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Crise Gambienne : Le Sénégal Doit Montrer Sa Force Pour Ne Pas Avoir à S’en Servir

La frénésie diplomatique notée du côté sénégalais depuis l’esbroufe du tyran de Kanilaï cache mal un certain nombre d’insuffisances si l’on considère les enjeux d’un intérêt national vital pour notre pays. Si le message jusque-là convoyé à Yaya Jammeh ne manque pas de fermeté, il finira par n’être que du vent sans les mesures d’accompagnement qui attesteront non seulement de la gravité de la situation mais aussi de l’état d’esprit du Sénégal en pareilles circonstances. Car, au-delà des Nations-Unies, de l’Union africaine, de la CEDEAO, etc., la crise gambienne est d’abord et avant tout un problème sénégalais et gambien. Et au-delà des discours, le principe de réalité suggère que les grandes puissances ne vont pas se bousculer au chevet de la Gambie en raison de son faible intérêt géopolitique. Au bout du compte, la question gambienne se ramène à une bataille psychologique et d’ego entre deux hommes : Yaya Jammeh et le Président Macky Sall. En clair, de l’attitude et de la détermination du Sénégal, dépendront les derniers pas de danse de Yaya Jammeh. Ils seront sans aucun doute endiablés si jamais le Babily-mansa perçoit une certaine mollesse de la part de son grand et unique voisin.

Pour tenter de comprendre la volteface suicidaire de Yaya Jammeh, il faudrait, au préalable, faire l’autopsie et/ou l’archéologie de certains faits et considérations qui agacent et/ou habitent le Néron tropicalisé de Banjul, pour reprendre l’expression du politologue Yoro Dia. D’abord, il y a eu l’effet de surprise occasionné par sa propre défaite. N’ayant jamais envisagé cette éventualité, il ne s’y était jamais préparé. Par prudence et pour faire retomber la tension ambiante, Yaya Jammeh a préféré reculer pour mieux sauter mais, cette fois, dans le vide ! Même s’il lui reste encore peu de choses à négocier comme un exil temporaire dans un autre pays, il faut quand même créditer le despote de Kanilaï d’une certaine intelligence pratique. N’ayant pas la pleine maitrise du positionnement des différentes factions au sein de son armée par rapport à l’issue défavorable des résultats de l’élection, un refus du verdict populaire, très prématuré à cette étape, pouvait l’exposer à une éventuelle mutinerie susceptible de l’emporter dans la foulée. Le principal enseignement à tirer de ce stratagème est que le Sénégal a affaire à un fin renard, un despote plus ou moins éclairé, capable de lire les évènements.

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Ensuite, comme accélérateur de la volteface, il y eut le concert de déclarations à l’emporte-pièce sur son éventuel transfert à la CPI, une institution que Yaya Jammeh n’a cessé de vouer aux gémonies. Et dans les formations sociales de la Sénégambie, certaines valeurs ancestrales admettent difficilement qu’un Chef de guerre se fasse capturer puis juger vivant. L’hypothèse du suicide n’est donc pas totalement à écarter. D’autant que dans les nombreux registres dans lesquels Yaya Jammeh a, tour à tour, puisé pour bâtir son hégémonie durant les 22 ans de règne sans partage, figure en bonne place, quoique de manière brouillonne et confuse, la résistance à toute forme de domination extérieure et d’aliénation de l’homme noir. Yaya Jammeh se voit inscrit dans la légende des grands résistants africains de la lutte anticoloniale. D’où le titre de Babily-mansa qu’il s’est affublé, ce qui n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes. Yaya qui reproche aux Mandingues de toujours rabaisser les autres ethnies, ne se gêne pas d’utiliser le titre de Mansa qui est un legs de l’empire du Mandé. Sans compter, pêle-mêle, l’interdiction du « Xessal », le retour hypothétique à des valeurs islamiques, dont lui-même ne maîtrise pas les contours ou les provocations à l’endroit de son seul et unique voisin le Sénégal, etc.

