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L’ingérence Oui ! Mais Inventons-là

Au regard du droit international de la paix (paix négative) et de la guerre (guerre juste) et des façons diverses dont il a été mis en œuvre depuis le XXème siècle, on peut en déduire deux conceptions majeures de l’ingérence comme mode d’action humanitaire pour le système des Etats comme pour celui des organisations non-gouvernementales.

Il y a d’abord l’ingérence en tant que droit, c’est-à-dire rien de plus qu’un instrument de la volonté de puissance. Il y a ensuite l’ingérence en tant que devoir : c’est un principe de bon-voisinage et de solidarité non pas internationale mais “entre-nations”. L’échec de ces deux conceptions a été illustrée de manière éloquente et retentissante par des interventions (de droit et de devoir) à la suite desquelles les peuples se sont vus imposés des chefs nouveaux ou abandonnés à des chefs anciens. Dans les cas pareils ou dans d’autres les peuples se sont vus imposer des institutions nouvelles ou laissés à eux-mêmes dans des cadres politiques désuets. Il faut ajouter que ces interventions se sont toujours prévalues des principes de la démocratie, de respect des droits humains, de la justice, de la stabilité ainsi que des objectifs de stabilisation politique et de sécurité nationale, collective, ou humaine. Pourtant, on doit bien admettre que dans la quasi-totalité des cas, la légitimité et l’utilité n’ont jamais été réellement conciliées dans ces solutions d’ingérence classique. Plus récemment, les libyens, les égyptiens, les ivoiriens, les guinéens et les maliens, ont vécus les situations décrites ici ou des mélanges de genre pour le moins indigestes. Qui peut prendre le risque de penser que les libyens se portent mieux avec des dirigeants supposés démocratiquement élus qu’avec le défunt « autocrate » désigné Mohammar Khaddafi ? Qui peut s’assurer de la propreté et de la stabilité institutionnelle en Egypte, en Guinée Bissau ou au Mali ?

Poser ces questions n’implique pas de rejeter le devoir presque automat-ique du système des Etats de se préoccuper, isolément ou en groupes, de la situation dans l’un ou l’ensemble. L’ingérence est inévitable, mais elle n’est pas réductible à une seule forme, encore moins à une seule conception, qui serait opérationnelle et pertinente partout et en tout lieu. Comme avec le principe de la nation la plus favorisée dans le commerce, on devrait admettre pour le cas du Sénégal le principe de la « nation la plus défavorisée », parce qu’étant la plus proche, dans le domaine politique. Cela serait-il admis, le Sénégal devrait s’interdire l’erreur de se prendre pour tout autre Etat, lui qui a la Gambie dans son propre territoire et au cœur de sa nation. Dépourvu de tous les choix classiques de la conception universelle de l’ingérence, le Sénégal est obligé d’inventer ses perceptions, ses idées et ses modes d’agir à propos du problème non pas gambien (il est sénégalais à tous les coups !) mais de la Gambie.

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La troisième voie de la nation la plus défavorisée, pourrait être de concevoir l’ingérence  comme une « émotion politique » que l’on doit transformer en valeur diplomatique : c’est de la compassion entre les peuples et les nations. Le Sénégal gagnerait peut-être à se prévaloir de cette dernière acception : si le Gouvernement devait ressentir de la compassion, cela devrait servir davantage au peuple gambien qui ressentirait en ces temps d’épreuves l’humilité, la commisération, le soutien politique de son voisin et frère sénégalais. L’ingérence-compassion se sert du droit au lieu de de se soumettre à lui comme à un fétiche que l’on vénère aveuglément ; elle se veut un devoir de présence et non une obligation pseudo-humanitaire qui se démarque à peine de l’arrogance diplomatique ; l’ingérence-compassion subsume le devoir et fait du respect mutuel le lien qui traverse les frontières pour arrimer les Etats dans un bloc de paix.

La Gambie ne devrait pas être vue comme “une cacahuète dans le ventre affamé du Sénégal”, comme le pensait un de nos chefs d’Etat, mais comme le “couscous qui se mélange au lait sénégalais”, comme l’ont dans leur vécu de tous les jours les communautés vivant paisiblement à la frontière. Dans ce couscous-au-lait (la Sénégambie), il n’y a pas de place pour une fourchette qui transperce ni un couteau qui lacère, encore moins pour une hache qui assomme. Ce serait une ignominie damnatrice que, par le canal du Sénégal ou par un délit d’arrogance de nos compatriotes, ces accessoires modernes reflétant notre “peine coloniale” partagée servent de commodités pratiques à des ambitions étrangères à la fraternité Sénégambienne. Seule une main résolue et propre ou une “bátt” (cuillère en calebasse sculptée) peuvent disposer utilement de ce mélange digeste et bien de chez nous.

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Personnaliser les enjeux et les rapports divers qui s’imposent au Sénégal et à la Gambie par des compromissions imprudentes et une fausse rigueur diplomatique, sous le prisme des personnes contingentes de Yayah Jammeh et ses Opposants, c’est risquer de passer à côté de toutes idées de l’ingérence. On serait alors dans l’in-gérance”, c’est-à-dire la perte de toute initiative de compassion, de présence et d’administration dans l’épreuve gambienne. Il s’agit en effet d’une épreuve commune. Pensons et agissons en sénégalais sans être pro-sénégalais, pensons gambiens en étant pro-gambiens. L’idée de compassion interdit précisément de personnaliser les choses, de la même manière que l’idée de « nation défavorisée » empêche de trop circonscrire les relations internationales aux rapports froids et contaminés des chefs d’Etats et de gouvernements.

 La démocratie, l’Etat de droit, les droits de l’Homme, c’est le luxe des Etats. En Gambie il n’y a pas encore d’Etat, mais une nation à construire ; au Sénégal il n’y a pas encore d’Etat, mais une nation à reconstruire. La non-impunité c’est le loisir des vertueux et des gens installées dans la sécurité. Au Sénégal tout comme en Gambie il reste saisir les vertus de la Vertu et à les enseigner aux faiseurs d’ordre ; prenons également la sécurité, la justice et un Etat droit debout on s’en occupera après. Le type de conflit qui s’invite insidieusement en Gambie n’est pas celui qui appelle le glaive et la balance, c’est plutôt celui qui appelle l’humilité, la compassion et la raison. Ni Jammeh, ni Barrow, ni les “ingérants” ne sont en danger ; ce sont les gambiens et leurs hôtes étrangers (les réfugiés et les résidents ordinaires) qui sont guettés par le péril. Ce sont les biens et les personnes, l’économie et les communautés, qui doivent être protégés de l’institutionnalisme formaliste au nom duquel on invoque des solutions radicales et des principes qui ne nourrissent aucun ventre, ne sécurise aucune âme, ne stabilise aucune économie.

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J’ignore encore comment on devrait s’y prendre, mais on gagnerait probablement par les sciences indiquées que sont la philosophie, le droit et la science politique à tenter une opérationnalisation juridique de l’idée de compassion et de la précellence des nations sur les Etats dans la pratique du maintien de la paix.

 

Aboubakr TANDIA

Aboubakr TANDIA

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