolte. Si on considère que ce Rapport n’est qu’une synthèse, on peut difficilement imaginer la vraie ampleur des actes de mal gouvernance qui y sont mis en évidence. Après avoir parcouru les développements consacrés au Port autonome de Dakar (PAD), à l’Hôtel King Fahd Palace, à la LONASE, au FESMAN, à la SAR, à l’ARTP ou à l’ANOCI (pour ne citer que ceux-là), on ne sait vraiment plus où donner de la tête. On ne comprend alors vraiment pas que certaines personnes continuent de vaquer tranquillement à leurs occupations, sans être inquiétées le moins du monde.

Pour cette contribution, arrêtons-nous au cas de la Société africaine de Raffinage (SAR). On sait qu’elle importe du pétrole brut en vue de le raffiner pour assurer l’approvisionnement régulier du marché sénégalais en produits finis issus (gaz, butane, essence, kérosène, etc.). C’est ainsi, précise le Rapport (PP. 116-120), que la SAR a importé en 2008 une cargaison de 910 610 barils, soit au total 122 222 tonnes, acquise auprès du fournisseur Arcadia Petroleum Limited (APL) et expédiée à partir du Nigeria, à bord du « M/T OLINDA ». Cette cargaison, on le sait déjà, présentait la particularité de contenir une énorme quantité d’eau mélangée au pétrole et a été, de surcroît, importée par la SAR « dans des conditions marquées par bien des irrégularités, manquements et autres dysfonctionnements ».

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Au moment de l’importation de la cargaison, la SAR « ne disposait ni de la licence de transport, ni de celle de stockage et encore moins de la licence de raffinage, dont l’obtention préalable est cependant exigée de tout opérateur économique exerçant ces activités, par la Loi n° 98-31 du 14 avril 1998, relative aux activités d’importations, de raffinage, de stockage, de transport et de distribution des hydrocarbures ».

En outre, la SAR ayant été de mars 2007 à mars 2012, une société à participation publique majoritaire, était soumise au Code des Marché publics alors en vigueur (Décret n° 2007-545 du 25 avril 2007). Pourtant, l’importation de la cargaison Olinda n’avait fait l’objet d’aucun appel d’offres, ni de l’application des dispositions du Code des Marchés publics alors en vigueur, ni de l’application de la procédure interne d’appel à la concurrence de la SAR. Au total, quatorze (14) cargaisons (9 en 2008 et 5 en 2009) seront importées exactement dans les mêmes conditions et auprès du même fournisseur, pour une valeur globale de Quatre cent quatre-vingt-quinze milliards trois cent soixante-cinq millions (495 365 000 000) de francs CFA.

Le plus surprenant encore, c’est que le même fournisseur APL avait été choisi « sur simple instruction de l’ancien Ministre de l’Energie adressée à l’ex-Président du Conseil d’Administration de la SAR par lettre confidentielle n° 00159/ME/CAB du 05 mai 2008 ». Ce qui est plus grave encore c’est que, dans sa fameuse lettre, notre ministre demandait que « la SAR ne fasse pas d’appel d’offres pour son approvisionnement en pétrole brut, invoquant un contrat de gouvernement à gouvernement ‘’G to G’’ supposé lier le Nigeria au Sénégal, dans le domaine de la fourniture de pétrole brut ». Or, ce contrat ‘’G to G’’ n’existe nulle part à la SAR, inconnu de tous les responsables comme du Ministre de l’Energie et des Mines d’alors (successeur de Samuel Sarr). C’est bien du « conseiller financier » de Me Wade qu’il s’agit, même si le Rapport d’activités de l’IGE n’a pas mentionné son nom. Son nom revient dans les affaires les plus louches.

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Le Rapport révèle également que la participation à l’étranger de l’ancien Ministre de tutelle aux réunions de la SAR avec ses fournisseurs et ses partenaires financiers était prise en charge par la Société. « Ces frais ont été illégalement financés par la SAR, entre 2007 et 2012, pour un montant global de 135 000 000 de francs CFA », ajoute le Rapport. Pendant ce temps, – c’est un secret de Polichinelle -, les mêmes frais de voyages étaient pris en charge par le Ministère de l’Energie (cette dernière affirmation est de moi, non du Rapport d’activités).

