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L’itie Est-elle Le Voile Non Transparent Du Pillage Honteux Des Ressources Naturelles?

« J’ai toujours annoncé à mes amis africains que l’indépendance, pour laquelle nous luttions, serait le début de leurs difficultés». René Dumont

La mémoire de mon cœur me recommande la reconnaissance! Donc assis confortablement dans le salon-parloir de la République en prenant à témoin le Peuple sénégalais souverain encore avec ses questions légitimes, j’exprime ma double gratitude à notre Premier ministre Mohamad Boune ABDALLAH Dione. Je lui dis merci, d’une part, d’avoir répondu avec promptitude sans attendre le réveil du lion en plein sommeil à la lettre d’Abdoul Mbaye, président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT) et, d’autre part, d’avoir attiré mon intérêt sur la fameuse Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) mentionnée neuf (9) fois dans sa réponse. C’est ainsi que ma curiosité a décidé de servir mon intelligence de non initié. Elle m’a sommée de m’y mettre; d’essayer de mieux comprendre les raisons qui justifieraient la pertinence ou non du renvoi protocolaire au très célèbre rapport du CN-ITIE dont la publication était prévue 16 octobre 2016.

ITIE, une obscure organisation très méconnue

Très rapidement, l’ITIE a été lancée en 2002 au Sommet de la terre, à Johannesburg, par l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, après avoir constaté les écarts importants entre les revenus des industries minières et pétrolières encaissés par les États et le niveau de pauvreté de leurs populations. Plus précisément, il s’agit d’une norme internationale qui fait la promotion de la transparence et la redevabilité dans la gestion des revenus issus de l’exploitation des ressources minières, pétrolières et gazières. Ainsi, comme le précise notre Premier ministre Dione dans sa réponse, l’initiative ITIE « vise à renforcer la bonne gouvernance dans les pays dotés d’importantes ressources naturelles, en mettant à la disposition du public toutes informations relatives à l’attribution des titres, aux versements effectués par les sociétés minières, pétrolières et gazières et à l’utilisation des revenus ».

Ainsi pour son organisation, l’initiative consacre trois sortes de statuts. Le premier dit Pays engagé est un pays qui a décidé de mettre en œuvre l’initiative. Le deuxième dit Pays Candidat ou candidate country est un pays qui a franchi, à la satisfaction du Conseil d’administration de l’ITIE, les quatre « étapes » vers l’adhésion, conformément à la Norme ITIE. Le troisième dit Pays Conforme ou compliant country est un pays que le Conseil d’administration de l’ITIE considère qu’il a satisfait à toutes les Exigences de l’ITIE. Elle ne comptait que 7 pays à son lancement en 2004. Mais avec la manne financière constituée avec les contributions volontaires des États initiateurs- pilleurs, la Banque mondiale et d’autres institutions financières choisies fournissent une aide précieuse aux pays qui décideraient d’adopter les principes de transparence et de responsabilité accrues promus par cette initiative. Cet incitatif financier, faut-il le souligner, a rendu facile l’élargissement de l’organisation composée depuis octobre 2014 de 46 pays dont 21 États africains incluse la République Centrafricaine qui fait désormais de la petite liste des Pays suspendus.

Au moment où les États africains se bousculent depuis le début à la porte de l’ITIE, les Occidentaux ont eu une attitude particulièrement hyper frileuse envers l’organisation. Le cas de la Grande Bretagne de Tony Blair est le plus inénarrable! Car, il a fallu, 10 ans après soit le 9 juillet 2013, pour que le gouvernement britannique, initiateur de l’ITIE, ait décidé de lancer son processus ITIE. Et c’est le successeur de Blair, l’ex Premier ministre David Cameron lui-même qui, jugeant la nécessité d’examiner la honteuse position du Royaume-Uni, avait adressé une lettre ouverte aux dirigeants récalcitrants à l’ITIE du G8 en leur disant : « Nous ne pouvons pas appeler d’autres pays à se soumettre à ces normes si nous ne sommes pas prêts à faire de même. ». Là, il est pertinent qu’on se demande : à quoi bon d’être utile en brandissant à tout bout de champ cette ITIE en lieu et place de répondre clairement aux légitimes interpellations des citoyens? Ou bien faut-il par les temps qui courent être plus royalistes que le roi lui-même?

