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Interrogations D’un Citoyen A Propos De L’independance De La Justice Senegalaise

Mesdames et Messieurs les Magistrats,

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt l’interview de M. Maguette Diop, Président de l’Union des magistrats sénégalais, accordée au journaliste Antoine Diouf, le 14 août 2016 (émission Grand jury). Je voudrais d’abord souligner que j’ai noté avec satisfaction l’actualisation du site de l’UMS : http://www.ums.sn/.

Les citoyens sénégalais qui le souhaitent peuvent désormais s’imprégner davantage des activités de votre association et mieux comprendre le fonctionnement de la justice (publication d’articles concernant la liberté d’informer et le secret de l’instruction; la détention provisoire, etc…).

Pour entrer dans le vif du sujet, je tiens à souligner que je fais partie des sénégalais qui émettent des réserves sur l’indépendance de la justice sénégalaise. Il est vrai que la perfection n’est pas de ce monde. Il est également vrai que de nombreux magistrats sénégalais exercent avoir droiture et intégrité un noble métier qui est de rendre la justice au nom du peuple sénégalais.

Pour autant il y a lieu de constater que le fonctionnement de la justice sous le magistère de Macky Sall suscite de nombreuses interrogations, qui rendent sceptiques certains sénégalais (dont je fais partie) sur la neutralité, et l’impartialité de la justice. Il est vrai que le Président Macky Sall n’a pas inventé l’actuelle Constitution sénégalaise dont il a hérité. Il est également vrai qu’il n’estpas le premier Président à « entraver » le bon fonctionnement de la justice, gage de l’indépendance de l’institution judiciaire (des dérives ont eu lieu sous les régimes d’Abdou Diouf et d’Abdoulaye WADE). Toutefois, nous assistons sous le magistère de Macky Sall à de nombreux précédents qui sapent de manière flagrante l’indépendance de l’autorité judiciaire.

En effet, pour la première fois, depuis l’indépendance du Sénégal, 45 professeurs, Professionnels du Droit y compris des Constitutionnalistes ont signé un texte le 25 février 2016 , pour manifester leur désapprobation totale sur la manière dont le Pouvoir exécutif a fait dire au Droit ce qui ne relève pas du Droit, s’agissant de l’interprétation de l’article 51 de la Constitution ( le Conseil constitutionnel rend un AVIS et non une DECISION lorsqu’il est sollicité par le Président de la République pour un référendum). Un fait inédit.

Pour la première fois dans l’histoire de la République, le Président (malgré tout le respect dû à l’Institution et à sa personne) s’est adressé à la Nation sénégalaise pour énoncer des contrevérités sur l’interprétation juridique d’une disposition de la Charte suprême (transformant un Avis en une Décision), une décision lourde de conséquences, qui lui a permis de prolonger légalement son mandat de 2 ans (en se basant sur un argumentaire du Conseil Constitutionnel).

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Pour la première fois dans l’histoire de la République (affaire des élèves-maîtres), le Président de la République a soutenu publiquement le Ministre de l’éducation nationale après que la Cour suprême ait dit le Droit. Pire, l’assemblée nationale s’est arrogé un pouvoir illégal de voter une Motion de soutien en faveur du Ministre de l’éducation nationale, violant allègrement l’esprit et la lettre de la Constitution qui consacrent la séparation des pouvoirs. Lorsque ceux qui sont chargés d’élaborer et de voter les Lois violent eux-mêmes la Loi, alors il y a à désespérer de l’indépendance de la justice !

L’impression qui se dégage est que le pouvoir exécutif « instrumentalise » la justice. D’ailleurs il ne se prive pas de faire un « forcing » pour réorienter une décision de justice dans le sens souhaité. Les dispositions de la Constitution sont interprétées de façon unilatérale par le pouvoir exécutif. Avant même que le Conseil Constitutionnel ne se prononce sur la recevabilité des candidatures des prétendants aux prochaines élections présidentielles de 2019, le pouvoir exécutif s’est arrogé de pouvoir de dire qui va y participer, invalidant déjà des candidatures en lieu et place du Conseil Constitutionnel, et s’attribuant d’office les compétences dévolues aux Sages.Dans ce cas, ne serait pas plus simple que le pouvoir exécutif exerçât le rôle du Conseil Constitutionnel?

Comment dans ces conditions croire à l’indépendance de la justice ? L’actualité est sans cesse rythmée par des affaires judiciaires dont le relent politique est patent. A chaque fois que le régime semble en difficulté sur le plan politique, des procédures judiciaires sont engagées pour neutraliser des « adversaires ». Est il normal que l’on veuille transposer les batailles politiques sur le plan judiciaire ?