Pour revenir à cette fameuse importation de pétrole, elle s’est faite en l’absence de tout document de commande, sur la base « d’un contrat conclu entre les deux parties, le 05 juin 2008, et qui fixe un prix comportant un différentiel de 6,15 dollars US par baril. Des dirigeants de la SAR au moment du passage des Inspecteurs généraux d’Etat comme des anciens de la Société estiment que « le différentiel est excessif, comparé aux différentiels négociés avec les ‘’traders’’ à la suite des appels d’offres pour des cargaisons similaires ». Pour mieux confondre notre « ministre-conseiller financier », le Rapport, révèle ceci : « la Société TOTAL, par la voie d’un de ses anciens administrateurs à la SAR avait même offert de livrer à la raffinerie une cargaison de pétrole brut, moyennant un différentiel d’environ 3 dollars US par baril, ce qui n’avait pas été accepté. Le mémorandum qu’il a établi à ce sujet confirme bien que le différentiel se situait à cette période à 3,30 dollars US par baril ».

Le brigandage (l’expression est de moi) organisé par l’ancien Ministre de l’Energie aura donc fait perdre à la SAR, pour chaque baril de brut, la différence entre les 6,15 dollars payés à APL et les 3,3 dollars US de l’offre de vente faite par TOTAL. Cette perte « calculée en appliquant les mêmes paramètres que pour déterminer la valeur-facture de l’ensemble de la cargaison », équivaut à deux milliards cent soixante quatorze millions huit cent soixante quinze mille cent quatre-vingts trois (2 174 875 183) francs CFA.

Le Rapport a mis en évidence nombre d’autres pertes importantes pour la SAR (pp. 119-120). En particulier, en achetant délibérément de l’eau au prix du pétrole brut, la SAR aura perdu un montant d’un milliard cent soixante-quatre millions trois cent six mille neuf cent quarante-huit (1 164 306 948) francs CFA, auquel plus de cinq milliards sont venus s’ajouter, « du fait des retards dans la fabrication de ces produits raffinés et à l’évolution moins favorable de leurs prix de vente ».

En agrégeant les différents manques à gagner, pertes et autres surcoûts, le Rapport de l’IGE estime le préjudice globalement subi par la SAR, pour la seule importation OLINDA, « au moins à neuf milliards sept cent quatre-vintg- seize millions sept cent soixante-neuf mille soixante-dix-sept (9 796 769 077) francs CFA ». Il relève aussi « la forte présomption de collusion d’intérêts avec le fournisseur APL au préjudice de la SAR, avec la complicité de l’ancien Ministre de l’Energie et de l’ancien Directeur général de la (Société) ». Et, pour toutes ces raisons, « l’IGE (proposait) l’ouverture d’une information judiciaire à l’encontre de l’ancien Ministre de l’Energie et de l’ancien Directeur général de la SAR ».

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Depuis lors, il ne s’est pratiquement rien passé, en tout cas pas à la connaissance des pauvres contribuables. L’ancien ministre se la coule douce entre Dakar et Touba, son refuge. Il n’est inquiété ni dans ce cadre, ni dans celui de l’enrichissement illicite où il est en cause. Son dossier fait partie sûrement de ceux sur lesquels le Président de la République a mis le coude. Il est temps, vraiment temps, qu’il le lève. Des Samuel Sarr, il y en a pratiquement dans tous les rapports de l’IGE et de la Cour des Comptes. Les centaines, voire les milliers de milliards de francs qu’ils nous ont volés et planqués quelque part, au Sénégal dans des coffres ou à l’étranger dans des paradis fiscaux, nous en avons besoin pour construire des routes, des forages, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles, des brigades de gendarmerie, des casernes de sapeurs pompiers, etc.

En tout cas, si le candidat Macky Sall nous avait promis cette impunité insoutenable, nous ne l’aurions sûrement jamais élu. En couvant sans état d’âme des délinquants de la République notoires, il trahit ses engagements ; il fait montre d’irrespect vis-à-vis des contribuables, des structures de contrôle, de la fonction présidentielle et, peut-être même, de sa propre personne. Son coude nous écrase, et il nous sera difficile de continuer de le supporter. Nous ne le vivons surtout pas comme ces anciens « messieurs-vertu » et ces anciennes sentinelles de la Bonne Gouvernance qui s’en accommodent et restent muets comme des carpes, se souciant davantage du paacoo que du pénccoo, devenu désormais pour eux une vieille histoire, dont ils ne veulent plus jamais entendre parler.

Dakar, le 21 avril 2016

 

Mody NIANG

Mody NIANG

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