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Redéfinir Le Calendrier Musulman Pour En Finir Avec Les Malaises De Lune

Vingt (20) points pour comprendre

  1. Depuis les premières générations de musulmans jusqu’à nos jours, la constatation visuelle du croissant de Lune est considérée par un grand nombre d’oulémas comme étant la cause légale de la prescription du jeûne (as-sabab ach-char i‘y) et par extrapolation, de la détermination du mois lunaire ;
  2. La constatation oculaire du croissant de Lune est considérée par la plus part des oulémas surtout anciens comme relevant d’un ijma ‘ (consensus) qui ne peut être changé ;
  3. Cette position est toutefois remise en cause par des oulémas surtout contemporains qui pensent qu’elle relève du registre des « wasâ-il » (moyens légaux) et que c’est la connaissance de l’avènement (entrée) du mois lunaire « dukhûluch-chahr » qui est l’objectif « hadaf/ghâyah » visé par la charia en raison du culte et des célébrations y afférents ;
  4. Cette remise en cause se justifie de l’expression qui renvoie à l’estimation « faqdurû lahû » (estimez-le) mentionnée dans des hadiths, et d’autre part, de ceci que le motif « al ‘illah » pour lequel le Prophète (PSLF) avait mentionné le recours à la constatation visuelle était l’incompétence des musulmans de son temps en matière de calcul astronomique, ce qui n’est plus le cas de nos jours ;
  5. L’attitude du compagnon du prophète (PSLF), Abdullahi Ibn Umar, consistant à jeûner le lendemain du 29e jour du mois de cha ‘bân en cas de ciel nuageux, alors que la pratique la plus courante chez les oulémas est de jeûner le surlendemain en considérant que le mois en cours compte 30 jours, indique qu’il procédait à un « taqdîr », une estimation qui suppose que le croissant de Lune est présent même s’il n’est pas vu à cause de l’état du ciel ;
  6. La position du compagnon du prophète (PSLF), Abdullah Ibn ‘Umar et de l’école hanbalite ouvre une possibilité au calcul astronomique vu que c’est l’observabilité qui est tenue en compte et non la constatation oculaire du croissant de Lune le 29 jour, au soir ;
  7. La possibilité de la prise en compte du calcul astronomique est envisagée depuis les premières générations par un grand jurisconsulte des Tâbi ‘înes (génération qui a suivi celle des compagnons du Prophète-PSLF) comme Mutarrif ibn Chukhayr et un autre des générations qui ont suivi comme Ibn Surayj;
  8. Et le Coran et les hadiths invitent à une détermination du mois lunaire qui vaille pour tous les musulmans, ce qui écarte toute attitude sectaire, nationaliste ou autre qui occasionne des divergences infondées sur ce sujet ;
  9. Les justificatifs du rejet du calcul astronomique (simplicité, égal accès, prévention de la discorde, confusion avec l’astrologie, non fiabilité des prédictions astronomiques) sont devenus impertinents, indéfendables et anachroniques en raison de l’évolution du contexte et des savoirs auxquels la Oumma de notre temps ne peut être indifférente ;
  10. Au 8e siècle de l’hégire (15e EC), un éminent jurisconsulte du nom de Taqyuddîn As-Subky plaidait pour le rejet de tout témoignage visuel en contradiction avec les prédictions astronomiques irréfutables et à la même période, un autre grand jurisconsulte du nom de Ramli soutenait que le mois lunaire au sens astronomique qui est aussi celui de la charia est la durée entre deux conjonctions (instant de l’alignement Soleil-Lune-Terre) ;
