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L’école Publique Sénégalaise Est En Danger

L’école publique sénégalaise est incontestablement sur une mauvaise trajectoire. Elle est si malade que les parents d’élèves qui ont les moyens envoient désormais leurs enfants à l’école privée. Quels changements en quelques décennies ! Naguère, les meilleurs élèves du pays étaient dans le public et ceux du privé étaient surtout des jeunes ayant échoué au concours d’entrée en sixième ou renvoyés du public pour insuffisance de travail.

Nous qui avons été formés à l’école publique gratuite avons-nous le droit de nous taire et de rester inertes face à cette descente aux enfers de l’école publique sénégalaise ? A mon avis, la réponse est non.

La déliquescence de notre école publique résulte de l’interaction continue de plusieurs facteurs qui ont entraîné une baisse de niveau continue de nos élèves, de nos étudiants, mais aussi de nos enseignants. On peut citer pêle-mêle les principales causes : la massification non planifiée des effectifs, la grève chronique des enseignants, des infrastructures d’accueil hors normes, des enseignants non formés et mal payés, des enseignants chercheurs surchargés, des syndicats qui versent dans le radicalisme, des autorités qui n’anticipent pas les évènements, des moyens budgétaires insuffisants…

Immédiatement après l’indépendance de notre pays en 1960, le Sénégal s’était lancé dans une construction tous azimuts d’écoles publiques dans tous les gros villages. C’était une opération louable de démocratisation de l’école, mais aussi une volonté politique de former des cadres qualifiés pour gérer notre pays nouvellement indépendant. Beaucoup de cadres de ma génération ont bénéficié de cette démocratisation de l’école publique post indépendance pour être ce qu’ils sont aujourd’hui. Parmi eux, le ministre actuel de l’Enseignement supérieur, Professeur titulaire, et bien d’autres sûrement. Sans l’école publique gratuite, beaucoup de leaders, dont ceux qui nous gouvernent ou aspirent à nous diriger, exerceraient des métiers moins valorisants présentement.

Pour permettre aux enfants du Sénégal de s’instruire dans de bonnes conditions, des bourses d’études substantielles étaient accordées à tous les élèves y ayant droit. En se souvenant de cette époque glorieuse, on est quand même nostalgique par rapport à ce qui se fait actuellement par les collectivités locales qui n’accordent pas assez d’importance aux bourses scolaires. Toujours à cette époque de l’excellence, les fournitures scolaires étaient gratuites et les frais d’inscription inconnus. Actuellement, à cause de ces frais d’inscription très élevés dans les collèges et lycées, des enfants quittent régulièrement l’école publique, leurs parents n’ayant pas les moyens de les inscrire. Cela me paraît contraire à l’esprit de l’école publique gratuite et obligatoire depuis 2005. Il est souhaitable que le ministre de l’Education nationale normalise le montant des frais d’inscription a défaut de les supprimer, en tenant compte des moyens des parents d’élèves démunis.

En 1965-66, pour absorber les nombreux élèves en classe de Cm2, suite à la création de beaucoup d’écoles primaires à travers le pays, des Collèges d’enseignement général (Ceg) et des Sections normales (Sn) avaient été créés dans les capitales départementales comme Kaffrine, Gossas, Nioro, Bignona… C’est cette année aussi que le concours d’entrée en 6ème a remplacé l’examen d’entrée en 6ème, car les lycées qu’on ne trouvait que dans les capitales régionales n’avaient pas la capacité d’accueillir les élèves qui réussiraient à l’examen d’entrée en 6ème. Cette mesure est la première mauvaise réponse à la massification dans le cycle primaire. Beaucoup de jeunes ont été sacrifiés avec l’instauration du concours à la place de l’examen d’entrée en 6ème.

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La grève était inconnue ou très rare dans les cycles primaire et secondaire à cette époque. Les instituteurs étaient bien formés. Ils aimaient leur métier qu’ils exerçaient fièrement, ils étaient des notables dans les villages et quartiers des villes. On ne les confondait avec personne, ils étaient toujours bien habillés et inspiraient respect et considération. Ils maîtrisaient la langue de Voltaire.