Est-il normal que tous les sénégalais (membres de partis politiques, journalistes, organisations de la société civile, etc…) qui émettent la moindre note discordante soient l’objet systématiquement de poursuites judiciaires? N’y a-t-il pas là des motifs suffisants pour semer le doute sur l’impartialité de la justice? Sommes-nous tous des citoyens en sursis?

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A-t-on le droit de jeter l’opprobre sur Ousmane Sonko et Nafi NGOM KEITA, tout simplement parce qu’ils agissent au nom de l’intérêt général ? N’a pas t’on violé le droit s’agissant du décret mettant fin aux fonctions de Nafi NGOM KEITA (sa prise de fonction ayant eu lieu au moment de sa prestation de serment, et par conséquent la computation des délais devant s’apprécier à cette date) ?

A-t-on le droit de briser la carrière d’un agent public qui a réussi un concours sur la base du mérite, pour des motifs purement politiques ? N’y a-t-il pas là un excès de pouvoir et un abus de pouvoir qui indignent tout citoyen ? A qui le tour demain ? N’y a-t-il pas un magistrat étiqueté membre de l’APR (parti au pouvoir) qui exerce sa fonction au vu et au su de tous les sénégalais ?

Est il normal de restreindre l’espace démocratique dédié désormais uniquement au régime en place?

Pensez-vous que Maître Mame Adama Gueye (ancien bâtonnier de l’ordre des avocats ), mérite le déclenchement d’une action judiciaire à son encontre pour des propos tenus sur le fonctionnement de la justice, même si j’estime comme tout citoyen, que Maître Adama Gueye n’est pas au-dessus de la Loi? Pour lever toute équivoque, je tiens à préciser que je ne connais pas personnellement Maître Mame Adama Gueye. Toutefois, en tant que Citoyen, je suis indigné par le traitement judiciaire dont il fait l’objet.

Alors que des milliers d’hommes politiques sénégalais, toutes tendances politiques confondues, sont Experts en matière de détournements de deniers publics, de malversations et de crimes économiques de toutes sortes, bénéficient d’une sorte de prime à l’impunité, et se pavanent dans les rues de Dakar en toute liberté, cet avocat, artisan de la transparence et de la lutte contre la corruption à qui personne ne connaît la moindre infraction (corruption, délit, détournement de deniers publics) est traîné dans la boue par la justice sénégalaise.Curieux paradoxe! Ne pensez-vous pas que votre action dont la légalité n’est pas en cause est disproportionnée ?

Nos libertés d’expression, nos droits sociaux et politiques garantis par la Constitution dans le respect des limites fixées par la loi (bien entendu le droit de diffamer n’existe pas) sont ils désormais menacés ? Avons-nous le droit de jouir de nos libertés de citoyens, de critiquer l’action du Président de la République et de la justice sans risquer l’emprisonnement ou le déclenchement d’une procédure judiciaire par un magistrat ?

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Personnellement, si je suis particulièrement inquiet par la tournure des événements du fait des agissements du régime actuel, j’ose espérer que la Justice sénégalaise aura les coudées franches pour agir, en toute indépendance, et rendre la justice au nom du peuple sénégalais. Vous êtes les garants des libertés des sénégalais contre l’arbitraire.

Ma demarche qui consiste à vous faire part de mes doutes et de mes interrogations est saine et dénuée de toute Arrière-pensée. En tant que citoyen sénégalais, je respecte les lois et réglements de mon pays, ainsi que l’Institution judiciaire. L’objet de la présente lettre n’est donc point de défier ou de jeter le discrédit sur l’Institution judiciaire de mon pays, mais de contribuer au débat pour renforcer son indépendance.

Résidant en France, mon pays d’adoption, depuis 25 ans, détenteur de la double nationalité Franco-Sénégalaise, je n’hésite pas à exercer en toute liberté, mon droit de citoyen, dans le respect de la LOI, et à m’exprimer sur les sujets relevant de l’interêt général, sans verser dans la médisance, la calomnie ou la diffamation.

Je vous prie d’agréer, Mesdames et Messieurs les magistrats, l’expression de mon profond respect.

 

Seybani SOUGOU

E-mail : sougouparis@yahoo.fr

 

P.S. : C’est le lieu de rendre un vibrant hommage au magistrat Souleymane TELIKO, qui dans une excellente contribution, en date du 18 août 2016, intitulée « Observations sur le projet de réforme portant sur le statut des magistrats et le Conseil Supérieur de la magistrature » a formulé des propositions concrétes et détaillées pour l’indépendance de la justice ». Ce magistrat épris de droit et de justice, honore sa corporation et au délà le Sénégal, tout entier.

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