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ITIE, un instrument impérialiste déguisé

Évidemment, je ne peux pas être à priori contre la vertu de ces belles déclarations porteuses de nobles ambitions! Or, ce bref aperçu livré en guise de présentation de l’ITIE nous replace de facto dans l’éternel débat des rapports Nord-Sud, plus précisément des possibilités et des contraintes en matière de développement. Autrement dit, l’ITIE, à l’instar des autres « machins » (organisations internationales, conventions, traités, chartes, etc.) bâtis ou conclus souvent sur la base d’une logique européocentriste parée d’hypocrisie, ne semble pas être l’exception à la règle. Certains États qui ont décidé de l’insérer dans leur dispositif réglementaire, voient en elle une solution pour une gestion saine et partagée des ressources naturelles alors qu’elle vise en silence à avilir la volonté d’autodétermination des Peuples.

Le contexte de la création de l’ITIE était particulier. Des États du Nord, des pilleurs professionnels de ressources naturelles disponibles dans les pays du Sud, avaient pris la décision de s’accorder un moment de répit pouvant calmer les ardeurs des résistants et des dénonciateurs de leurs actes infâmes, à l’époque très au cœur des actualités nationales. Le pillage, la corruption, les guerres, la misère, la famine, la pauvreté, ont trop duré dans les pays « riches en ressources » pour amener plusieurs observateurs à parler de « la malédiction du pétrole » ou à qualifier l’or noir de « caca du diable ». Donc, la réaction des États qui abritent les sièges sociaux de la plupart des compagnies privées d’exploitations sur le terrain, était attendue.

En effet, l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, à qui on attribue la paternité de l’ITIE n’avait pas de toute manière d’autre choix que de la proposer à ses pairs. Car c’était sur le sol britannique que l’ONG Global Witness avait commencé à mener de vastes campagnes publiques imposant la transparence relative à l’exploitation des ressources naturelles et la gestion des revenus y afférents. Dans l’un de ses rapports, l’ONG britannique mettait à nu la complicité du secteur pétrolier et financier dans le système de captation de la rente encaissée par les gouvernants des pays exploités au détriment de la population. Ainsi, avec d’autres organisations non gouvernementales (CAFOD, Oxfam UK, SCF UK, Transparency International UK, CRS, Human Rights Watch, Pax Christi NL, Caritas France, etc.), Global Witness lançait en juin 2002 une vaste campagne dénommée: « Publiez ce que vous payez » (PCQVP). À travers cette campagne, les ONG exigeaient à ce que « toutes les compagnies multinationales et les entreprises d’État publient à titre individuel les chiffres annuels nets des paiements qu’elles versent aux gouvernements. Ces revenus incluent notamment les redevances perçues sur la valeur de la production, les bonus versés à la signature des contrats d’exploitation, l’impôt sur les bénéfices des sociétés après déduction des coûts et amortissements liés aux investissements nécessaires à l’exploration et l’exploitation, l’impôt à la source sur les paiements de dividendes, les droits de douane, la taxe sur la valeur ajoutée, etc. ». De plus, elles demandaient que « ces informations soient mises à la disposition de la société civile, en langues et monnaie locales. La coalition exige que les chiffres soient vérifiés par des organismes indépendants multi-parties prenantes (multi-stakeholders) ou par le FMI. ». Dans ce sens, Le professeur Gilles CARBONIER précise que la campagne PCQVP « ne vise pas directement les gouvernements des pays producteurs. Elle exerce plutôt une pression sur des acteurs influents capables d’inciter ces gouvernements à introduire plus de transparence dans ce domaine sensible. La campagne vise en particulier la Banque mondiale, le FMI, les autorités boursières et les banques commerciales afin qu’ils fassent pression tant sur l’industrie extractive que sur les pays producteurs pour que l’obligation de transparence des revenus prime sur les clauses de confidentialité ».

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On peut tout fuir, sauf sa conscience, soutenait l’écrivain autrichien Stefan Zweig! Par conséquent, il apparait logique, parce qu’elle peut être moyen civilisé de légitimation de leurs différentes activités de spoliation, de voir les États occidentaux ériger en norme incontournable la TRANSPARENCE. Retenons-le! Désormais, avec l’ITIE le désir d’être transparent est la nouvelle tyrannie!

