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Débat Sur L’ethnicisme : Pourquoi Hamidou Dia A Tort ?

Du fait de tout le brouhaha causé par la sortie malheureuse de l’intellectuel Hamidou Dia (qui a tout à fait tort sur le plan du savoir), nous avons oublié de célébrer la journée d’hommage rendu avant-hier au plus Wolof des Peuls d’ascendance, Cheikh Moussa Ka, le plus grand poète en langue wolof. C’est une de mes grandes idoles. J’en ai beaucoup hein ! La seule idole qui a baissé en estime, c’est mon doyen Ibrahima Sene. Il faut qu’il retrouve vite sa verve d’antan.

ll est symbolique que ce jour d’hommage rendu à cet immense poète tombe en plein débat que certains voudraient « empoisonner ». Cheikh Moussa Ka est une des belles réponses à donner à ceux qui veulent déstabiliser la cohésion sociale au Sénégal au nom d’intérêts politiciens.

Dans son ouvrage, « Le Sénégal : les ethnies et la nation », publié en 1994, le professeur Makhtar Diouf nous disait que « Les clivages ethniques, qui sont d’un côté source d’enrichissement culturel, tendent malheureusement d’un autre côté à freiner le processus de développement, lorsqu’ils débouchent sur des situations conflictuelles. Et, c’est hélas souvent le cas, parce que de toutes les formes de différenciation sociale (ethnie, classe, caste…) l’ethnicité est la plus facile à manipuler; ce dont ne se privent pas certains politiciens ambitieux. Sinon, les revendications de séparatisme ethnique ne sont jamais le fait spontané des populations. »

M. Hamidou Dia ayant signé son texte avec le titre de « Professeur », son grand tort c’est d’avoir reproduit le sens commun sous un discours savant. Ce que la rigueur scientifique interdit pourtant.

Le sens commun reproduit par Hamidou Dia dit que le Wolof est « ethnocentrique » et s’en arrête à ce constat. La science, elle, nous dit que l’ethnocentrisme est une réalité universelle. Chaque culture prétend qu’elle est la meilleure; qu’aucune n’est assez bonne pour rivaliser avec la sienne. C’est ce que nous dit l’anthropologue William Graham Sumner qui a créé le concept d’ethnocentrisme. Selon lui, chaque groupe se prend comme point de référence ultime. C’est même une nécessité car quand des communautés vivent ensemble sur un même territoire, il faut qu’elles s’évaluent, se jugent, aient des perceptions les unes sur les autres. On affirme que l’identité elle-même se crée chez un groupe en se définissant par rapport à d’autres groupes.

C’est ce que nous disait aussi Claude Lévi-Strauss en indiquant que l’ethnocentrisme est une vision propre à toute société parce qu’elle donne confiance et fierté à un groupe.

Là où l’ethnocentrisme peut être dangereux, c’est quand il conduit à une déshumanisation voire à des meurtres de groupes.

Le sieur DIA ignore ou feint d’ignorer tout cela. Là où le Wolof dit « Sama Pël bi » (Mon Peul), « Sama Naar bi » (Mon maure), le Peul dit « Jolfam » (Mon Wolof), « Cappaatam » (Mon Maure).

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Hier, Alassane Kitane, dans une belle réplique à DIA, nous rappelait que les Sérères appellent les wolofs péjorativement sous le vocable de « Ô paal ». Qu’un Sérère se croit le plus digne (« ô sérère kâ djégua djom » (« Un sérère est toujours digne »). Le « Mandingue s’enorgueillit d’être le « Mandingka bâ » (le grand Mandingue) et appelle les autres « Wolof ndingo » (Le petit Wolof) », etc.

Ça c’est ce que le SAVOIR nous révèle, au delà du SENS COMMUN.

