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Émotion Sélective Et Indignation à Géométrie Variable

Dans une chronique du 20 juin 2016, titrée de façon insolente en ce mois bénis de Ramadan, « Cachez-moi ce sein que… j’ai cherché à voir ! », M. Madiambal Diagne, dans un style savant, est revenu sur l’affaire de la chanteuse sénégalaise arrêtée puis libérée sans suite pour des « faits » qui seraient « contraires aux bonnes mœurs ».

A sa suite, son confrère Pape Samba KANE s’est fendu, ce 21 juin 2016, sur une apparence d’érudition, d’une contribution intitulée « Qui a eu de coupables pensées? » pour embrayer sur la même allure.

Les commentaires de ces plumes « biens pensantes » méritent, plus que l’affaire querellée, des observations, tant les insinuations y sont insidieuses. Les tirs groupés de ce commando contre « l’axe du mal » visent deux cibles : la légitimité du combat porté par ce comité « mal-pensant » et la légalité de son action ?

Pour répondre aux interrogations du sieur KANE qui soulève la légitimité du « Comité pour la défense des valeurs au Sénégal » dont la plainte a conduit à l’arrestation de l’artiste, je lui rétorquerai cette pensée de son « collègue » écrivain, Tahar Ben Jelloun, qui disait que « écrire, c’est rendre compte de quelque chose que l’on a vécu et qui mérite de sortir du cadre personnel. En ce sens, beaucoup d’écrivains d’aujourd’hui n’ont aucune légitimité. Ils devraient arrêter d’écrire. »

En effet, pour la posture scientiste que vous incarnez, vos démarches manquent terriblement de rigueur intellectuelle qui traduit, sans conteste, votre parti pris, à peine assumé, pour une société sans valeurs de référence, quelles soient morales, religieuses ou citoyennes. Autant vous reprochez, à juste raison peut être, au Comité incriminé dans vos articles sa légitimité à porter un combat moralisateur car n’étant investi par aucune instance habilitée, autant vous-même ne justifiez nullement qui sont ces « SENEGALAIS » dont vous vous investissez pompeusement et abusivement porte-plume?

M. Kane, en tant que « aide-comptable » de formation, vous ne pouvez pas mépriser à ce point la règle élémentaire de la partie double.

Et dire que vos deux journaux tirés, chacun, à moins de 50 milles exemplaires, souvent invendus, sont lus par moins d’un dixième du centième de la population ?

Monsieur Diagne soulève la question de la légalité de l’action de ce Comité en se demandant « si le Sénégal a défini dans sa législation les caractéristiques du port vestimentaire d’une femme ? ». Dans un style qui nous rappelle son passé de greffier, et comme à son habitude dans les dossiers judiciaires, Me Diagne nous entraine dans les dédales et les détails de la procédure d’arrestation et de garde à vue de la chanteuse…, en ces termes : « on ne peut pas ne pas s’étrangler que la police nationale en arrive, pour des futilités pareilles, à placer la jeune dame en garde à vue. La police n’avait aucune raison de retenir la chanteuse, d’autant que l’enquête ouverte n’a retenu aucune caractérisation délictuelle des faits. En effet, l’enquête ouverte, suite à une saisine par le parquet de Dakar, a permis d’entendre la mise en cause ainsi que le plaignant et a été bouclée le vendredi 17 juin 2016 à 11 heures 25 minutes précisément. La notification de la garde à vue n’a visé aucune infraction mais a indiqué le simple motif : «Sur instructions du chef de la Sûreté urbaine de Dakar».

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L’avocat de circonstance d’une société du libertinage clôt sa plaidoirie en invitant les « organisations de défense des droits de l’Homme comme Amnesty International » à « hurler » contre cette « tendance à faire de l’inquisition, à fouiner et à s’ériger en recteur de nos ports vestimentaires ou de nos fréquentations »

En lisant le texte, de bout en bout, la tentative de manipulation de la vérité y scintille comme le soleil de midi darde ses rayons en saison d’été sous les tropiques. Me Diagne organise sciemment son amnésie (peut –être involontairement à son corps défendant !). Un greffier, formé à bonne école, ne peut ignorer que dans le code pénal sénégalais en vigueur, largement sinon totalement inspiré par le droit romain, le terme « pudeur » y est mentionnée cinq (5), autant de fois que le mot « mœurs ».

Autre temps, autre mœurs, il a oublié la définition de la notion de « bonnes mœurs », au sens de cette législation de tradition judéo-chrétienne. Les bonnes mœurs s’entendent de l’ »ensemble des règles imposées par la morale et auxquelles les parties ne peuvent déroger par leurs conventions ». L’outrage aux bonnes mœurs est consacré comme un délit selon le décret du 3 août 1942, en ses articles 1er et 12 relatifs aux publications obscènes.