ITIE, un prétexte pour un mauvais Gouvernement

Les Gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’État sénégalais, à l’instar de plusieurs pays en Afrique qui se réclament démocratiques, ont tous développé la même manie consistant à projeter sur la scène internationale l’image d’un ardent défenseur de la protection des droits de la personne et de l’avancement des valeurs démocratiques. Ils le font en montrant du doigt par exemple des instruments juridiques internationaux négociés et ratifiés par le pays. Le Sénégal du Président Macky Sall n’échappe malheureusement pas à cette pratique. Dans le dernier rapport de l’ITIE, il indique: « Mes prédécesseurs, depuis le Président Senghor, ont tour à tour contribué à bâtir la nation sénégalaise ou à asseoir les bases de la démocratie politique et sociale. Pour ma part, je fonde ma vision sur un crédo, qui est de créer les bases d’une véritable démocratie économique, qui reste un des piliers incontournables de l’émergence souhaitée pour le Sénégal. Cette vision, la Norme ITIE y contribue amplement et fort opportunément». La clarté orne les pensées profondes!

C’est sous le prisme de la réalpolitik qu’il faut comprendre et situer l’inutile renvoi du Premier ministre Mohamad Boune ABDALLAH Dione à l’adhésion du Sénégal aux principes de l’ITIE et particulièrement au rapport du Comité national ITIE (CN-ITIE) dirigé par le très controversé Pr Ismaila Madior Fall. Devenir un « Pays conforme », par là y trouver ce beau prétexte que peut procurer le sceau ITIE pour esquiver les éventuelles interrogations et inquiétudes portant sur la gestion de nos ressources naturelles, reste pour le Gouvernement actuel un souhait démesuré. Ainsi, en 2013 le Sénégal avait soumis une demande pour le statut de « Pays Candidat ». Ce statut une fois obtenu, a engagé notre Sénégal à publier régulièrement toutes les recettes tirées de l’exploitation des industries extractives et les paiements versés à l’État par les compagnies opérant sur le territoire sénégalais. Il fallait agir vite car le Sénégal avait jusqu’en Octobre 2016 comme délai pour démarrer le processus de validation en vue de l’obtention du statut de « Pays Conforme » à l’ITIE. La séduction, des membres du Conseil d’administration de l’ITIE devra se faire par tous les moyens! Tour à tour, il est mis en place un Comité nationale ITIE. Ce dernier produit son 1er rapport dit de conciliation en octobre 2015 pour l’exercice de 2013. Ensuite, il décide de simplifier ce document très compliqué par un autre intitulé : Comprendre pour Agir. Le président de la République profite de son Référendum du 20 mars 2016, pour introduire dans la Constitution sénégalaise la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens : droits à un environnement sain, sur leurs ressources naturelles et leur patrimoine foncier. Le premier alinéa de l’article 25 stipule : « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables ». Et enfin il ya ce deuxième très populaire rapport du 16 octobre 2016 couvrant l’année fiscale 2014 et qui a eu, contraire au précédent, la touche inédite d’être béni par son Excellence, Monsieur Macky Sall qui a fait la préface.

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Au total, il était clair, avant même la farce gouvernementale, que ce rapport dressé par le Comité national ITIE Sénégal, était une commande inscrite dans un agenda gouvernemental caché pour des fins purement politiques et stratégiques. Quoiqu’on l’ait attendu, il est normal qu’il laisse plusieurs compatriotes sur leur faim! Le Premier ministre, Mohamad Boune ABDALLAH Dione nous a fait perdre beaucoup de temps. La lumière de l’ITIE gangrenée par des faiblesses majeures, a refusé de scintiller. Pourtant Jonas Moberg, le chef du Secrétariat international de l’Organisation avait lancé un avertissement lorsqu’il martelait : « Tout d’abord, je souhaite clarifier que l’ITIE ne prétend pas être la solution de ce qu’on nomme désormais la malédiction des ressources. La transparence des revenus à elle seule ne suffit pas à assurer que la richesse en ressources naturelles produise des bienfaits et permettent le développement des citoyens d’un pays. La transparence des revenus, probablement à travers l’ITIE, est nécessaire mais insuffisante. Nous sommes les premiers à reconnaître que l’ITIE ne peut pas à elle seule aborder les plus importants défis de développement de notre époque. Il serait naïf de croire que l’ITIE pourrait être la solution aux problèmes complexes du Delta du Niger, par exemple ». Bref, les tentatives de réponse du chef du Gouvernement du Sénégal ne sont-elle pas en fin de compte que le malheur des questions posées?

 

Pathé Gueye

Coordonnateur provisoire de l’ACT Montréal

Pathé GUEYE

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