À ce titre, il faut signaler l’honnêteté intellectuelle de notre ami Mohamed Coulibaly (wàllaay un vrai anthropologue!) qui écrivait hier que « toutes les ethnies, toutes les races sont ethnocentristes : c’est une loi presque naturelle de la culture humaine. Ma culture est toujours la meilleure, ma race est toujours immaculée, ma religion est la vérité de toutes les religions, mes frères sont toujours plus vertueux que les autres…Chez moi on trouve aussi les équivalents de « sama nar », sama malien, sama peul, sama etc. Chaque groupe a sa vision égocentrique du monde et son vocabulaire pour désigner les autres. Reprocher cela aux walaf c’est feindre ignorer ce qui se dit dans les autres groupes ».

Certains de mes parents peuls croient même que la sourate Baqara (La Vache) du Coran a été révélée en l’honneur des Peuls. Je vois déjà des Sérères qui ne seront pas d’accord avec ça. Babacar Faye, qu’en penses-tu?

Il ne devrait pas y avoir de problème qu’un groupe se déclare le meilleur. Tant que ça reste du domaine de la perception, tant que cela donne de la confiance. L’ethnocentrisme est mauvais quand il conduit au dédain et au crime.

C’est d’ailleurs dans ce cadre des perceptions qu’il faut replacer le terme « làkkat » (celui qui parle une autre langue que le wolof) que M. DIA définit ABUSIVEMENT par le terme « barbare ». Le terme « làkkat » dénote seulement une volonté de distinguer deux groupes : le groupe de référence (qui parle) et les groupes périphériques (qui l’entourent). Les chercheurs Ibrahima Thiaw et #IbrahimaSarr qui ont travaillé sur la question, rappellent les notions d’ENDOPERCEPTON (comment un groupe se perçoit) et d’EXOPERCEPTION (comment des identités voisines se perçoivent). Ces notions importantes sur lesquelles des chercheurs tels que le Pr Mamadou Diouf ont travaillé, renseignent sur les perceptions de groupes existant dans chaque pays.

D’ailleurs, à propos de perception et de préjugés, il faut rappeler à Hamidou DIA que les Français disent que leur langue est la plus CLAIRE; que les autres langues sont OBSCURES. Un certain Comte de Rivarol prétendait que « Tout ce qui n’est pas clair n’est pas français ». Rivarol a été repris d’ailleurs par Senghor qui le confirme. Pourtant cela ne dérange pas M. DIA qui aime bien le français et ne semble voir que le wolof.

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Nous retrouvons cette même situation en Amérique. Sous prétexte que les noirs esclaves parlaient une langue déconcertante pour les Blancs, ceux-ci leur lançaient l’expression raciste : « Speak White » (« Parlez comme les Blancs »). La même expression était aussi opposée aux Québécois blancs, considérés comme des « nègres blancs » (white niggers) par les Canadiens anglophones, sidérés par le fait qu’ils ne parlent pas comme eux la langue anglaise.

Dans leur Encyclopédie ou Dictionnaire raisonnée des Sciences des Arts et des Métiers du XVIIIe siècle, les Français Diderot et D’Alembert, sur l’article « Le nègre sujet de l’esclavage », écrivaient, parlant des Sénégalais (nous tous quoi!), que « leur langue est difficile à prononcer, la plupart des sons sortant de la bouche avec effort. »

Dans son texte, M. DIA prétend que les Wolofs en disant « Weeru wolof » (La lune wolof) et « Yere wolof » (habit wolof), s’approprient tout ce qui est bien et méprisent les autres.

M. DIA, ignore-t-il que le terme « wolof » peut même, au delà du groupe wolof, désigner tous les Noirs? Je prends à témoin le poète Cheikh Moussa Ka, l’orfèvre de la langue wolof, auquel je veux rendre hommage dans ce post.

Le chercheur de l’université de Dakar, Saliou Ndiaye, dans un article de 2014 consacré à l’étude d’un poème (Taxmiis) de Cheikh Moussa Ka et publié dans la revue Éthiopiques, nous dit de bien faire « attention aux deux emplois du mot « walaf » » chez Moussa Ka.

