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Souleymane Jules Diop : Quand Kant A Raison Sur Platon

Dans l’antiquité grecque, le démagogue, le flatteur, le manipulateur d’opinion était le sophiste ; aujourd‘hui il est politicien et/ou journaliste. Le sophisme qui a réussi à monter toute une société contre un homme intègre et perspicace dans la quête sobre et inlassable de la vérité est très ingénieux. Mais le plus désespérant c’est que le sophisme est toujours de mode : il a réussi à infecter une bonne partie de la presse pour en faire une rampe de lancement de son ascension politique. La presse au Sénégal est en train de passer de contre-pouvoir à «moyen de pouvoir» parce qu’une poignée de personnes l’a détournée de sa vocation originelle pour en faire un moyen de promotion personnelle. La presse qui aurait dû protéger le peuple et la démocratie contre les abus et les mensonges du pouvoir est devenue le prolongement de celui-ci.

Le prototype de cette déviance manifeste de la presse est incarné par Soulyemane Jules Diop : celui qui a naguère (plusieurs fois) expliqué aux Sénégalais que le poste de chef de service était ce dont Macky Sall pouvait rêver de plus noble est devenu l’apôtre des intrigues de ce dernier. Cette absurdité institutionnelle pompeusement appelée Pudc fait l’objet de toutes sortes d’extrapolations pour faire croire que le régime de Macky Sall est en train de travailler. L’État sénégalais a toujours construit des routes à un rythme soutenu et creusé des forages dans les villages les plus reculés du Sénégal et ce, à une époque où cela était plus couteux et plus astreignant pour les maigres ressources du budget. Mais le tintamarre qui accompagne cette pacotille qu’est le Pudc traduit la profondeur de la perversion qu’un intellectuel est capable de causer aux mœurs.

En participant de façon si éhontée à cette entreprise d’abrutissement du peuple, Souleymane Jules Diop est devenu le contre-exemple parfait de la prophétie de Platon sur la nécessité de concilier pratique du pouvoir et philosophie : «Donc, les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement» disait-il. Platon misait ainsi sur l’exemplarité du philosophe : son excellence et sa vertu devraient être des gages infaillibles de la bonne gouvernance. Si l’ignorance et la corruption sont les sources de la mal-gouvernance, on est en droit de penser que le philosophe incarne le leadership qui fait défaut aux hommes politiques. Vérité et vertu sont sources du droit et, par ricochet, de la république ; or nul n’incarne mieux ces deux valeurs que le philosophe.

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B. Russell qui a bien compris cette utopie de Platon, a expliqué que l’esprit qui s’est «accoutumé à la liberté et à l’impartialité» de la contemplation philosophique, conservera quelque chose de cette liberté et de cette impartialité dans «le monde de l’action et de l’émotion». La pratique de la philosophie devrait donc façonner l’homme à un mode de vie ayant pour unique boussole la vérité et comme point de mire la vertu.

Comment un intellectuel sérieux peut-il accepter d’être entretenu aux frais du contribuable pour juste faire de la redondance ? Le Pudc est de la pure redondance politique, car dans un pays où il y a un ministère des infrastructures et un autre de l’hydraulique, on n’a nullement besoin d’un programme d’urgence de développement communautaire. Si par extraordinaire, les ministères traditionnels étaient incapables de connaître les urgences en matière d’infrastructures rurales et de les prendre en charge de façon prompte, c’est que la république aura définitivement failli.

