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Les Ape Ne Sont Pas Nécessaires Pour Nous

Depuis 2007, l’Union européenne cherche activement à reconsidérer les relations commerciales qui la lient avec les pays Africains, les Caraïbes et le Pacifique (ACP) par la mise en place d’accords de libre-échange réciproques qu’elle nomme Accords de Partenariat Économique (APE). Pour la plupart des pays ACP et particulièrement pour le Sénégal, il s’agit de changements majeurs dans la définition et la mise en œuvre d’une nouvelle politique commerciale. Ces modifications, dans la politique commerciale, vont certainement impacter le niveau de l’activité économique et les revenus fiscaux nécessaires au financement de la dépense publique du Sénégal et des autres pays ACP les moins avancés.

Depuis 1975, le Sénégal, comme la plupart des pays ACP, bénéficie d’une part d’un accès préférentiel vers les marchés de l’Union européenne. Nos exportations ont profité de droits de douanes largement réduits grâce à la Convention de Lomé. Cette convention a été transformée en 2000 en Accords de Cotonou. Ces nouveaux accords impliquent un accès libre pour plus de 90 % des produits exportés vers l’Union européenne par le Sénégal et les autres pays ACP. D’autre part le Sénégal étant membre du groupe des Pays les Moins Avancés (PMA), est éligible à l’initiative ‘‘Tout sauf les armes’’ (TSA). Cette initiative a été mise en place par l’union européenne depuis 2001 et elle fournit un accès libre de toute taxe et de tout quota sur toute importation en provenance des pays les moins avancés, pour une période illimitée.

La spécificité des accords commerciaux de Cotonou et de l’initiative ‘‘Tout sauf les armes’’ est leur non réciprocité. Le Sénégal et les autres pays bénéficiaires de ces accords disposent d’un accès préférentiel presque entièrement libre au marché de l’Union européenne sans qu’il y ait un accès préférentiel des exportations européennes vers les pays ACP. C’est pour cela que l’Union européenne cherche aujourd’hui à transformer les accords de Cotonou avec les pays ACP en recommandant la mise en place des Accords de partenariat économique afin de supprimer la non réciprocité.

Pour l’Union européenne, d’une part, cette non réciprocité des accords de Cotonou est incompatible avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce car l’OMC interdit les préférences commerciales entre ses membres si ces accords ne sont pas réciproques. Elle les tolère seulement si ces préférences sont données à un groupe de pays, comme c’est le cas des PMA qui bénéficient de l’initiative TSA. D’autre part, les préférences non réciproques données par l’Union européenne aux pays ACP étaient fondées sur une dérogation qui expirait normalement en décembre 2007. Après expiration de la dérogation, la mise en place des APE devient une nécessité et devrait mettre fin aux préférences liées à l’accord de Cotonou. C’est une occasion rêvée aussi pour l’UE de limiter la progression de l’influence commerciale de la Chine dans le continent. Il faut donc que les pays ACP choisissent soit de mettre en place un régime de libre-échange avec l’UE, soit de perdre l’accès préférentiel au marché européen obtenu avec les accords de Cotonou.

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Pour le Sénégal, la signature des accords de partenariat économique n’est pas obligatoire et nécessaire puisqu’il fait parti des pays les moins avancés, donc éligible à l’initiative TSA qui accorde un accès préférentiel d’une durée illimité aux marchés européens. Par contre d’autres pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Nigéria, le Cap-Vert qui ne sont plus PMA et qui ont des performances économiques remarquables n’ont pas la possibilité d’exporter sous le régime TSA en cas de rejet du régime de libre-échange prôné par l’Union européenne. C’est pour cela que la Côte d’Ivoire, le Ghana, ont signé un accord intérimaire pour garantir leurs exportations vers l’UE. Le Nigéria poursuit toujours l’analyse du texte de l’APE. Si ces pays n’avaient pas signé les APE, ils devraient exporter sous un régime beaucoup moins favorable, celui du Système généralisé de préférence (SGP). Les pays ACP non membres des PMA ont en quelque sorte les mains liées. N’étant pas éligibles à l’initiative TSA, ils n’ont d’autres choix que de signer les APE s’ils veulent continuer à exporter vers les marchés européens. C’est la raison pour laquelle la Côte d’Ivoire a signé les APE. Elle a signé pour continuer à bénéficier d’un accès privilégié aux marchés européens pour sa banane, son café et ses fèves de cacao. Le Nigéria aussi, avec son niveau de développement économique, pour les mêmes raisons que la Côte d’ivoire, gagnerait à trouver des accès libres à sa production aux marchés européens mais avec un APE qui garantit aux mieux la viabilité de son commerce extérieur. Pour le Sénégal par contre et la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest qui sont PMA, l’accord TSA est donc une alternative possible aux accords de partenariat économique avec l’Union européenne. Il n’y a aucune urgence, aucune nécessité, ni aucune obligation de signer les APE au stade actuel des négociations pour les 7 autres pays membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine. L’avantage pour le Sénégal c’est de rester dans le régime TSA, protéger son secteur agricole, sa petite industrie et bénéficier d’un accès privilégié non réciproque aux marchés européens. Nous pouvons continuer à exporter sans entrave vers l’Europe des produits alimentaires tels que l’huile végétale, les graisse, les fruits et légumes, de l’arachide, les mangues, le poisson et les produits chimiques tout en continuant de taxer les importations en provenance des marchés européens et d’autres marchés du monde. Les importations du Sénégal sont composées de produits chimiques, d’équipements électroniques et machines, de pétrole et d’huile, de métaux, de produits de l’industrie automobile, des matériels de transport, de textile, de produits alimentaires, de riz, du papier, des minerais, des boissons et du tabac, du sucre et des produits laitiers.

