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Pour Un Plan D’action Stratégique Pour La Restructuration Et La Requalification Des Banlieues

La création du ministère délégué chargé de l’Aménagement et de la restructuration des banlieues en 2014 est l’une des innovations majeures du gouvernement et, sans doute, un marqueur de la volonté politique de l’Etat de refonder notre politique nationale en matière d’urbanisme et d’habitat et, plus spécifiquement, de prendre à bras-le-corps la problématique des inondations et de la gestion de l’habitat et du cadre de vie dans les banlieues. Bien que des avancées significatives aient été constatées dans la mise en œuvre de cette politique, les résultats sur les terrains restent mitigés et recommandent une réorientation des démarches, des méthodes et des actions.

Dans les villes et quartiers des banlieues du Sénégal, faire de l’urbanisme équivaut souvent à mener des opérations curatives pour cautériser les plaies béantes de la mauvaise urbanisation de ces quarante dernières années. Pour les «banlieues», il s’agit d’apporter des réponses adaptées à la lancinante question des inondations d’une part et d’autre part aménager les quartiers en vue de les réhabiliter, de les rendre plus fonctionnels et de les revaloriser au grand bénéfice de leurs populations.

La restructuration urbaine pour lutter contre les inondations

Depuis l’avènement de la deuxième alternance, le discours des autorités politiques sur l’urbain a beaucoup évolué et est devenu plus engagé et plus volontariste, changeant ainsi en même temps la conjoncture. Celle-ci qui devient alors plus favorable à l’engagement du gouvernement sur les problématiques urbaines, notamment les inondations et la lutte contre les bidonvilles dans leurs dimensions structurelles. C’est le président de la Répu­bli­que, lors de son adresse à la Nation de la Korité 2012, qui décline de façon nette sa vision et donne l’orientation : «Restructu­rer toute la banlieue de Dakar pour une éradication des inondations.» Cette volonté du chef de l’Etat est en parfaite cohérence avec son programme «Yonou yokkouté» qui, sur l’axe «Villes, aménagement du territoire, habitat», propose entre autres mesures : «…La restructuration des quartiers précaires dans la banlieue, la construction de logements sociaux et l’aménagement de trames viaires.» Cette volonté est réaffirmée dans le Pse avec comme objectifs stratégiques : – assurer une meilleure planification et gestion de l’espace des villes et autres agglomération… ; – favoriser une gestion urbaine à la fois pragmatique et inclusive… ; – améliorer la qualité du ca­dre de vie en milieu urbain et rural… ; – lutter contre les inondations entre autres.

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La restructuration urbaine est un outil d’urbanisme opérationnel dont la vocation est de pallier la mal urbanisation des villes africaines. La restructuration ur­baine est depuis 1991 l’objet d’u­ne politique publique organisée et encadrée par la loi n°91-748 du 29 juillet 1991. Le Sénégal en a donc une longue expérience à travers les nombreux projets de restructuration et de régularisation foncières mis en œuvre, dont le plus abouti reste sans doute l’expérience de Dalifort en 1988.

La restructuration urbaine est bien définie par la loi 2008-43 du 20 août 2008 portant Code de l’urbanisme, en son article 33, comme «l’aménagement des zones non loties, vétustes et insalubres». Le même article décrit ces zones comme caractérisées par une occupation anarchique de l’espace et un manque notoire d’équipements collectifs. Le même paragraphe dit clairement l’objet de la restructuration qui est «d’assurer une utilisation et une organisation plus rationnelle de l’espace et d’améliorer le cadre de vie des populations».

De la même manière, la restructuration des zones d’inondation doit trouver son cadre opératoire, car à l’évidence elle appelle une réévaluation de la démarche de restructuration telle que définie dans le Code de l’urbanisme (article 33) et dans le décret qui organise le processus de restructuration (article R 98 et décret n°91-748 du 29 juillet 1991).

Ce changement de perspective est nécessaire et souhaité pour accélérer le rythme dans la mise en œuvre opérationnelle de la restructuration des zones d’inondation de la banlieue de Dakar qui renvoie à des situations juridiques diverses et complexes tant sur le plan de la description de l’habitat, du statut du foncier, des mécanisme de financement : la participation des bénéficiaires ayant montré ses limites, et même du contexte de mise en œuvre du projet qui peut être qualifié, peut-être exagérément, de post catastrophe et qui redéfinit le statut et la qualité de ses «bénéficiaires». La création d’un ministère dédié depuis 2014 est une opportunité pour l’Etat et la collectivité territoriale d’engager toutes ces réformes sur les méthodes, les outils et les procédures, les mécanismes de financement qui doivent répondre aux besoins spécifiques des contextes pour une meilleure opérationnalité.

