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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

D’accord, Monsieur Le Président, Parlons économie !

Interpellé en marge du Conseil des ministres délocalisé à Pikine, le président de la République, refusant de parler du protocole de Rebeuss, a invité les Sénégalais à s’installer plutôt dans un débat économique. Il a ainsi déploré que ce débat économique, demandé dans le cadre du dialogue national qu’il a lancé, n’ait pas encore eu lieu alors que «le plus important, ce sont les questions économiques».

Monsieur le Président, permettez-nous de vous dire que l’on n’a pas besoin de «faire le débat économique pour savoir si le gouvernement est performant ou s’il ne l’est pas…, si les populations ont un mieux-être ou pas…, ce qui intéresse la jeunesse, ….comment faire pour régler la question de l’emploi…, comment faire pour régler la question de la production alimentaire, comment faire pour atteindre les objectifs d’émergence», etc. …

C’est vous qui êtes aux affaires, Monsieur le Président et, à la différence des questions politiques, qui ont besoin d’un consensus fort en tant qu’elles ont trait aux règles du jeu démocratique, les questions inhérentes à la gestion économique et sociale du pays sont de votre responsabilité propre, c’est-à-dire de celle de votre parti et de ses alliés au gouvernement, en tant que dépositaires du suffrage populaire de 2012, comme vous aimez à le rappeler. A moins que le fameux Pse ne soit pas en voie de «tenir la promesse des fleurs» et que vous ne soyez en panne d’idées, ne devriez-vous pas pouvoir gouverner seuls ?…Aussi, Monsieur le Président, permettez que les autres, «ceux qui s’opposent (et qui) doivent pendant ce temps aller chercher un programme», ne soient plus enclins, désormais, à jouer pour vous le rôle de contributeurs et se réservent le droit de proposer aux citoyens sénégalais, le moment venu, leur projet de société pour un meilleur devenir, incluant à la fois les questions institutionnelles, organisationnelles, économiques, sociales et culturelles.

A la question de savoir «comment ils vont contourner le Pse pour sortir je ne sais quoi», nous nous ferons donc le plaisir de répondre, en mettant le doigt – sans «dévoiler nos batteries» – sur quelques insuffisances, écueils et aberrations de ce fameux plan que l’on nous présente comme la panacée. Dès sa conception, le Pse a pêché par une démarche insuffisamment inclusive, son élaboration ayant été confiée – à grands frais – à un bureau d’études  extérieur, appuyé pour la circonstance par un groupe de Sénégalais de la diaspora, avant d’être validée a posteriori au niveau national, ce qui explique que, deux ans après le début de sa mise en œuvre, l’appropriation par les responsables et experts de ce dossier ne soit toujours pas effective.

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De plus, l’on avait misé sur des prévisions hasardeuses, à savoir : un taux de croissance annuel atteignant 7% en 2016 ; un déficit budgétaire ramené la même année à 3% du Produit intérieur brut ; «une réduction sensible de la pauvreté», sans préciser à quel indice ; etc. A l’évidence, des hypothèses alternatives et simulations sérieuses ont fait défaut au Pse dès le départ, et la communication du Ministre des Finances au séminaire de la coalition «Bennoo Bokk Yakaar», tenu le samedi 18 octobre 2014 au «King Fahd Palace», avait été édifiante sur ce point, lorsqu’il invoquait les probables effets néfastes de la fièvre Ebola (qui était, il est vrai, à nos portes), ainsi que de la pluviométrie, sur les prévisions initiales de croissance économique et la nécessité, en conséquence, de réviser ces prévisions à la baisse en procédant à des ajustements. Cet aveu était pour le moins surprenant, car il n’est point besoin d’être un économiste pour savoir que l’on n’est jamais à l’abri d’impondérables et d’aléas, surtout sur une aussi longue période que celle d’un tel plan.

Par ailleurs, dans sa configuration, le Pse se composait initialement de trois dimensions, fondées sur : la transformation de l’économie ; la couverture sociale et l’élargissement de l’accès aux services sociaux; et la réponse aux exigences de bonne gouvernance. Dans aucun de ces volets, cependant, les actions n’ont été planifiées jusqu’au bout, malgré la volonté de les décomposer en plans d’actions prioritaires quinquennaux. De surcroît, les interrelations entre les différentes composantes n’ont pas été assurées, l’accent ayant été plutôt mis sur le premier volet, «transformation de l’économie», à la faveur de grands projets d’infrastructures, les fameux 27 «projets-phares» auxquels ont été amarrés, a posteriori, des projets «appendices» supplémentaires (Pudc, Puma, etc.), en se basant sur la théorie «keynésienne» de l’effet d’entraînement. Mais, en tout état de cause, pour stimulants et bénéfiques que soient supposés être pour l’économie ces investissements, l’option pour une telle approche sensée tirer la croissance ou corriger des disparités socio-régionales a montré ses limites, ce qui explique que l’on se préoccupe aujourd’hui de susciter un débat sur les questions du mieux-être des populations, de l’emploi, notamment des jeunes et de la production alimentaire du pays.