Cheikh Moussa Ka écrit : « Dogonak melow seex Bamba baaxug walaf du feeñ ». Saliou Ndiaye traduit ce vers par « Si ce n’était pas ces vertus incarnées par Seex Bamba la culture noire serait inconnue ».

Analysant d’autres parties du texte du poète, le chercheur en arrive à la conclusion que « L’expression « ay walaf » que l’on peut rendre littéralement par « des Walaf » (au pluriel) met en avant l’usage de la langue dans une forme d’expression donnée. Autrement dit, ses détracteurs lui reprochent d’utiliser le wolof dans la composition écrite. Et il ne s’y trompe pas, car il a compris qu’ils sont animés par un complexe d’infériorité qu’ils nourrissent vis-à-vis de l’arabe en tant que langue ou en tant qu’individu. Or lui, grâce à son maître walaf, il s’est libéré de ce carcan assimilateur et veut aider ces « vertueux » à en faire autant. En effet, le deuxième emploi de Walaf (au refrain) renvoie, à travers la personne de son maître, au Noir. Il ne faut pas perdre de vue que dans cette langue, par opposition au Blanc, le Walaf est aussi utilisé pour désigner le Noir dans ses us et pratiques, en un mot, dans sa culture »

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« Yere wolof » s’oppose tout simplement à « Yere Tubaab » (habit de Blancs). Wolof désigne ici « Noir » comme le terme « Tuubab », au delà du français blanc, désigne tous les Blancs.

Enfin, Hamidou Dia écrit dans son texte que les Wolof disent que « la vérité est Ndiaye donc wolof ». Dire cela c’est ignorer l’onomastique sénégalaise et la formation des communautés à travers le temps. Cheikh Anta Diop nous rappelait déjà dans un article de 1948 titré « Essai de linguistique ouolove », paru dans la revue Présence Africaine, que les noms NDIAYE et DIOP qu’on croit wolofs ne le sont pas en réalité. Que ceux qu’on désigne du terme de « Wolofs » sont en réalité des héritiers d’un métissage de plusieurs groupes : Sérères, Toucouleurs, Socés, Soninkés, etc. Qu’il n’existe pas de nom totémique chez ceux qu’on appelle communément « Wolofs ». Les noms qu’ils portent appartiennent en réalité à d’autres groupes. Voilà pourquoi dans une certaine mesure, on peut comprendre ceux qui disent que le Wolof est un MYTHE.

Une des meilleures réponses servies à Hamidou DA à ce propos nous vient de notre ami Aliou Adam Ndiaye qui nous rappelle qu’il porte fièrement le nom « NDIAYE » mais qu’il est Hal Pulaar des deux côtés (paternel et maternel).

Hamidou DIA qui agit en « intellectuel communautaire », semble vouloir se construire un ennemi « ethnique ». De plus, il confine le président de la République (le président de tous en principe) dans une appartenance ethnique en parlant de lui comme d’un « Hal pulaar bon teint ».

Au moment où en Amérique certains insistent sur le « Whitism » du président Trump, il nous faut scruter à la loupe cette « pulaarbonteinisation » d’un président de la République que certains soutiennent. Il nous faut en analyser les présupposés.

PS : Pour ne pas être long, je vais m’en arrêter à ces remarques en promettant de revenir prochainement sur des considérations sur la langue wolof et son caractère véhiculaire.

Avec mon ami Aboubakr Tandia, nous avons promis de discuter de ces questions régulièrement ici et même d’ouvrir un débat public afin de diffuser plus largement à travers quelques radios ces questions importantes. Ce serait une bonne façon de diffuser certains travaux universitaires confinés dans des bibliothèques spécialisées.

Tout ça ne serait pas inutile, je crois. Nous invitons tous les amis intéressés par ces questions à nous rejoindre. »

 

KHADIM NDIAYE

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