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L’accord TSA est donc un régime commercial plus intéressant en matière commerciale car il autorise les pays éligibles à protéger leurs marchés en fixant des droits de douane élevés tout en ayant un accès presque libre aux marchés européens. La signature des APE aura sans doute des conséquences potentiellement négatives sur l’économie sénégalaise.

D’abord en signant les APE, le Sénégal ouvre les frontières de son économie à la plupart des produits européens, accentuant ainsi la pression concurrentielle sur la production industrielle locale qui n’est pas assez développée, sur les agriculteurs locaux qui ne bénéficient pas de subventions au même titre que les agriculteurs européens subventionnés significativement. Donc nos marchés seront de grands débouchés pour les entreprises européennes dont le marché intra-communautaire est saturé, mais à l’opposé avec un tissu industriel et une production agricole faible, les producteurs sénégalais ne bénéficieraient que d’un supplément marginal d’accès aux marchés extérieurs, car les frontières européennes leurs sont déjà largement ouvertes avec l’initiative TSA pendant une durée illimitée.

Ensuite, la signature et l’exécution des APE devraient logiquement conduire à une perte de recettes pour le gouvernement du Sénégal, liée à la suppression des droits de douane appliqués dans le régime TSA. Dans le budget du Sénégal, les droits de douane représentent environ 30 % des recettes publiques. Donc, avec la libéralisation des échanges, leur suppression devrait diminuer les recettes fiscales et aurait des conséquences significatives sur la capacité des prochains gouvernements à financer les dépenses publiques, ce qui va les contraindre à s’endetter davantage. Elle va également entraîner un risque de faillite pour la plupart des entreprises qui ne pourraient pas faire face à la concurrence des produits européens, de la baisse des revenus de nos paysans qui seraient concurrencés par les produits agricoles européens largement subventionnés. C’est une autre façon pour les pays européens de maintenir la dépendance financière et alimentaire des pays ACP vis-à-vis des institutions financières internationales, aux dons et à l’endettement externe. Alors quel est l’intérêt pour les pays les moins avancés de négocier de tels accords si on sait par avance que les APE risquent de créer peu d’échanges supplémentaires et beaucoup de détournement de commerce? Ils vont saper tous les efforts de développement consentis depuis des années. Pourquoi réécrire des APE quand on dispose d’une alternative, la préférence donnée par l’accord « Tout sauf les armes » qui est reconnu comme une préférence totalement en règle avec les principes de l’organisation mondiale du commerce et vers le marché américain par l’AGOA?

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Le Sénégal n’a pas besoin de demander que les APE soient réécrits ou déchirés. Nous ne sommes pas concernés non plus. Étant membre des PMA, il dispose du régime TSA qui constitue une alternative aux accords de libre-échange souhaités par l’UE. En effet, l’acceptation des APE ne provoque pas de gain important en termes d’accès aux marchés européens car nos exportations vers l’Union européenne bénéficient d’un accès presque total sans entrave. Ces accords commerciaux vont probablement accroître les importations du Sénégal en provenance de l’UE au détriment des importations en provenance des autres pays africains (Nigéria, Ghana, Gambie) partenaires commerciaux qui restent taxées. L’Europe a plus à gagner dans la signature de ces accords que les pays ACP. Elle dispose d’un secteur industriel très performant et d’une production agricole beaucoup subventionnée et dynamique. L’ouverture de nos marchés augmentera la part des exportations de l’Europe vers l’Afrique alors que les pays les moins avancés bénéficiant à près de 90% d’accès libre, avec les accords de Cotonou et l’initiative TSA, n’auront juste une petite part insignifiante supplémentaire sur les marchés de l’Europe. Le développement des échanges entre pays membres des unions régionales africaines ne deviendra qu’un rêve puisqu’une part substantielle du commerce entre pays africains sera détournée vers l’Europe.

Le combat pour l’Afrique et les africains aujourd’hui serait de poursuivre l’intégration au sein des différentes unions régionales et la mise en place de zones de libre-échange que les APE soient signés ou non. L’objectif serait de faire en sorte que les échanges intra-africains progressent significativement au détriment des échanges avec l’UE et du reste du monde. L’Afrique doit elle-même prendre l’initiative de développer son propre commerce.

 

Dr Fodé S. SARR

Économiste

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