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Bien sûr, la mobilisation des ressources se fait sans difficultés, ce qui n’est pas surprenant au regard du préjugé favorable dont bénéficie notre pays depuis des décennies. Mais de là à dire qu’il y a eu «un changement de paradigme en matière de mobilisation de fonds» !… L’on aimerait bien savoir lequel ou en quoi ?…Bien sûr, les travaux de construction de l’aéroport international Blaise Diagne (Aidb) finiront par être finalisés ! Bien sûr, le train express régional Aidb-Dakar finira par être mis sur les rails ! Bien sûr, l’autoroute Ila-Touba sera menée à bon port ! Bien sûr, les différentes «cités de l’émergence» fleuriront ! Mais après ?…Comme le dit l’adage populaire au sujet de la croissance, ces infrastructures «se mangent-elles» ? Les effets induits de ces réalisations, en termes d’emplois, comme d’activités génératrices de revenus, seront-ils durables ? Les opportunités offertes par le Pse dépassent-elles la simple mise en place, autour de ces réalisations, de services et solutions d’accompagnement somme toute primaires? Quid des millions de Sénégalais qui ne mangent pas à leur faim ? Quid de tous ces jeunes en déshérence, dont certains en sont réduits à braver les furies de l’océan en quête d’un «Eldorado»? Quid de toutes ces petites entreprises individuelles et Pme qui «mettent la clé sous le paillasson», jour après jour ? Quid de tous ces chômeurs, victimes des incuries de gestion des managers de nos entreprises publiques ? Quid de tous ces malades qui n’ont, ni les moyens de se soigner, ni mutuelle de santé ?…

Monsieur le Président, à l’évidence, il semble que vous ayez bien conscience que votre Pse  a laissé intacts, en sus de la non-prise en charge des questions-clés de gouvernance politique et administrative, susceptibles d’en faciliter la réalisation des objectifs, des enjeux tels que : la mise en œuvre de mesures sociales durables ; le soutien à  apporter au secteur privé national, le seul véritable créateur de valeur et pourvoyeur d’emplois et en particulier les Pme/Pmi qui en constituent les 90% ; la mise en œuvre de véritables réformes des secteurs de production ; la formulation de politiques permettant d’assurer les équilibres macro-économiques fondamentaux, en articulation avec les stratégies sectorielles ; et les mesures de redistribution indis­pensables, pour assurer un soutien effectif au pouvoir d’achat des familles et une relance de la demande de biens et services.

Tout tourne autour des «projets-phares». Au lieu de s’attaquer à la problématique du financement des investissements des entreprises du secteur privé national et, notamment, de l’amélioration des modalités et taux du financement bancaire devant leur être destiné, l’on se contente, au mieux, de s’assurer de leur implication en tant que sous-traitants, voire en qualité de main d’œuvre, dans les marchés octroyés aux sociétés étrangères. Les quelques actions sociales dont se targuent vos partisans, à savoir les bourses familiales, la couverture médicale soi-disant universelle, la baisse des loyers, etc., sont insuffisantes et constituent, en fait, des mesures de saupoudrage et/ou de rattrapage, «accrochées» au Pse pour en masquer les carences dans le domaine social, alors qu’une politique bien intégrée, dans un «package» composé d’un filet de protection sociale multidimensionnel, ainsi que de mesures incitatives et de promotion d’emplois durables, aurait permis d’assurer un réel impact sur le bien-être des populations.

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Etant candidat déjà déclaré à votre propre succession, tout est donc fait pour pouvoir exposer vos soi-disant «réalisations» en vue des prochaines échéances électorales, afin d’en récolter d’éventuels dividendes politiques. C’est ce qui explique, sans doute, le choix fait de commencer par des travaux d’infrastructures et des projets dits urbains, dont la durée ne devait pas excéder trois ans, plutôt que par des projets industriels véritablement structurants, à plus haute valeur ajoutée et générateurs d’emplois, mais dont les résultats ne pourraient être visibles qu’à plus long terme.

Pour finir, vous revêtant du manteau de chef de parti et non de chef de l’Etat, vous avez mis au défi, Monsieur le Président, non seulement l’opposition traditionnelle, mais l’ensemble des forces vives de ce pays, en affirmant : «Quand sonnera l’heure de la campagne électorale, vous savez que je sais faire une campagne. J’ai mon «bakk», et ils le savent. A chaque fois qu’il retentit, ils sont par terre, mais ce n’est pas le moment …». Espérons seulement que derrière ce langage guerrier, plus précisément de lutteur, les fonds publics – qu’ils soient «politiques» ou non -ne seront pas utilisés pour mener campagne, comme lors du référendum du 20 mars dernier !  Gageons aussi que les citoyens se poseront la question de savoir comment quelqu’un qui appelle à un dialogue national et à l’ouverture d’un débat sur les questions économiques du pays peut tenir un tel langage ?…

 

Mohamed SALL SAO

Membre fondateur de la Plateforme politique «Avenir, Senegaal bi nu bëgg»

Président de la Commission Etudes et stratégies

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