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Kédougou : A La Croisée Des Chemins

Les évènements survenus dans la région de Kédougou les 13 et 14 février 2017 et qui ont eu pour point de départ la mort du jeune Yamadou Sagna, suite à une intervention d’agents de Douanes à Bokhody, méritent qu’on porte la réflexion sur ces éruptions devenues récurrentes et lourdes de dangers.

Certes, la venue des deux ministres de l’Intérieur et du Budget, combinée à la médiation des notables de la région, a ramené le calme dans la zone ; mais pour autant, il conviendra d’éviter la banalisation pour chercher les causes profondes de ce «mal-être à Kédougou», afin d’y apporter des solutions efficaces et pérennes.

Pour rappel, c’est l’intervention des douaniers pour saisir deux motos et deux appareils de détection de métaux le 13 février, dans la zone de Khossanto, qui a jeté le feu aux poudres. Les deux parties divergent dans leur version de l’affaire, mais il est constant que l’usage d’armes à feu par les douaniers a abouti à la mort du jeune Yamadou Sagna.

Il faut dire aussi que la semaine qui a précédé ces évènements, les douaniers avaient fait une intervention dans la même zone pour saisir 6,5 kg d’or, dans une concession à Khossanto. Cette affaire d’or fut réglée à la gouvernance de Kédougou par une restitution de l’or saisi, contre le versement d’un montant de dix millions de francs.

Yamadou Sagna est le quatrième jeune tombé sous les balles ou les bottes des forces de sécurité, dans la région de Kédougou depuis 2008.

Cette propension des forces de sécurité à faire usage de leurs armes sur des manifestants semble particulière à Kédougou ; car, hormis en Casamance où sévit une rébellion armée, il n’y a pas au Sénégal une région où l’usage des armes à feu est aussi fréquent contre des manifestants, qu’à Kédougou.

Et pourtant, dans l’histoire récente du Sénégal on note des précédents qui ont été gérés par les forces de sécurité, dans le calme et la sérénité :

  • A Kébémer le limogeage d’un ministre de la Jeunesse (feu Issa Mbaye Sambe) originaire de la localité, avait provoqué de violentes émeutes dans la ville, avec en prime l’incendie du drapeau national. Aucun mort n’a été déploré ni par balles ni par tortures ;
  • Dans la même zone, à Darou mousty une horde de talibés avait fait une irruption dans la brigade de Gendarmerie pour libérer de force deux de leurs condisciples et pire, s’en prendre au drapeau national : là aussi les gendarmes avaient préféré s’éclipser.
  • A Fanaye Diéri, l’octroi de vingt mille (20.000) ha de terre à la firme Senhuile avait provoqué de violentes émeutes, avec à la clé l’incendie du siège de la Communauté rurale. Là aussi on n’a déploré aucun mort ni pendant les émeutes, ni avec les arrestations qui ont suivi.

Alors question : pourquoi c’est à Kédougou seulement qu’on tire vite sur des manifestants ?

Pour répondre à cette question, il est bon de revenir sur la gestion calamiteuse que le gouvernement de l’époque avait faite des émeutes de 2008.

Pour rappel, les émeutiers de l’époque avaient saccagé et incendié les édifices publics et il s’en est suivi la mort par balle de Sina Sidibé.

Ailleurs, un gouvernement avisé aurait mis en place une équipe pluridisciplinaire constituée d’historiens, de sociologues, d’économistes pour comprendre cette subite éruption de violences, dans une zone qui était jusque là réputée paisible.

A la décharge du Président Abdoulaye Wade, il avait à l’époque trois ministres en charge de ce dossier, qui n’étaient pas les mieux indiqués :

  • M  Ousmane Ngom aux Mines : c’est connu M Ngom dans sa conception des choses, donne le primat à l’argument de la force pour gérer les situations ;
  • M  Cheikh Tidiane Sy à la Justice : son long compagnonnage avec le dictateur zaïrois Mobutu Sese Seko a façonné  l’homme, pour le rendre totalement allergique aux notions de «Démocratie» et de «Droits de l’Homme» ;
  • M Bécaye Diop, ministre des Forces armées : personne ne lui reprocherait d’avoir un esprit et une vue simples des choses.