S’agissant de l’outrage public à la pudeur, prévu par l’article 318 du code pénal, il est réprimé comme un délit « consistant en un geste contraire à la décence perçu ou susceptible d’être perçu par des tiers ». De même, l’attentat à la pudeur est un délit prévu et puni par les articles 318 et 319 du même code.

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Ces notions de « pudeur » et de « mœurs » ne s’entendent aucunement selon nos conceptions négro-africaines, encore moins selon les valeurs islamiques majoritairement pratiquées au Sénégal. Ces termes ont été introduits dans la législation pénale sénégalaise et définis par « nos ancêtres civilisateurs » les gaulois puisque le « décret du 3 août 1942 » est le fait, non pas de ce que vous appelez « une organisation qui s’improvise recteur de la moralité des Sénégalais », mais plutôt d’un ordre colonial évangélique.

Pour la petite histoire, ce décret a été fait à Vichy, le 3 juillet 1942 et signé par Philippe PETAIN alors Maréchal de France et Chef de Etat Français. Le secrétaire d’Etat aux colonies, Jules Brévié, était chargé de son exécution dans les territoires sous domination française. Ce décret était inspiré par la « convention internationale pour la répression de la circulation et du trafic des publications obscènes signée à Genève le 12 septembre 1923 » que le colonisateur français à jugé utile d’étendre aux territoires relevant du Haut Commissariat de l’Afrique française.

C’est le lieu pour moi de demander aux « organisations de défense des droits de l’homme libertinage » si cette convention est en vigueur dans le droit positif ?

Il me plairait de savoir pourquoi vous n’avez pas commenté, avec la même indignation et au nom des mêmes motifs (démocratie et laïcité et nation multiculturelle, multiconfessionnelle et multiethnique) la volonté du chef de l’Etat d’interdire le voile islamique, un choix vestimentaire délibéré de sénégalaises? Certainement que ces femmes, intégralement voilées, sont trop pudiques et cachent trop jalousement leurs chaires. Rien à faire, il n’y a aucun intérêt à agir pour ces SENEGALAISES.

Pire, dans une chronique intitulée « L’Humanité en deuil » (16 novembre 2015), M. Diagne, commentant les attentas de Paris, invitait l’Etat, sur un ton liberticide, à se « préparer et de préparer des lois adaptées à lutter contre ce phénomène (terrorisme). L’Etat du Sénégal doit impérativement se doter d’un arsenal juridique qui lui permettra de s’assurer des conditions pour mettre des terroristes en herbe hors d’état de nuire. »

Homme de conviction « ange-gardien » d’une république « ceinte », je suis convaincu que vous n’êtes pas partisan d’une application sélective de la loi. En attendant que votre appel soit entendu et en dépit de ce « vide juridique », je constate votre indifférence coupable devant la condamnation « pour apologie du terrorisme » d’un certain Ibrahima Sèye. Le pauvre est un anonyme professeur d’histoire et de géographie au lointain lycée Alpha Molo Baldé de Kolda, à titre principal et imam à ses heures perdues dans une petite mosquée, peu fréquentée, dans cette bourgade . Géographe en herbe, il avait poursuivi, hors des salles de classe, son commentaire rugueux sur des actualités nationale et internationale (envoi de soldats sénégalais à l’étranger et marche au lendemain des attentats d’un journal parisien). La discussion, non filmée et enregistrée à son insu, a été tenue dans un lieu privé en principe uniquement accessible à des gens en pleinement méditation.

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J’attends votre compassion également suite à l’arrestation de l’enseignant Alioune Ndao par des hommes surarmés en plein milieu de la nuit. La presse nous apprend qu’il avait des amitiés douteuses et qu’il détenait un téléphone satellitaire. Ses potaches, qui risquent une année blanche, prolongent pour le moment leurs vacances.

En attendant, que le mot terroriste soit inséré dans l’un des 436 articles du Code pénal sénégalais et que soit codifié les délits « d’amitié » et de « détention abusive d’un matos high-tech », je déconseillerai aux sénégalais d’acheter la puce 4G, qui pourrait être un crime (économique) encore plus grave…

Vous avez sciemment cassé vos plumes face à la mise en liberté, sans conditions, de journalistes condamnés pour viol, de chroniqueurs coupables d’actes contre nature, d’autorités « religieuses » poursuivies pour meurtre et inhumation sans autorisation, de célébrités jugés et condamnés pour trafic de drogue, de musiciens poursuivis pour trafic de faux billets, de « personnalités politiques » condamnées définitivement pour enrichissement illicites, de « prêcheurs » arrêtés pour association de malfaiteurs….

Votre silence bruissant de paroles, devant l’accaparement de la justice par une caste sociale d’intouchables, est le témoin éloquent de votre manque pitoyable de « capacité d’indignation ».

Pour des raisons élémentaires « d’équité» alors, souffrez chers « séraphins » d’un ordre national chaotique qu’une « infime minorité » de la population s’organise en comité pour « pour défendre des valeurs » de tradition juridique judéo-chrétienne.

 

Elimane POUYE

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