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Pourfendre Ses Dirigeants à L’étranger, Une Manie Bien Sénégalaise

Chassez le naturel, il revient au galop ! A peine Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine, le nouveau Khalif général des Tidjanes a-t-il fini de déclamer son discours-sermon invitant toute la classe politique à «éviter les injures, la médisance, la calomnie, le bavardage inutile, les accusations gratuites et autres invectives», que les politiques remettent à l’endroit leurs bonnes vieilles habitudes. La première violation du sermon a eu lieu à Genève en Suisse. Même si l’incident est marginal et sa paternité non assumée par aucun leader de premier plan de l’opposition, pas besoin de trop fouiner pour savoir qu’il est béni par le climat politico-judiciaire du moment au Sénégal. Une poignée de pourfendeurs s’en sont pris, avec des huées, au président de la République du Sénégal, à l’occasion d’une conférence que Macky Sall prononçait à l’Uni­versité de Genève (Unige) dans le cadre d’une visite officielle. Un épiphénomène diront certains, il a un effet amplificateur, en raison notamment de sa diffusion en boucle sur les réseaux sociaux, mais surtout de son caractère symbolique et, disons-le, incivique.

Cette manie bien de chez nous de linger le linge sale chez nos partenaires riches d’Occident témoigne d’un refus de grandir et de s’affranchir du paternalisme occidental, de l’ancienne colonie singulièrement. Il en est aussi ainsi quand, incapables de faire face nous-mêmes à nos querelles et disputes internes, l’opposition du moment squatte les chancelleries occidentales accréditées chez nous pour faire du «boole» (juvéniles dénonciations) des agissements antidémocratiques du régime en place. Il faut dire qu’une telle dialectique, morne et monotone, est ressassée depuis des décennies. Comme en algèbre, les acteurs s’alternent et changes de signe en changeant de pôle.

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C’est Me Abdoulaye Wade et ses compagnons de l’opposition de l’époque qui avaient inauguré le genre. En octobre 1998, le leader de l’opposition de l’époque, accompagné des Djibo Ka, Landing Savané, entre autres, avait spécialement fait un voyage sur Paris pour prendre la tête du cortège d’une manifestation visant à dénoncer le «régime antidémocratique» du président Abdou Diouf reçu avec tout le faste républicain à l’Assemblée nationale française. De la sorte, ils entendaient mettre du sable dans le couscous du chef de l’Etat de l’époque. Au sortir, de la visite, c’est un Abdou Diouf pétrifié qui n’imaginait pas que des gens pouvaient être aussi «aigris et jaloux».

Sortir de l’ornière

Hormis cet acte fondateur, dicté par un contexte politique assez «chaud» à l’époque, les autres initiatives qui ont été par la suite posées par les acteurs politiques se sont résumées, jusque-là, à des audiences de dénonciation dans les ambassades occidentales ou des adresses épistolaires. Par ailleurs, sous le régime du président Abdoulaye Wade, son opposition lui a aussi  rendu la monnaie de la pièce, sans compter le rôle d’activistes qui ont eu à chahuter ses visites à l‘étranger ; cas de Souleymane Jules Diop, physiquement pris à partie après par la garde rapprochée de Me Wade à Chicago.

Au-delà de la légitimité ou de l’opportunité de choisir la forme d’animation de la vie politique que les protagonistes jugent la plus appropriée, les contradictions que recèle une telle méthode mais aussi, le caractère piteux des spectacles du genre déroulés en terre étrangère sous le sourire narquois des autorités et des citoyens des Etats théâtres de ces «sénégalaiseries*». Selon la météorologie dictée par le climat politique du moment, la rhétorique de l’opposition oscille entre deux extrêmes. Quand les entreprises françaises accumulent les parts de marché au Sénégal, «le pays est livré poings et pieds liés à l’ancien colonisateurs», «l’indépendance n’est que de nom». A l’opposé, quand les réformes politiques sont «anti-démocratiques» sont adoptées, des manifestations interdites ou réprimées, des arrestations ou poursuites judicaires opérées à tort ou à raison dans les rangs de l’opposition, ce sont des répliques du genre, « les investisseurs sont en train de fuir le Sénégal », «l’économie est à genou», etc.

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Et pour ne rien faciliter à la tâche, les régimes en place valsent, eux aussi, entre promesses électorales non tenues et calculs politiciens visant à rester au pouvoir le plus longtemps possible. En outre, le cumul, désormais constitutionnalisé, consistant à jouir à la fois, du statut de président de la République et celui de chef d’un parti politique, est  un véritable goulot qui empêche la clarification du jeu politique. Un mélange des genres qui permet aux adversaires de viser indistinctement le chef de l’Etat ou le leader politique du parti concurrent.

En définitive, il convient d’explorer les mécanismes nationaux que les acteurs connaissent bien pourtant afin d’éviter d’exporter nos querelles byzantines à l’échelon international. Le premier d’entre eux est la concertation permanente sur les questions politiques majeures. Celle touchant au processus électoral en particulier. Elle a fait ses preuves par le passé et a souvent abouti sur un consensus national. Par ailleurs, les chefs religieux souvent sollicités par les acteurs politiques et sociaux, ont souvent servi de paravent pour éviter des crises majeures. Enfin, et c’est peut-être l’aspect le plus important, il convient de donner plus de relief à l’éducation civique à l’école et vulgariser une conscience patriotique et citoyenne au Sénégal inspirée par nos valeurs traditionnelles. Parce qu’il faut le constater et le déplorer : certains propos outranciers qui polluent le débat public relèvent moins de l’adversité politique que des failles dans la formation du type d’homme sorti de l’Ecole et des autres structures de socialisation.

Cheikh Lamane DIOP

Journaliste, analyste politique

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*Sénégalaiseries : titre des chroniques du journaliste Ibou Fall dans « Sud quotidien »

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