Avec une croissance démographique annuelle de l’ordre de 3%, il fallait poursuivre la construction d’écoles publiques dans le pays pour permettre au plus grand nombre d’enfants d’accéder à l’école publique et gratuite. A cette fin, les autorités d’alors, tenaillées par les programmes d’ajustement structurel des années 1990, avaient imaginé une solution de facilité qui a fait beaucoup de mal à l’école publique sénégalaise. Au lieu de construire des écoles, elles ont mis en place des abris provisoires qui ont contribué à baisser l’attractivité et le prestige de l’école publique. A la place d’enseignants bien formés et bien payés, l’Etat a fait appel à des volontaires et à des contractuels non formés et sous payés. C’est le début de la déliquescence de notre école publique. Avec ce système, des maçons, des électriciens, des menuisiers devenaient instituteurs grâce au fameux quota sécuritaire qui était en réalité un montage pour opérer des recrutements politiques permettant de caser neveux, amis, cousins et militants sans tenir compte de leur aptitude. L’Etat ne s’intéressait qu’au nombre d’élèves inscrits (augmenter le taux de scolarisation brute) et négligeait voire oubliait la qualité de l’enseignement et les conditions d’études des élèves. C’est pourquoi l’Etat recrutait des enseignants dans des conditions opaques et mettait en place des abris provisoires pour la quasi-totalité des nouvelles créations (écoles primaires, Cem, lycées). Les conditions d’études dans ces abris exposés au soleil, à la pluie et à la poussière, sont tellement mauvaises que les enseignants ne terminent pas leurs programmes. A cela s’ajoutent une fin d’année scolaire anticipée et une rentrée scolaire bien après le «Ubi tey, jang tey» officiel à cause des pluies et du temps nécessaire pour refaire les abris provisoires.

On peut noter pour s’en féliciter qu’il y a une résorption significative et continue des abris provisoires dans le pays. Autre motif de satisfaction, le quota sécuritaire est abandonné et le recrutement des enseignants se fait maintenant avec plus de transparence que par le passé.

Pour l’enseignement supérieur, avec les nouveaux lycées dans les capitales départementales notamment, le nombre de bacheliers en augmentation continue a atteint des niveaux dépassant largement la capacité d’absorption des universités depuis les années 90. Ce flux croissant d’étudiants a créé le chaos à l’Ucad et on connaît les conséquences désastreuses sur la qualité des enseignements et le taux d’échec des apprenants. Les enseignants chercheurs payent un lourd tribut à cause de la sursaturation des universités.

Cette massification du système éducatif sans planification (primaire au supérieur) a poussé les enseignants à se rebeller. Ainsi, depuis les années 90, le système éducatif public sénégalais est perturbé par des grèves interminables dans tous les ordres d’enseignement.

Pour défendre leurs intérêts spécifiques, les volontaires, vacataires et contractuels très mal payés, comparés aux autres instituteurs, se sont lancés légitiment dans le syndicalisme pour demander une revalorisation de leur traitement, mais aussi leur intégration dans la fonction publique.

Obligé de résoudre l’équation des corps émergeants, l’Etat a beaucoup fait. Les salaires ont été considérablement augmentés, de nouveaux avantages accordés et l’intégration dans la fonction publique accélérée. La prolifération des syndicats d’enseignants rivalisant dans le radicalisme a mis l’école publique sénégalaise dans une instabilité chronique. Ainsi, le niveau des élèves baisse d’année en année, les parents s’inquiètent, les enfants sont déboussolés. L’Etat se rend compte que les investissements colossaux effectués dans le système éducatif ne donnent pas les résultats escomptés. Les parents qui ont les moyens inscrivent leur progéniture dans le privé qui jadis était le réceptacle des moins bons élèves. Cette tendance est si forte que tous les partenaires de l‘école publique sont interpellés pour la redresser.

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La grève dans l’enseignement en général est liée aussi au non-respect des grades dans le traitement des agents de la fonction publique. L’Etat a tellement distribué d’indemnités à certains corps que les enseignants constatent que la hiérarchie et les grades n’ont plus de sens et ils sont les grands perdants. Le ministre de tutelle avait promis de s’attaquer à cette anomalie qui gangrène la fonction publique sénégalaise. On attend toujours avec impatience les initiatives du ministre.

Concernant l’enseignement supérieur, depuis 1989, le Saes déclenche cycliquement des mouvements de grève pour des plateformes revendicatives portant sur les salaires, la prise en charge médicale du personnel, la pédagogie, la retraite, les grades etc. En 1989, un instituteur pouvait gagner mieux qu’un assistant. Suite aux grèves du Saes et les différents accords signés avec les autorités de 1989 à 2016, beaucoup de choses ont changé et continuent de changer dans le bon sens. Les salaires des enseignants du supérieur ont été significativement augmentés et de nouveaux avantages accordés.

