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Le Sénégal Face Au Choc Des Modèles Religieux

L’islam au Sénégal est à dominante confrérique. Mais les courants fondamentalistes prennent de l’ampleur. Retour sur les particularités de l’islam traditionnel sénégalais face à la menace des mouvements djihadistes.

Au Sénégal, l’imam Ibrahima Sèye condamné à un an de prison pour « apologie du terrorisme » par un tribunal de Kolda. Il avait été arrêté en compagnie d’une dizaine de personnes, dont plusieurs imams, en octobre 2015 pour « affinités avérées avec Aqmi ».

Pourtant, l’islam au Sénégal est à dominante confrérique. Cette religion qui s’est implantée depuis le Moyen-Age est aujourd’hui celle de 90 à 95 % des Sénégalais. Son expansion a été, généralement, pacifique.

Les étapes de l’islamisation

L’islamisation s’est faite en plusieurs étapes par différentes voies selon les contextes et circonstances historiques. Toutefois, l’influence des confréries soufies telles que la Qâdiriyya, la Tijâniyya, la Mouridiyya et les Laayènes constitue la spécificité de l’islam sénégalais dont le modèle est souvent présenté comme une exception dans les pays du Sahel et au-delà. Les confréries qui marquent l’espace religieux sénégalais se subdivisent en deux catégories : celles dites allogènes (Qâdiriyya et Tijâniyya) et d’autres endogènes (Mouridiyya et Laayènes). A côté d’elles, ont émergé d’autres mouvements dits réformistes actifs dans la prédication d’un islam plus souvent politique et proche des courants islamistes mondiaux.

Des modèles en concurrence

Le Sénégal est le prolongement socioculturel des pays du Maghreb, juste au Sud de la Mauritanie et du Sahara. Les récents bouleversements qui ont secoué le monde arabe, avec la percée islamiste, ne l’épargneront pas. On s’interroge, aujourd’hui, sur l’issue de cette confrontation entre un islam « local » et les courants radicaux qui sévissent dans le Sahel. La crise malienne et les mutations géopolitiques ont profondément impacté l’évolution de l’islam sénégalais.

Les expressions radicales de l’islam sont encore minoritaires dans le pays malgré une vague de contestation de l’islam confrérique, représentant, pour les mouvements islamistes, un frein à « la réalisation d’une société véritablement islamique ». La majorité des musulmans du pays estiment que l’islam est une « religion de paix, de tolérance qui privilégie le dialogue à la contrainte ». Il y a encore un rejet du « djihad » tel qu’il est revendiqué par Ansar ad-Dine ou encore le MUJAO ou Almourabitoune conformément aux enseignements des Cheikhs soufis comme El Hadji Malick Sy et Cheikh Ahmadou Bamba. Aussi rassurante que puisse être une telle position dominante, elle ne doit pas occulter le fait que, justement, les catégories pouvant basculer dans la violence sont précisément celles issues des couches non-majoritaires.

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La mutation en cours

Le discours minoritaire favorable au djihadisme est néanmoins présent dans plusieurs sphères de la société sénégalaise, notamment, dans les périphéries urbaines, parmi les populations les plus jeunes. Même s’il existe un radicalisme religieux rampant, les Sénégalais ne semblent pas encore le percevoir très nettement, considérant que le pays ne présente pas les mêmes caractéristiques que le Mali et les confréries le prémuniront toujours contre ce genre de situation.

Les confréries sont encore largement considérées comme des remparts contre les influences extrémistes. Cette perception tenace est basée sur une croyance à un caractère du Sénégalais naturellement non violent et ne pouvant adhérer aux idéologies prônant la violence. Les auto-immolations de jeunes mécontents devant les grilles du palais présidentiel, sous l’ère Wade et au début du mandat de Macky Sall et les scènes de violence avant les élections présidentielles de 2012, semblent vite passées aux oubliettes. Pourtant, ce sont des signes de la profonde mutation de la société surtout dans son rapport à la violence en général.