  11. Les notions de « levant unique » et « levants différents » ont toujours été marquées par un flou relativement à la délimitation concrète de la distance entre localités et de l’espace politico-administratif concerné alors que la définition de zones de visibilité grâce au calcul des éphémérides est plus précise ;
  12. Pour les oulémas qui acceptent la référence à l’instant de la conjonction, et aussi selon les recommandations issues de différentes rencontres interétatiques ou non dans les pays musulmans, le recours au calcul astronomique devrait juste et seulement aider à connaître la possibilité ou non de voir le nouveau croissant de Lune à partir de la terre ;
  13. Les avancées de la science astronomique et des sciences connexes permettent de nos jours, sur la base de la prédiction à la seconde près de l’instant de la conjonction, de définir avec de plus en plus de précision, des zones de visibilité du croissant de Lune pour le monde entier, ce qui pourrait permettre aux pays d’une même zone d’avoir les mêmes débuts et fins de mois lunaires ;
  14. De louables efforts ont été faits par des astronomes, astrophysiciens musulmans, et des institutions islamiques notamment en Europe et en Amérique du nord pour établir et améliorer des critères de visibilité du croissant de Lune comme l’ont tenté leurs devanciers des siècles antérieurs en fonction de la prédiction astronomique de l’instant de la conjonction ;
  15. Dans cette optique, des propositions de zonage du monde en fonction de l’instant de la conjonction et de l’observabilité (la probabilité de voir à l’œil nu ou avec des instruments optiques) du croissant de Lune après le coucher du Soleil ont été faites sans pour autant aboutir à des résultats satisfaisants ;
  16. Pour aller de l’avant vers une harmonisation dans la détermination du mois lunaire, par étape, il est stratégique de mettre en place un Observatoire de la Oumma pour la Lune avec des démembrements dans tous les pays musulmans voire dans les pays à minorités musulmanes ;
  17. D’éminents oulémas contemporains comme les Cheikhs Ahmad Châkir (m.1958) et Faysal Al Mawlawiy (m.2011) ont plaidé pour que tous les pays musulmans acceptent de faire de la prédiction de l’instant de la conjonction le début du mois lunaire et d’établir un calendrier sur cette base qui va les engager ainsi que les musulmans vivant en minorité, ce qui va harmoniser les dates du culte et la planification de la vie civile ;
  18. Al Mawlawiy va plus loin sur la base de la connaissance à la seconde près de l’instant de la conjonction comme ça l’est de nos jours, et des impasses auxquelles a abouti la logique de la conciliation entre calcul astronomique et visibilité ou observabilité du croissant de Lune après le coucher du Soleil, pour plaider en faveur de l’élaboration d’un calendrier musulman perpétuel ;
  19. Dans un ouvrage de 2008, Al Mawlawiy remet en cause les arguments les plus décisifs des défenseurs du caractère obligatoire de la constatation oculaire du croissant de Lune et soutient sur la base d’un raisonnement puisé dans les ressources de la jurisprudence islamique, qu’il s’agit de tenir compte de deux critères pour l’élaboration de ce calendrier perpétuel : la connaissance de l’instant de la conjonction et la convention qui fait débuter le jour musulman au coucher du Soleil ;
  20. En droite ligne de la position du Cheikh Faysal Al Mawlawiy, nous avons proposé une redéfinition du calendrier musulman pour aller vers un « Umma Calender ». Le cas du Sénégal est traité avec à l’arrivée une proposition de modèle d’Observatoire ;

