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Réinventer La Gauche

C’est beau de créer la Con­fédération pour le socialisme et la démocratie (Cds) qui regroupe les partis politiques de la gauche traditionnelle. Mais, nous sommes encore très loin du renouvellement qu’on attend du mouvement de la gauche pour pouvoir porter les luttes actuelles et futures des classes populaires. Les partis politiques traditionnels sont essoufflés et sont incapables de porter un discours novateur, un discours de changement qui redonne confiance au peuple. Il y a une rupture entre les aspirations du peuple et le mouvement quotidien des partis politiques qui se complaisent dans la culture politique traditionnelle, une culture de clientélisme, d’accaparement des ressources publiques et de lutte pour des places au cœur des institutions de l’État.

Les syndicats ne peuvent pas non plus constituer, dans leur forme d’organisation actuelle, un levier important pour la gauche. Les centrales syndicales traditionnelles sont à l’image des partis politiques traditionnels, ils souffrent des mêmes maux : un déficit de démocratie interne, un refus de renouvellement du personnel et des idées, une incapacité à porter un discours nouveau. La gauche ne peut attendre grand-chose des structures politiques et sociales traditionnelles, trop obsolètes, trop loin des aspirations de changement radical du peuple. Cependant, «une lumière féconde éclaire le chemin de la lutte», comme dirait Amilcar Cabral. Cette lumière nous vient des forces nouvelles qui émergent dans notre pays et qui se situent en dehors des partis politiques et des organisations syndicales.

J’appelle forces nouvelles les mou­vements citoyens, les mouvements sociaux, les mouvements po­litiques qui se développent partout dans les quartiers, dans les villes, dans les entreprises, dans le monde rural, pour une prise en charge concrète de leurs propres problèmes, qui luttent pour une prise en charge réelle des  aspirations du peuple, qui construisent des alternatives locales, nationales et internationales en dehors des cadres institutionnels traditionnels. Les jeunes, les femmes, les étudiants, le mouvement hip-hop envahissent ces nouveaux cadres de dialogue, de propositions, d’innovations et d’initiatives, ces nouveaux laboratoires d’alternatives concrètes et audacieuses. La classe ouvrière n’est plus le sujet révolutionnaire. Les mouvements so­ci­aux sont devenus les nouveaux su­jets de changement. Ce sont eux qui constituent la nouvelle gauche. C’est avec eux qu’il faut préparer une alternative concrète et radicale.

La nouvelle gauche sort des carcans traditionnels, elle mobilise au-delà des partis classiques, elle intègre, dans la lutte pour l’émancipation du peuple, les forces populaires et sociales, qui se mobilisent pour une alternative à la politique néolibérale en cours. Les acteurs du mouvement altermondialiste peuvent être considérés comme faisant partie du mouvement de la gauche internationale. C’est pourquoi nous devons travailler à faire jonction avec ces forces qui se mobilisent à l’intérieur des altermondialistes. La nouvelle gauche, comme la gauche d’hier, reste internationaliste. Elle doit développer des solidarités nouvelles et des partages d’expériences pour soutenir toutes les luttes progressistes de partout dans le monde. La nouvelle gauche s’ouvre vers de nouveaux acteurs qui envahissent la scène pour donner un souffle nouveau aux luttes contre les inégalités sociales ; elle articule un discours critique contre les politiques du néolibéralisme.

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Fédérer des forces dispersées

La nouvelle gauche est plurielle, elle consacre que le sujet social révolutionnaire dépasse la classe ouvrière, pour embrasser tous les secteurs sociaux discriminés (les femmes, les jeunes, les chômeurs, les handicapés, les travailleurs informels, bref toutes les couches défavorisées) qui peuvent être considérés comme «les agents décisifs de changement». La nouvelle gauche renoue avec l’esprit du militantisme authentique, elle renoue avec l’utopie discréditée pendant longtemps, et dont la vocation est de contester l’ordre présent pour «faire surgir du neuf». La nouvelle gauche, dans le cadre de notre pays, doit pouvoir faire jonction avec des forces émergentes, les «nouveaux mouvements sociaux définis comme sujets sociaux de changements», comme le Mouvement du 23 juin, le Mouvement Y’en a marre, le Mouvement des Assises nationales, les intellectuels de gauche, les mouvements progressistes de femmes et de jeunes, tous les mouvements sociaux qui s’organisent dans les quartiers populaires, les entreprises, les universités et le monde rural.

Il faut rassembler tous les marginaux, toutes les victimes de la violence et de l’injustice. Il faut de nouveau remobiliser les secteurs populaires qui refusent le statu quo pour donner une nouvelle chance à la politique, pour réinventer la politique sous nos cieux. La classe ouvrière n’est plus le seul sujet révolutionnaire, il y a de «nouveaux sujets sociaux de changement». Les nouveaux sujets sociaux de changement sont tous les exclus, tous les opprimés, tous les persécutés, les humiliés, les marginaux, les oubliés. Nous avons, dans notre société, des secteurs favorables au changement, parce qu’ils sont dominés par la classe des privilégiés. Les forces progressistes, dans leur lutte pour une alternative concrète, doivent pouvoir compter sur les ouvriers, les petits commerçants, les marchands ambulants, les chauffeurs du transport en commun, les jeunes, les femmes, les étudiants, les paysans, les peuples indigènes qui luttent pour retrouver leurs terres confisquées, tous ceux qui sont victimes de «l’apartheid social».