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La requalification urbaine pour réhabiliter et revaloriser les quartiers des banlieues

Le concept de requalification des banlieues est la grande nouveauté dans le vocabulaire de l’urbanisme au Sénégal. Pour les urbanistes avertis, il renferme déjà les démarches d’un urbanisme opérationnel que sont la restructuration, la rénovation urbaine ou encore le remembrement urbain. Par conséquent, il aurait peut-être suffi d’adopter l’appellation «Cabinet du ministre délégué chargé de la Requalification des banlieues» pour traduire la volonté politique de l’Etat d’engager le chantier du renouvellement urbain dans les villes sénégalaises, particulièrement les banlieues dont les maux chroniques sont : – déficit d’équipements et d’infrastructures de base, – dégradation ou perte d’équipements scolaires, sanitaires, culturels et cultuels ; – absence de voirie fonctionnelle et d’éclairage public performant ; – insuffisance d’équipements marchands, ce qui ne favorise pas le développement des activités économiques, commerciales et artisanales ; – absence d’espaces de loisir et d’espaces ouverts salubres.

Au Sénégal, un «Projet de requalification des banlieues» peut avoir la signification d’une sorte de «réappropriation» des banlieues par l’Etat, un acteur institutionnel de premier ordre, pour leur donner de nouvelles vocations. La précision est importante si l’on se penche sur le cas des quartiers de la banlieue de Dakar qui subissent de plein fouet les conséquences d’une urbanisation non planifiée depuis 2005, avec les inondations. C’est là qu’il convient de chercher et de trouver tout le sens du concept de requalification des banlieues. Par ailleurs, les pouvoirs publics gagneraient à prendre la pleine mesure de toute la charge émotive ainsi que la responsabilité sociale qui lestent la notion de requalification des banlieues. Quant aux populations, elles devraient faire l’objet d’une importante campagne de communication et de sensibilisation en vue de leur adhésion, participation «aux projets urbains de requalification» qui, au demeurant, exigeront d’elles des sacrifices supplémentaires.

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La réappropriation institutionnelle «des banlieues», d’un point de vue urbanistique, consisterait à élaborer et à mettre en œuvre des programmes ou projets de requalification urbaine partagés avec les populations, et dont les objectifs de – faire émerger de nouvelles centralités politiques, économiques et culturelles attractives, – aménager les quartiers inondés afin de les rendre fonctionnels et de les réintégrer dans le tissu urbain, doivent être assumés aussi bien par l’Etat à travers ses services centraux que par les collectivités locales. Pour y parvenir, les Collectivités locales doivent se rendre à l’évidence et assumer leur part de responsabilité dans le domaine de l’urbanisme et de l’habitat. Le concept d’Urbanisme de projet énoncé dans le communiqué du Conseil des ministres doit être considéré comme un appel de l’Etat aux Collectivités locales de la banlieue pour qu’elles initient des projets d’aménagement des quartiers inondés, abandonnés ou libérés, en vue d’améliorer durablement leur cadre de vie, «d’assurer la mise en application effective du concept d’urbanisme de projet, consolidant ainsi les initiatives de restructuration de certains quartiers dans le cadre de la lutte contre les bidonvilles et autres zones d’habitat non aménagées, dé­gradées ou insalubres» (Com­mu­niqué Conseil des ministres du jeudi 31 juillet 2014).

Le Programme décennal de lutte contre les inondations 20­12-2022 est en soi une opportunité jusqu’alors insuffisamment exploitée par les collectivités lo­cales. Des organismes de la so­ciété civile ont initié des projets comme à Djiddah Thiaroye Kao. Cependant, toutes ces ac­tions en direction des banlieues gagneraient à faire l’objet d’orientations stratégiques et opérationnelles définies avec l’ensemble des parties prenantes pour plus de cohérence et une meilleure définition des priorités d’action et une appropriation des projets. Par ailleurs, l’élaboration d’un plan d’action opérationnel validé par le président de la République est une première garantie d’une exécution optimale de la politique à travers une bonne répartition des ressources.

 

Souleymane DIALLO

Géographe-Urbaniste – Sdiallo.sn@outlook.sn

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