Les deux derniers nommés avaient fait le voyage de Kédougou, quelques jours après les émeutes ; les observateurs avaient espéré voir à travers un tel déplacement un début pour un apaisement de la situation ; que non !

Aux journalistes venus à l’accueil, les deux ministres déclarèrent «On est venus remonter le moral aux forces de sécurité» ! A leur départ de Kédougou «Force restera à la loi».

Ce sont ces deux ministres qui ont fondé l’opinion du président Wade sur la situation à  Kédougou. En effet quelques semaines après ces évènements, recevant une délégation de notables de Kédougou,  conduite par le Pasteur de l’église protestante, le Président s’est d’emblée écrié : «Vous êtes des sauvages ! Saccager des édifices publics…»

Pire, certains avaient même fait croire au Président qu’il s’agissait d’un début de rébellion, avec à l’appui une information fabriquée de toutes pièces et diffusée dans les médias, selon laquelle «les manifestants ont volé les armes des gendarmes en fuite…».

Insulte à la Gendarmerie ne pouvait être plus grave, car on sait que la devise de nos armées est «On nous tue, on ne nous déshonore pas». Même aux pires moments des affrontements en Casamance, il n’a jamais été fait cas d’une fuite de nos Diambars, pour laisser leurs armes aux rebelles…

La Gendarmerie n’a laissé prospérer une telle thèse que pour justifier a priori la violente répression qui a suivi les émeutes et opérée par le Gign.

C’est d’avoir eu une vision et une compréhension simples et tronquées de ces évènements, qui a amené le gouvernement de l’époque à n’envisager que l’option répressive comme solution à Kédougou : le dispositif sécuritaire a été renforcé (Com­missariat de police, Escadron et brigades de gendarmerie etc.) mais rien n’a été entrepris pour prendre en charge les frustrations des populations et des jeunes en particulier.

Les médecins le savent : les erreurs de diagnostic conduisent à un traitement inadéquat ou incomplet du patient.

Un détour dans l’histoire établirait que les populations de cette région n’ont pas de traditions de violence.

Pour rappel, cette région était la base naturelle du maquis fondé par le Pai, à la fin des années cinquante ; ce maquis n’a jamais prospéré, faute de base populaire.

Les populations de Kédougou ne veulent que la paix ; vivre leur pauvreté dans la dignité.

Il ne faut pas perdre de vue cependant, que les morts récurrentes de jeunes sous les balles des forces de l’ordre ne font que conforter un matelas de frustrations déjà épais et qui ont pour causes : absence d’infrastructures, pauvreté ambiante, chômage chronique des jeunes, perception de mépris, etc.

Alors Question : Que faire ?

Il faut d’emblée dire que le programme d’urgence de développement des régions périphériques (Puma) initié par le gouvernement est un début pour corriger une des injustices du Sénégal indépendant, dans la répartition des investissements publics.

En effet, hormis le cas de ces personnalités qui ont profité de leur passage à des positions stratégiques du pouvoir pour faire preuve d’un véritable patriotisme de terroir, en orientant massivement les investissements publics dans leur patelin (Robert Sagna, puis Abdoulaye Baldé à Ziguinchor, Tanor Dieng dans une moindre mesure à Nguéniène et surtout Idrissa Seck à Thiès), la répartition des investissements publics a souvent obéi à des critères démographiques et donc électoralistes. Et puisque Kédougou représente une part marginale du corps électoral, la région n’a jamais été une priorité dans la répartition des investissements publics.

Toujours au chapitre des injustices à corriger, le Président Macky Sall ne devrait pas faire moins que ses prédécesseurs en matière de respect des équilibres nationaux, dans les nominations à des postes de responsabilité.

On observe que les deux régions du Nord du Sénégal (Matam et Saint-Louis) comptent au moins cinq ministres dans l’actuel gouvernement, là où les cinq régions du Sud et de l’Est n’en comptent que deux.