Il y a d’autres secteurs qui sont aussi favorables au changement : les intellectuels, la petite bourgeoisie, les avocats, les professions libérales, le mouvement Hipp-hop avec des rappeurs qui portent aujourd’hui le discours de la revendication du peuple. Il faut élaborer un «nouveau concept de majorité» avec ces secteurs populaires pour leur permettre de sortir de la minorité dans laquelle ils se situent, il faut une jonction des forces entre ces différents secteurs  pour une nouvelle majorité ; si chacun reste dans son petit coin sans trouver une forme de solidarité avec les autres, ils seront éternellement écrasés, ils vivront toujours dans la minorité sociale, économique et politique ; ils doivent chercher à se donner la main «pour mieux bâtir des propositions alternatives et solidaires» pouvant leur permettre de prendre le pouvoir : «Au peuple ce qui appartient au peuple ». Les gens de «ce peuple couché par terre», pour reprendre Michelet, doivent se donner la main. Le mouvement de la gauche se construit dans et à travers les solidarités entre ceux qui sont victimes de l’injustice.

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La grande faiblesse des mouvements citoyens dans nos pays, c’est qu’ils n’ont pas intégré la perspective de prise de pouvoir dans leur agenda. Ils ont peur de la politique et des partis politiques, ils ne veulent pas se salir les mains, ils veulent rester «purs». Les mouvements cito­yens doivent cesser cette méfiance vis-à-vis de la politique et des partis politiques, ils peuvent construire une plate-forme politique pour le changement avec les forces progressistes et imposer une direction pour le changement. Les mouvements sociaux doivent être plus audacieux et refuser de fonctionner comme un mouvement minimaliste, un mouvement de la société civile, un mouvement de veille et d’alerte. Les mouvements sociaux doivent être maximalistes, s’engager dans la construction d’un mouvement populaire, afin d’avoir un instrument politique capable de conduire les transformations politiques, économiques et sociales. Ces mouvements, même s’ils n’ont pas une trajectoire classique de gauche, ont une sensibilité de gauche. La nouvelle gauche en construction ne peut les ignorer. Ce qui fait dire à Marta Har­necker, dans Amérique latine, laboratoire pour un socialisme du XXIe siècle : «Une nouvelle culture de gauche est nécessaire : une culture pluraliste et tolérante, qui sache mettre ce qui unit au-dessus de ce qui divise et qui centre cette unité sur des valeurs telles que la solidarité, l’humanisme, le respect des différences, la défense de la nature – et refuse de faire du goût du profit et des lois du marché les principes directeurs de toute l’activité humaine. Une gauche qui commence à prendre conscience que la radicalité ne consiste pas en des slogans ou en des actions radicales – qui ne sont suivis que par quelques-uns parce qu’ils effraient le grand nombre -, mais dans une capacité à créer des espaces de rencontre et de lutte pour de larges secteurs. Ce qui nous rend forts, ce qui nous radicalise, c’est de constater que nous sommes nombreux à être unis dans un même combat. Une gauche qui admette qu’il faut obtenir l’accord de tous, c’est-à-dire convaincre au lieu d’imposer».

«Repolitiser» les indifférents

La nouvelle gauche peut mobiliser dans la grande réserve des indifférents qui sont généralement des déçus de la politique qui attendent des changements majeurs, cette «masse sans doute de tous âges, non politisée, dépolitisée, en cours de politisation ou de repolitisation», comme dirait l’historien sénégalais Abdoulaye Ly. La contribution de la jeunesse sera plus qu’importante. Elle sera déterminante et décisive. C’est elle la principale victime de l’état actuel du monde. Regardez les milliers de jeunes qui hypothèquent dangereusement leur vie pour gagner l’Europe au point de transformer la Méditerranée en un cimetière pour les jeunes Afri­cains. La souffrance de la jeunesse est là.  C’est le mal du siècle. Lors des évènements de la Révo­lution française de 1789, les Ca­hiers paysans de paroisse de l’Autunois disaient : «On est vi­eux au moment où on ne de­vrait qu’entrer à la fleur de l’âge, et qu’à quarante ans on est dans la décrépitude». Ces paroles pourraient être prononcées par notre jeunesse. Elles traduiraient son état de doute et d’angoisse.La gauche doit étendre sa base originelle, si elle veut construire une nouvelle majorité, un mouvement populaire, pluraliste et démocratique. Seule une jonction avec tous les secteurs pauvres et oubliés peut permettre à la gauche de remporter de nouvelles victoires. C’est ce qu’à fait la gauche latino-américaine.  Les premières victoires de la gauche latino-américaine viennent de la participation électorale massive et du vote de soutien des secteurs populaires et des classes moyennes. Ces derniers ont porté une plate-forme politique autour d’une plus grande redistribution des richesses nationales et d’une réelle reconnaissance sociale contre les logiques néolibérales des classes dominantes. La justice sociale est au cœur du projet de gauche.

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La gauche doit puiser dans la réserve des indifférents, victimes d’une véritable désertion et abandon de l’Etat, des indifférents qui vivent un ressentiment social et une indifférence vis-à-vis des hommes politiques et des institutions politiques. Il faut mobiliser ou remobiliser les minorités territoriales ou géographiques, les minorités urbaines (les banlieues et les quartiers populaires) les minorités sociales, les minorités économiques, les minorités culturelles, tous ceux qui sont exclus sur des bases de race, de classe, de caste ou de sexe, pour un nouveau rêve collectif, pour un nouveau concept de majorité pour sortir les classes populaires de la minorité sociale, économique et politique, pour leur permettre de contrôler le pouvoir afin de changer leur vie. Nous reprenons les mots de Beethoven : «Nous sentons de plus grandes choses planer devant nous». Il faut frapper un grand coup d’audace. Il faut sortir des sentiers battus pour «construire, avec créativité, le futur». Il nous faut une gauche inventive et audacieuse. Réin­ven­tons la gauche pour une alternative concrète et radicale !

 

Babacar DIOP

Secrétaire général de la Jeunesse pour la démocratie

et le socialisme (Jds) – babacar.diop1@gmail.com

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