Salafisme wahhabite

De plus, de nombreux courants islamistes, allant des Frères musulmans au salafisme wahhabite sont présents au Sénégal et se sont renforcés depuis le milieu des années 80. Leur prédication est basée sur le rejet des confréries considérées comme une « déformation de l’islam pur » qu’ils veulent restaurer. Cet état d’esprit est exactement celui des courants dits «takfiristes », c’est-à-dire excommunicateurs, et, en général, préalable à l’appel au « djihad » contre la société « impie ».

Les pratiques considérés comme « anti-islamiques » deviennent leurs cibles comme tout ce qui s’apparente à « l’Occident » ou s’en inspire. L’État, surtout dans sa forme « laïque est une cible de choix du discours islamiste. Sur ce plan, les positions militaires et diplomatiques du Sénégal sont assez significatives pour en faire un pays exposé aux menaces de mouvements djihadistes.

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Entre évolution des discours et influences extérieures

Les récentes études sur l’islam au Sénégal prennent rarement compte de l’évolution des discours religieux depuis les années 1970.

Une lecture binaire domine avec d’un côté, un islam confrérique concurrencé ou contesté, de l’autre, par un mouvement réformiste, comme Ibâdu Rahmân (dont l’idéologie est proche de celle des Frères musulmans avec des ramifications estudiantines au sein des campus de Dakar et de Saint-Louis) ou Al-Falâh, (d’obédience salafiste wahhabite et d’émanation saoudienne pour l’instant loin du combat politique et prônant plutôt un piétisme similaire aux mouvements salafistes du Maghreb et du Moyen-Orient).

Le soufisme comme bouclier?

En érigeant encore l’islam confrérique soufi comme un bouclier contre l’extrémisme islamiste, on semble oublier que, depuis les années 70, suite à l’émergence d’une élite arabophone issue des universités arabes et/ou islamiques contestant l’hégémonie des cadres francophones désignés comme responsables de la faillite du pays depuis l’indépendance, s’est développé le mythe de la « conscience islamique ». Ce mythe traverse toutes les sphères, y compris confrériques. Il consiste à accentuer un sentiment d’appartenance à l’Islam en tant que communauté transnationale donnant lieu à des solidarités « mécaniques ».

De plus en plus, ce mythe de la « conscience islamique » devient un véritable courant politique, captant les idéologies exogènes : salafisme, wahhabisme, voire djihadisme. En plus, les déçus du courant confrérique, parfois trop marqué par des relations complexes avec le pouvoir politique s’orientent aujourd’hui, vers un islam dit « rationalisé et moderne». Ce nouveau courant recrute même dans l’élite intellectuelle du pays. C’est un courant transversal sensible aux revendications de l’islamisme mondialisé et crée des catégories de musulmans « déterritorialisés » devenant la cible idéale pour être embrigadée par le djihadisme international, surtout qu’AQMI, dans le cadre de la modernisation de son image, investit de plus en plus les réseaux sociaux.

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L’instabilité sous-régionale

Même si, pour l’heure, les confréries arrivent à jouer ce rôle de rempart contre l’islamisme radical, il ne faudrait pas perdre de vue le caractère de plus en plus transnational des acteurs islamiques comme des idéologies. L’islam sénégalais est en plein cœur de ce tiraillement entre un mode de religiosité locale et les influences et appartenances de plus en plus mondialisées, surtout dans un espace sahélien instable et aux frontières poreuses.

Seule une prise en compte de ces nouvelles réalités pourrait aider à une meilleure compréhension de l’islam au Sénégal qui, à vrai dire, n’a jamais été en périphérie du monde musulman. C’est dans ce sens qu’il faudrait appréhender les éventuelles retombées des crises sahéliennes et du Moyen-Orient sur l’évolution de cet islam certes « local » mais n’échappant pas à la logique des appartenances de plus en plus transnationales.

 

Dr. Bakary Sambe, directeur de Timbuktu Institute

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