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Va-t-on Enfin Exiger Une Réforme Radicale De La Justice Sénégalaise ?

Le soupçon règne. Or, il y a rien de plus terrible pour la justice que pèse un soupçon de manque de crédibilité. Tout ce débat n’aurait pas eu lieu, s’il existait sous nos cieux une justice crédible digne d’un Etat moderne, d’une République exemplaire. Chez nous, ce sont les politiciens qui tiennent la justice et quand c’est le cas il n’existe plus de justice. Le résultat global c’est, sinon, la mise à mort du droit et de la justice, du moins leur mise en état de coma dépassé.

Au centre des grandes controverses politiques, on utilise toujours la justice sénégalaise à travers des positions qui nourrissent plus qu’elles n’apaisent les conflits. Certes, aucune justice sur terre n’est parfaite, mais il faut faire en sorte qu’elle fonctionne dans le plus grand respect des droits fondamentaux et de l’Etat de droit. Même dans les « grandes démocraties » la justice peut présenter parfois de sérieux défauts. Par exemple, aux Etats Unis, en 1857, dans l’affaire Dreed Scott, la Cour Suprême a déclaré inconstitutionnelle une loi fédérale en faisant prévaloir le droit de propriété du maître sur la liberté de l’esclave. Sévèrement critiquée à l’époque par le président LINCOLN, la décision de la Cour aurait, selon certains, accéléré le déclenchement de la guerre civile. A la suite de ces affaires malheureuses, ces Etats, grâce à des hommes et des femmes nourris par le sens de l’Etat de droit et de la démocratie, se sont battus pour instaurer une justice acceptable.

Au Sénégal, nous ne nous interrogeons pas assez. Nos politiques, quand ils sont au pouvoir, considèrent qu’il est mieux de contrôler la justice et de l’utiliser pour régler des problèmes politiques. De régime en régime, d’alternance en alternance, il y a une reproduction de cette pratique fâcheuse. Lorsque les hommes politiques sont dans l’opposition, ils promettent une justice indépendante et exemplaire. Puis, quand ils sont au pouvoir, ils sont très contents du système judiciaire. Leur crédo est simple : avant moi, la justice était mauvaise, après moi, elle le sera beaucoup plus mais pendant que j’y suis on y touche pas !

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Qu’avons-nous fait au lendemain de la condamnation de Mamadou DIA ? Rien. Qu’avons-nous fait suite à l’assassinat de Maître Babacar SEYE ? Rien. Qu’avons-nous fait au lendemain des troubles suite à la décision laborieuse et scandaleuse du Conseil Constitutionnel validant la candidature d’Abdoulaye Wade ? Rien. Qu’avons-nous fait au lendemain de la radiation généralisée et illégale des policiers ? Toujours rien. On pourrait continuer à citer d’autres exemples.

La dimension politique et  partisane tend toujours à l’emporter sur la vision d’une justice équitable fondée sur le respect strict des droits fondamentaux et de l’Etat de droit. Le politique devient, de plus en plus, une affaire de règlement de comptes  à travers des mécanismes et des procédures judiciaires dont l’issue est toujours couronnée par des protocoles nébuleux.

La justice aux ordres est le poison de la démocratie, la justice politisée est destructrice de la démocratie et de l’Etat de droit. La justice sénégalaise a épuisé la démocratie : elle ne répond plus et la société ne se reconnaît plus dans ses institutions. D’où une situation « d’autisme constitutionnel » à la sénégalaise.

Propositions

  • 1-Supprimer le ministère de la justice et le transformer en ministère de la Loi chargé de vérifier la qualité juridique des projets soumis à la discussion parlementaire et confier la formation, la nomination, la discipline des magistrats et le budget de la Justice à une autorité constitutionnelle. Comme il a été convenu, aujourd’hui, de transférer à la Cour Suprême et devant les juridictions judiciaires tout le contentieux administratif ;

  • 2- Supprimer le Procureur de la République et le remplacer par le Procureur de la Nation ;

  • 3-Supprimer le Conseil supérieur de la magistrature et le remplacer par le Conseil supérieur de la justice  siégeraient des avocats, des magistrats, des Professeurs de droit, des professionnels du droit ;

  • 4- Encadrer les institutions de clémence que sont la grâce et l’amnistie. Il est évident que le chef de l’Etat par la grâce, le législateur par l’amnistie, interviennent directement dans le cours même de la justice.

  • 5-Supprimer la CREI, dissoudre le Conseil constitutionnel et créer d’autres juridictions plus modernes.

 

Mouhamadou Ngouda MBOUP

Enseignant-chercheur à la  Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’UCAD

Ancien ATER à la Faculté de Droit et de Gestion de l’Université de La Rochelle

Ancien enseignant à la Faculté de Droit de l’Université de Grenoble

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