Enfin, au nombre des faits et considérations qui semblent avoir précipité la volteface de Jammeh, il y a la déclaration d’amour du Président élu, Adama Barrow, à l’endroit du Sénégal et du Khalife général des Mourides, Sérigne Cheikh Moctar Mbacké, ainsi que le concert de célébration de la victoire animé par l’incontournable Jaliba Kuyateh, le Youssou Ndour de la Gambie. Cette déclaration d’amour à l’endroit du Sénégal et de ses hommes de Dieu constitue, aux yeux de Jammeh, le début d’un processus de vassalisation de son pays au profit du Sénégal dont les populations, dans son entendement, regardent toujours de haut les Gambiens en les appelant « Mboka ». Il faut dire que les ressorts psychanalytiques de son anti-sénégalisme primaire sont très complexes et difficiles à cerner. Pendant qu’il raille les différents Chef d’État sénégalais qu’il a connus, il cherche vaille que vaille à se lier d’amitié, à coup de millions, avec les lutteurs et autres artistes sénégalais. Sa mégalomanie le poussait-il à rêver de régner un jour sur une Sénégambie réunifiée ? Plus encore, la visite programmée au Palais de la République du Sénégal et à Touba, pour la première sortie officielle du nouveau Chef de l’État gambien, a rappelé à Jammeh sa double déchéance. D’abord sa déchéance comme Président : Macky, son meilleur ennemi, avec qui il a toujours rêvé d’en découdre dans une lutte à finir, est en train de savourer sa chute, sans anicroche, en le regardant tomber de lui-même, comme une feuille morte, dès le coup de sifflet de l’arbitre, en l’occurrence le peuple gambien. Que vont-ils se dire au Palais sinon se moquer du fou de Kanilaï et de fixer les modalités de sa pendaison à un croc de boucher ? Ensuite sa déchéance comme marabout : Yaya dans son boubou blanc immaculé, avec un long chapelet et un exemplaire du Saint Coran entre les mains, a toujours affiché son côté mystique jusqu’à prétendre guérir du Sida. Mais où sont passées ses prières, cette fois, pour lui éviter une telle déculottée électorale ? C’est du côté de Touba qu’il faut aller chercher la réponse. Le Président élu l’a affirmé sans ambages : Le Khalife des Mourides a prié pour moi avant l’élection et m’a rassuré, qu’avec l’aide de Dieu, l’issue de l’élection me sera favorable. Yaya venait d’être déchu là, et en direct, du titre de marabout qu’il s’était pompeusement octroyé, fonction qu’il n’aura même plus la crédibilité d’exercer. Les prières de Sérigne Moctar Mbacké sont passées par là ! Et pour clore provisoirement la longue liste des déconvenues personnelles du Président déchu, il faut noter les paroles assassines du grand griot Jaliba Kuyateh lors du concert de la victoire quand il chante, sur fonds de sonorités sublimes de sa Kora, les glorieux, les nouveaux maîtres de la Gambie : Adama Barrow, l’homonyme de l’ancêtre de l’humanité, l’Avocat Ousseynou Darboe, le Mandela de la Gambie, etc. Dans un jeu de miroir, qui dit Mandela, dit aussi Pieter Willem Botha. Yaya Jammeh qui a toujours rêvé de grandeur, voit ainsi son héritage balancé, en plein concert, dans les caniveaux de l’histoire par les gardiens de la mémoire. Quel affront !

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C’est pourquoi, la pression venant du Sénégal, compte tenu de l’importance des enjeux, ne peut se limiter au caractère moelleux et lisse de la verbose diplomatique si l’on considère également le profil psychologique du protagoniste. Yaya cherche à gagner du temps pour consolider ses dispositifs et rendre encore plus périlleux le scénario d’une invasion de la Gambie ou même pour déboucher sur un pourrissement de la situation qui verserait la crise gambienne dans l’oubli officiel.

Le Sénégal doit envoyer des signaux plus puissants à Yaya Jammeh pour s’éviter une intervention en Gambie ou, le cas échéant, réduire les coûts humains de celle-ci. Le Sénégal ne peut se dérober, c’est sa crise ! L’idée de convois aérien, maritime et routier doit même être agitée pour rassurer nos compatriotes vivant en terre gambienne. Le Sénégal doit accentuer la pression à la frontière gambienne pour amener Yaya Jammeh à desserrer l’étau autour de sa propre population qui lui a massivement tourné le dos. Les démocrates gambiens doivent sentir la présence et la détermination du Sénégal à travers des bruits de botte à la frontière. Il y va de la crédibilité de notre pays car la déclaration d’amour d’Adama Barrow ne doit rester vaine. Et en montrant sa force, le Sénégal pourrait même ne pas être obligé de s’en servir. C’est le principe de la dissuasion si cher au Général De Gaulle.

 

 

Mamadou Lamine Sylla

PhD, Montréal, Canada

Auteur du livre : Pour mieux amarrer l’Afrique noire à l’économie mondiale globalisée, Éditions L’Harmattan, 2015

 

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