Si on passe en revue les nominations de ces dernières années, on peut les centrer dans une écrasante majorité sur deux aires géographiques : l’axe Matam-Podor-Saint-Louis et le triangle Dakar-Fatick-Touba.

Oui, nous savons que les nominations relèvent du pouvoir discrétionnaire du président de la République ;  mais nous savons aussi que le président de la République est le garant de l’unité et de la cohésion nationale.

Veiller par un savant dosage à respecter les équilibres ethniques, géographiques et religieux dans les nominations, renforcerait non seulement la cohésion nationale, mais aussi favoriserait une forte adhésion du pays aux actions du président de la république.

Pour terminer par Kédougou, à coté des réalisations attendues de ce Puma, il faut plus spécifiquement orienter la réflexion sur des mesures sectorielles à initier pour juguler ces tensions récurrentes à Kédougou, notamment :

l’orpaillage artisanal 

Il ne s’agit point d’interdire une activité génératrice de revenus et que les populations pratiquent depuis la nuit des temps.

Il faut l’organiser et la réglementer en mettant en place des barrières à l’entrée, tarifaires et non tarifaires, telles que:

  • Instauration d’une carte d’accès à la profession d’orpailleur artisanal qui sera vendue à un prix donné, avec une discrimination positive en faveur des résidents ;
  • Imposer aux ressortissants de la zone Cedeao, une présence permanente d’au- moins un an dans la région, avant de bénéficier du droit à cette carte.

L’instauration de ces deux mesures permettrait d’abord de collecter des ressources supplémentaires au profit des collectivités locales, mais aussi aux forces de sécurité de disposer ainsi d’une base de données utile à leurs missions.

Il faut délimiter, dans les zones aurifères, des parties destinées à l’orpaillage artisanal qui reste un grand palliatif au chômage des jeunes ;

il faut aussi appuyer et accompagner ce sous secteur pour lutter contre la pauvreté.

Enfin, si ce sont des dispositions du Code des douanes qui permettent aux agents d’intervenir jusque dans les domiciles des orpailleurs pour récupérer, à des fins de taxation les produits de leurs activités, il faut les amender ; car quand même l’Etat renonce à des milliards de francs en termes de redevances et d’exonérations accordées aux sociétés minières, il devrait être possible d’imposer les revenus tirés de l’orpaillage traditionnel, au moment de leur réalisation.

Le développement local

Il faut élargir et consolider les bases de l’économie locale.

L’expérience vécue en Afrique et ailleurs montre que l’extraction de l’or ou du diamant n’a pas réellement apporté le développement à nos pays : ce sont plutôt les multinationales qui tirent des revenus énormes de ces ressources dont l’exploitation est limitée dans le temps.

Il faut alors que le gouvernement amène les sociétés minières, dans le cadre de leur responsabilité sociétale, à appuyer le développement d’autres secteurs tels que : l’agriculture, le tourisme de découverte, les services etc.

La Jeunesse

le chômage des jeunes s’explique ici par deux facteurs : (i) la non qualification et (ii) le non accès aux financements ; il faut que les structures telles que l’Anpej, le Fongip s’inscrivent dans le sillage du Puma, pour accompagner les jeunes dans les régions périphériques.

Le début de l’exploitation industrielle de l’or dans la région de Kédougou, a suscité beaucoup d’espoir au niveau des populations et singulièrement des jeunes : espoir d’emplois et simplement espoir d’une vie meilleure.

Cet afflux d’investissements privés, voulu et encouragé par l’Etat, ne se traduit pas encore par des impacts positifs significatifs au double plan économique et social, au niveau des populations.

Certes on n’attend pas de ces multinationales, engagées dans une logique de profit, de faire le développement économique et social, à la place de l’Etat ; elles doivent être amenées à assumer totalement leur responsabilité sociale.

Mais il revient à l’Etat de ne pas seulement se cantonner dans son rôle d’Etat-gendarme, qui met en place un cadre institutionnel et légal pour le bon déroulement des activités économiques, mais surtout d’accompagner les mutations en cours dans la région par la mise en place de mécanismes, pour atténuer les effets négatifs vécus ou perçus de cette exploitation minière.

 

Samba SIDIBE

Kédougou

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