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Dépasser Le « 23-juin » Et Arrêter De Se Voiler La Face

Ce 23 juin 2016, commentaires, articles de presse et reportages radio et télé ont ponctué la journée pour rappeler le sursaut d’un peuple qui s’est dressé comme un seul homme contre la volonté d’un président de la République de tripatouiller la Constitution et de fausser les règles du jeu (faire élire le premier magistrat du pays avec seulement 25% des suffrages).

Le fait, pour les Sénégalais, de rester sur cet épisode marquant de notre histoire politique et de le célébrer comme un moment de libération, est symptomatique d’un besoin de changement qui jette en même temps une lumière singulière sur la situation peu reluisante qu’ils vivent quotidiennement. Loin de moi l’idée de minimiser ce qui s’est passé le 23 juin 2011, mais il faut éviter de le sacraliser. Parce que ceux qui nous dirigent ou aspirent à le faire n’en ont pas tiré les leçons. Et ils ne le feront pas tant que le système ne changera pas de manière structurelle.

On s’est félicité du fait que les Sénégalais avaient « pris leur destin en main » en s’opposant de toute leur force et de toute intelligence à un projet de loi rétrograde pour le pays. On a aussi salué la leur « maturité ». Dans l’euphorie, on pouvait se permettre les appréciations les plus enthousiastes et les plus optimistes, mais aujourd’hui, la lucidité commande que l’on revienne à la raison.

Et si cette « vitrine démocratique » sénégalaise tant vantée n’était en réalité qu’un vernis démocratique dont les éclats nous éblouissent si fortement que les effets sont tout le temps pris pour les causes ? Il y a tellement de faits, d’actes et de pratiques politiques qui devraient inciter à plus de mesure et de lucidité dans l’analyse de la réalité qui s’offre à nous. Cinq ans après les événements du 23 juin 2011, le peuple qui s’était levé pour dire ‘’Non’’ à Abdoulaye Wade et au nom duquel les politiciens prétendent aller à la conquête du pouvoir, reste le dindon d’une grosse farce dont la mise en scène est perpétuée par la nature même de notre régime. Il faut changer de République pour définitivement balayer le sentiment que le salut ne peut venir que de la démocratie représentative.

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Ce qui avait été combattu il y a cinq ans n’était qu’une goutte d’eau qui allait faire déborder un vase déjà plein d’incongruités, d’anomalies et d’injustices. Les pratiques politiques qui ont cours depuis l’indépendance de ce pays, sont encore là, plus prégnantes et plus révoltantes que jamais : une Assemblée nationale fonctionnant comme caisse de résonance de l’exécutif, la détestable transhumance, l’impunité, le clientélisme, la corruption, la politisation des politiques publiques, une justice à deux vitesses – selon qu’on soit politicien, homme d’affaires ou star des médias ou de la musique, ou bien issus d’un milieu défavorisé et n’ayant aucun « bras long » dans les sphères de décision…

S’il en est ainsi, c’est en grande partie la faute à un régime présidentialiste à outrance. Le président de la République reste encore – et ce depuis 1963 – la clé de voûte des institutions. Il est en réalité le seul qui a tous les pouvoirs, celui qui peut bloquer ou faire avancer tel ou tel dossier crucial pour la vie de la Nation. N’ayant en vérité aucun contre-pouvoir, il est tenté – c’est ce que les faits montrent – de privilégier ses intérêts et ceux de son camp politique. C’est cela qu’il faut changer. Les Assises nationales (2008-09) ont été un formidable laboratoire ayant proposé une refondation du système. Mais près de dix ans plus tard, la plupart de ceux qui en ont été les parties prenantes se sont retrouvés dans le camp qui ne travaille pas à leur mise en œuvre.

Il faut donc changer et se rendre à l’évidence qu’il ne suffit pas de changer de président pour changer de politique pouvant conduire au progrès pour tous les citoyens de ce pays, quels que soient leur appartenance politique, leur contrée d’origine, etc. Le 23 juin 2011 a été un grand moment de mobilisation citoyenne pour faire prévaloir la voix et la voie du peuple souverain. Mais la suite des événements a montré, hélas, que le véritable combat doit se mener contre les velléités conservatrices de privilèges, de positions et de prébendes pour une ‘’élite’’ dont il ne faut rien attendre. Il reste à entretenir la flamme de ce qui ne cessera de faire l’essence de nos vies : la lutte pour préserver la dignité.

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Aboubacar Demba Cissokho

Dakar, le 24 juin 2016

PS : cette chronique a été écrite dans la nuit. A ce moment-là, Karim Wade, jugé et condamne pour enrichissement illicite, bénéficiait d’une grâce présidentielle après avoir purgé la moitié de sa peine. Un fait qui me conforte dans cette conviction que les politiciens continueront à se jouer de nous. Je n’ai donc pas remanié ce texte.

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