La réforme prônée par le Cheikh Faysal Al Mawlawiy

Les définitions récentes de critères de base pour un calendrier musulman perpétuel ont ceci de commun qu’elles s’inscrivent dans une logique de conciliation entre la prédiction par le calcul astronomique de l’instant de la conjonction et la visibilité ou l’observabilité du croissant de Lune. Cette logique n’est pas compatible avec la thèse des tenants du respect scrupuleux de la constatation visuelle obligatoire. En effet, les hadiths évoqués par ces derniers ne prévoient que deux choses : voir à l’œil nu ou compter 30 jours le mois en cours. Donc, chercher à voir par autre chose que l’œil nu est une entorse à la position littéraliste et traditionaliste dans le sens de l’adoption d’avis anciens sans esprit critique et clairvoyance.

A notre sens, c’est cette tension séculaire entre astronomie et charia qui est devenue intenable et pour les astronomes musulmans et pour les jurisconsultes qui acceptent d’être cohérents avec la légitimité scientifique de l’astronomie moderne sur ce sujet.

Pour mettre fin à ce statu quo, il faut nécessairement sortir de la logique de conciliation entre prédiction de la conjonction par le calcul et visibilité ou observabilité (probabilité d’observation) du croissant de Lune. Et ce, quelque éminents qu’ont été et que sont les Oulémas défenseurs de cette position. Il existe suffisamment de ressources scripturaires (versets et hadiths) et d’élaborations des Usûliyyûn (principologistes) de la charia pour nous aider à nous affranchir des arguments d’autorité, circulaires, contradictoires, et incohérents.

Il ne doit plus être question de mentir aux opportunités que nous donne le calcul astronomique sur l’instant de la conjonction vraie ni de se complaire dans des interprétations arrimées à des arguments et positions devenus anachroniques. Notre génération a largement les moyens de résoudre ce paradoxe d’une Oumma qui est maintenant suffisamment compétente en  astronomie mais préfère, au nom d’une problématique fidélité aux textes et à un ancien consensus, le cas échéant, les errements de la vue à la précision du calcul.

Les oulémas de l’astronomie nous disent que l’instant de la conjonction peut se calculer avec une précision supérieure au dixième de seconde de temps avec une bonne théorie et cette prédiction peut se faire pour des centaines d’années. Mais c’est quand il s’agit de faire du calcul de l’instant de la conjonction vraie Le critère légal, du point de vue de la charia, de mesure de la longueur du mois lunaire y compris le mois de Ramadan et de s’affranchir de la visibilité ou de l’observabilité que se font sentir les crispations.

Sous ce rapport, nous pensons que le défunt Cheikh Faysal Al Mawlawiy (rahmatullahi ‘alayhi – Allah lui accorde Sa clémence) est l’un de ceux qui sont allés, avec courage et clairvoyance, le plus loin dans un argumentaire adossé aux principes de raisonnement et règles de la jurisprudence islamique.

Le Cheikh Faysal Al Mawlawiy expose le résultat de son travail intellectuel (ijtihâd) sur ce sujet dans un ouvrage de 2008 qui reprend la question sous toutes ces coutures. A ce sujet, sa thèse est une invitation à un basculement de la Oumma vers un nouveau paradigme. En effet, il plaide vigoureusement pour la sortie ou le dépassement du stade ou de la phase ou de l’étape « Constatation Visuelle Obligatoire » où le critère de visibilité est érigé en exigence cultuelle voire en dogme malgré les impasses qui en découlent, vers l’étape de la « Constatation Visuelle Non obligatoire » où le calcul astronomique qu’on n’aurait jamais dû négliger voire mépriser ou confondre avec l’astrologie, reprend la place qui sied.

Au bout de sa réflexion, il propose une nouvelle définition qui innove par rapport aux précédentes, s’inscrivant dans une perspective de construction d’un calendrier musulman universel :

Ainsi, on considérera que le premier jour du mois est celui qui suit le coucher du soleil après la naissance de la lune. Si on s’en tient à cela, tous les musulmans auront le même référentiel et les musulmans qui vivent en minorité dans certains pays pourraient s’aligner sur ce même référentiel.

Ce que nous proposons

Sur la base de l’énorme travail accompli aussi bien par des spécialistes de la Charia que de l’Astronomie, nous proposons dans un ouvrage qui va paraître bientôt insha Allah des fondements théoriques à une redéfinition du calendrier musulman basée sur la vision suivante :

  • Notre contribution vise à favoriser la construction et l’adoption d’un calendrier musulman perpétuel dénommé « Umma Calender » civil et religieux sur la base du calcul astronomique et de l’abandon du critère de visibilité ou observabilité du croissant de Lune.

 

Ahmadou Makhtar Kanté

Imam, universitaire et écrivain

amakante@gmail.com

 

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