Mais avec Macky Sall, on est dans la logique inversée des théories évolutionnistes : «l’organe crée la fonction». Il a créé le Pudc pour ne pas frustrer un homme, il a créé les Asp pour récompenser un autre : c’est donc la société qui doit s’accommoder à ces caprices institutionnels. Ces gens qui nous gouvernent sont dans la communication pure et simple : le Pudc n’est pas un acte politique, encore moins une avancée démocratique, c’est du sophisme politique. Communiquer, encore communiquer, toujours communiquer, rien d’autre que communiquer : tel est le credo du régime de Macky Sall. Ce dernier est sans aucun doute le Président de la redondance, de l’émiettement et du détail : il joue sur les détails infinitésimaux d’une réalité d’un prosaïsme rebutant. Pudc, Cmu, Puma, Pse, etc. on dirait que ce gouvernement est atteint d’une maladie qui s’appelle «programmite». Le directeur de l’Ofor a beau tenter de convaincre que «Il n’y a aucun chevauchement entre le Pudc et l’Ofor. Nous avons les mêmes missions avec le Pudc…», mais les faits sont têtus. Quand un berger va raconter à la femme qu’il convoite qu’il dispose d’un troupeau de cinquante bœufs, cent cornes de bœufs, cinquante peaux de bœufs, deux cents pattes de bœufs avec leurs sabots, etc., il a certes raison mais il s’agit d’une pauvre vérité. C’est exactement cela le mode opératoire du régime de Macky Sall : la réalité est découpée, décompressée à l’infini pour donner l’impression de produire un nouveau réel !

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Quand la politique rencontre la communication sur le terrain de la manipulation et de la démagogie, c’est l’ambigüité du discours qui se charge de clore les débats avant qu’ils ne commencent. L’ambigüité du discours est, sous ce rapport, le nouveau moyen du totalitarisme politique : en inondant les consciences de mots et d’expressions grandiloquentes, on les empêche de délibérer sur la réalité. Au Sénégal, on ne discute plus que sur des expressions creuses, mais performatives sur le plan politique. Dans cette funeste phraséologie, les plus habiles en matière de sophisme passent pour des génies dans le rôle qui leur est assigné. Ce n’est donc pas étonnant d’entendre dans ce concert de sophismes, Souleymane Jules Diop reprocher à ses «collègues» du gouvernement de ne pas communiquer assez. En plus d’être l’expression éclatante d’une déloyauté envers ces collègues, cette remarque trahit le souci d’hypertrophier un moi tragiquement malmené par une inconstance à la fois dans la pensée et dans l’acte.

C’est évidemment facile de faire la «Une» des journaux quand on est un mutant passé du journalisme à la politique : «Pudc – Le satisfecit de Macky à Jules Diop» (seneweb) ; «Pudc – Le satisfecit de Macky à Jules Diop» (leral) ; «un satisfecit qui fait suite aux impressionnants résultats du Pudc, en seulement une année d’exécution». (pressafrik.com). C’est donc de cette façon qu’on devient héros sans avoir remporté la moindre bataille. Pourquoi la privatisation des forages ruraux, la panne chronique des forages dans le Sine-Saloum et dans le Baol ne font pas autant de bruit ? C’est toujours dans leurs actes que les dictateurs perdent leur peuple, mais c’est d’abord dans l’esprit des intellectuels, ou plus exactement, celui des «intellectuels déviants», que sont théorisés les abus et absurdités qu’ils commettent.

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Quand un philosophe est libre de renier ses propres principes et de servir un prince qu’il n’a cessé de diaboliser il n’y a guère longtemps, on ne peut plus faire confiance à la liberté et à l’impartialité de son esprit. Kant n’avait donc pas tort de se montrer sceptique quant à l’avènement du philosophe-roi : «On ne doit pas s’attendre à ce que les rois se mettent à philosopher, ou que des philosophes deviennent rois ; ce n’est pas non plus désirable, parce que détenir le pouvoir corrompt inévitablement le libre jugement de la raison». Le libre jugement c’est d’abord la pensée affranchie de l’intérêt et de toutes les inclinations sensibles de notre nature ; c’est ensuite celle qui garde le courage de se remettre elle-même en cause pour ne pas sombrer dans le dogmatisme et le fanatisme. Quand donc la pensée se vend au vil prix des strapontins, la vérité et la vertu deviennent une affaire de rhétorique. Le pouvoir est tellement investi de délices et de privilèges qu’il rend aveugle aux vérités les plus élémentaires et enferme dans la forteresse de l’animosité à ciel ouvert.

 

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

 

Alassane K. KITANE

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