A partir de 2012, les universités sénégalaises ont connu des périodes conflictuelles suite à un malentendu regrettable entre le Saes, les étudiants et la tutelle. La sérénité semble revenue et on assiste à une modernisation des universités, notamment l’Ucad. La carte universitaire du Sénégal est en train de changer radicalement. Une révolution est en train de se produire dans le secteur de l’enseignement supérieur.

La baisse de niveau des élèves et des étudiants et la sursaturation de l’Ucad sont à l’origine d’un taux d’échec inadmissible dans tous les ordres d’enseignement. Ainsi, le nombre de jeunes qui sortent du système sans qualification constitue un problème national qu’il faut régler au plus vite. N’est-il pas temps qu’on organise des assises sur les recalés du système éducatif sénégalais ? Ces jeunes abandonnés à eux-mêmes sont plus nombreux que ceux qui sont dans les universités. Le développement du pays se fera difficilement sans ces milliers de jeunes sans qualification.

Sans l’école publique gratuite, le Sénégal ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire un pays géré par des hommes et des femmes bien formés, respectueux des institutions de la République, du verdict des urnes, un pays ayant des universités classées parmi les meilleures d’Afrique et du monde, un pays ayant une Armée républicaine et professionnelle, un pays envié pour sa démocratie…

Pour l’intérêt supérieur de notre pays, nous devons préserver cet outil unique de promotion de tous ses fils. Avec l’école publique gratuite, tous les enfants du pays, quelles que soient leur origine et situation sociale, ont une égale chance de réussir et d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat. Le Président Macky Sall et ses prédécesseurs sont des produits de l’école publique gratuite.

J’invite tous les Sénégalais, en particulier les produits de l’école publique gratuite, à se lever pour défendre, soutenir et accompagner cet outil unique de promotion de tous les fils du Sénégal. Le défi est relevable, il n’est pas trop tard.

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La décrédibilisation de l’école publique gratuite va sonner la fin de l’égalité de chances entre enfants sénégalais et ce serait une violation de notre charte fondamentale. Cela entraînerait aussi un nivellement vers le bas de la qualité de nos cadres et l’émergence du Sénégal hypothéquée. Seuls les enfants de parents aisés deviendraient des cadres, mais les fils de paysans, de pêcheurs, d’ouvriers… n’auront plus accès à la fonction publique. De potentiels médecins, professeurs agrégés, avocats, magistrats, ingénieurs, instituteurs, architectes… seraient perdus pour le pays.

Nous diplômés, produits de l’école publique, sommes suffisamment nombreux et crédibles pour sauver notre école publique. Au-delà des concertations et assises, créons l’association «Les amis de l’école publique» lors d’une journée nationale dédiée à notre école publique. Le Président Macky Sall pourrait être le parrain de l’association. Lors de cette Journée, il pourrait décerner le «Prix du président de la République pour les enseignants».

Le redressement de l’école publique se fera avec la contribution de ses parties prenantes qui devront chacune revoir sa copie. Le radicalisme doit être banni dans le système éducatif d’où qu’il vienne. Ainsi :

  • Les syndicats devront humaniser leur droit de grève en pensant à leur pays, aux élèves, aux étudiants et aux parents d’élèves. Une augmentation des avantages n’est pas acceptable à tout prix ;
  • Le dialogue naturel et dans la vérité doit être érigé en moyen de gestion du système éducatif ;
  • L’Etat doit respecter ses engagements et faire appliquer les recommandations des concertations et assises ;
  • L’Etat doit être plus juste envers les enseignants qui peuvent se considérer comme les mal aimés de la fonction publique. Il donne des indemnités aux autres catégories de travailleurs sans qu’elles aient besoin d’aller en grève alors que les enseignants n’ont rien sans aller en grève ;
  • L’Etat organise une Journée de rentrée solennelle des Cours et tribunaux et rien pour la plus grande institution de la République ;
  • Les enseignants sont le corps le moins décoré par l’Etat au Senegal. Changer dans ce domaine apporterait plus de motivation dans le corps enseignant ;
  • Les associations de parents d’élèves devront être plus proactives et assumer leur mission de facilitateur du dialogue entre l’Etat et les syndicats ;

Les partenaires de l’école doivent s’impliquer davantage pour aider à rapprocher les positions des syndicats, de l’Etat, des étudiants et des élèves.

Nul ne doit ignorer qu’une bonne formation des citoyens est la condition sine qua none pour un Sénégal émergent, démocratique et paisible. Notre pays pourrait donc être en danger si son école publique est malade dans la durée.

 

Pr Demba SOW

Ecole supérieure polytechnique de l’Ucad

Pr Demba SOW

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