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Misère De La Parole Publique

Le Sénégal n’aurait-il pas finalement besoin d’un Ndëpp, une séance d’exorcisme comme le préconise depuis le naufrage du bateau Le Joola notre compatriote le psychologue Serigne Mor Mbaye ?

Sans verser dans une quelconque provocation ou une polémique inutile d’ailleurs, je m’interroge avec angoisse, au même titre que des milliers de nos compatriotes, sur la trajectoire que notre pays est en train de suivre, paradoxalement, vers une grande misère de la parole publique.

Pis, on nous sert le prétexte de la liberté d’expression qui semble-t-il autoriserait tous les excès verbaux, toute l’indiscipline ambiante. Comme si cette liberté-là était désincarnée, au-dessus de toutes les autres.

Pour un pays de forte tradition orale, (où l’on parle un peu trop à mon avis) c’est tout de même incongru de penser un instant que la liberté d’expression puisse être remise en cause de quelque manière que ce soit. La vérité est que la liberté d’expression n’est pas un absolu. Ce n’est pas un droit indérogeable, et ceux qui l’évoquent le savent bien.

Ce dont il est question dans le Sénégal d’aujourd’hui, revêt un enjeu sociétal qui n’autorise pas qu’on se taise, face aux tentatives de banalisation d’un phénomène pernicieux qui par la magie des réseaux sociaux risque de constituer un appel d’air au mimétisme par rapport à certaines pratiques qu’on retrouve en Occident, et qui sont aux antipodes de nos valeurs.

Il s’agit de poser le débat sur le modèle de société que l’on veut nous vendre, et pour lequel, très vicieusement, certains se positionnent pour sa promotion au nom d’un juridisme de mauvais aloi. Ils ont tout faux !

De grâce, pas d’amalgame. Ce qui se passe aujourd’hui dépasse l’entendement par l’ampleur et la gravité. On a l’habitude chez nous de dire tel ou tel l’a déjà fait sans conséquence, pourquoi aujourd’hui on «s’acharne» sur de pauvres individus à qui on cherche des excuses.

C’est ahurissant, le niveau d’hypocrisie atteint aujourd’hui dans notre pays, et qui est le fait de certains intellectuels médiatiques.

Le résultat est que «les sachants» ont définitivement décidé de se taire, pour se soustraire à l’addition de voix qui ne font qu’amplifier le tumulte et à la cacophonie entretenue.

Ce silence, est en effet du pain béni pour une certaine catégorie d’individus qui, l’insulte et l’invective à la bouche, ou si on veut au bout de la plume, sèment la terreur sur d’honnêtes gens, ou des personnalités respectables au demeurant, par leur statut et leurs fonctions.

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Personnes n’est épargné, y compris nos bien aimés chefs religieux.

Ce n’est pas acceptable de laisser dire tout et n’importe quoi par quiconque.

Les valeurs de notre société ont porté la stabilité de notre pays, ne peuvent être mises au placard au nom d’une liberté d’expression qu’on invoque fiévreusement, et de manière sélective, au nom de textes internationaux en la matière, qui posent eux-mêmes des exceptions qu’on feint d’ignorer.

On ne nous fera pas croire que la liberté d’expression, c’est le droit d’insulter, de diffamer, de calomnier impunément.

Insulter le chef de l’Etat qui incarne la souveraineté, ou lui manquer de respect, équivaut à insulter les Sénégalais. Préten­dre le contraire sous prétexte, qu’un leader doit accepter «ce genre de dérives mineures» comme le prétendent certains, c’est ignorer complètement que la personne du chef de l’Etat n’est pas en cause ici, mais plutôt l’institution qu’il incarne. Il n’y a aucune dichotomie possible.

Il est vraiment dommage, qu’en lieu et place d’un débat qui éclaire les citoyens, sur les enjeux de l’usage des réseaux sociaux, pour le partage des connaissances, qu’on veuille nous entrainer dans une caricature de la pratique déviante des réseaux sociaux par une frange de la jeunesse de notre pays.

Il s’y ajoute que l’écrasante majorité des jeunes sénégalais n’est pas sur les réseaux sociaux, et ceux qui y sont, ont d’autres préoccupations que de planifier, concevoir et exécuter des projets funestes qui consistent à diffuser ou relayer des insultes à l’endroit de nos institutions.

Vouloir défendre l’indéfendable au point de soutenir que les propos diffusés l’ont été dans un cadre privé, pour exclure toute responsabilité pénale de leurs auteurs, me parait trop simple. Qu’y-a-t-il de privé ? C’est comme qui dirait que les réseaux sociaux ne sont pas des moyens de diffusion publique. Je les invite à lire le Pr Manuel Castells dans ses nombreuses productions sur ce qu’il appelle «les médias individuels de masse» pour comprendre que dans les réseaux sociaux, il n’y a rien de privé.

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A ce titre, je souligne que vouloir nous comparer à la France, sur ces cas précis, comme certains tentent maladroitement de le faire, pour dédouaner les auteurs de tels forfaits, n’est plus ni moins que le ferment d’une misère de la parole publique.

Pis, ceci me semble être une perception très occidentale qui, dans cette culture, permet à un enfant de dire à son père (restons polis) «tu ne dis pas la vérité».

Il est difficile de rester passif face à une déferlante de ceux qui, revêtus de leur manteau d’intellectuel, et ils sont nombreux, cherchent en vain à justifier l’innommable.

Cette parole publique-là, n’a aucune valeur ajoutée sociale. Elle ne s’enracine pas dans nos valeurs, et nous ne voulons pas la transmettre à nos enfants de la génération You Tube, Whatsap bref, du tout numérique et des réseaux sociaux.

Accepter qu’insulter le président de la République est une manifestation de la liberté d’expression, de sa citoyenneté me parait bien singulier. Surtout que dans le même temps, les tenants de cette ligne de conduite manifestent une énorme gêne à défendre la polygamie à Genève, à New York ou Stras­bourg. Ils poussent la provocation à l’extrême en se faisant les porte-voix de l’agenda mondial pour la défense des homosexuels au pays de Mame Maodo et Mame Borom Touba.

Il est encore temps pour se ressaisir, car nos ressorts sont nombreux et opératoires. Il faut que la parole publique s’exprime sans ambages. Je veux être clair, nous sommes en Démocratie. Mais, il nous faut surtout ne pas oublier que nous sommes entourés de pays où la violence verbale a précédé le chaos. Qui l’eût cru ?

Notre pays doit rapidement sortir de cette parenthèse, générée par les excès de la campagne électorale complètement dévo­yée, du moins par la fréquence et l’ampleur des actes posés.

Il est urgent qu’on revienne aux principes fondamentaux que Mame Abdul Aziz Sy Dabakh avait énoncés et que Serigne Ahméda Sy Ibn Serigne Mous­tapha Sy Djamil a rappelé fort justement il y a quelque temps.

C’est une exhortation à la précaution dans la prise de parole publique articulée autour de 4 questions essentielles qui, résumées en ouolof, donnent : Kooku ( qui ?), Loolu ( l’objet ?), Noonou (comment ?), Foofu (lieu ?) .

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Sans avoir la prétention de faire l’exégèse de cette puissante pensée qui, rien qu’avec ces 4 expressions, aurait pu faire l’objet d’un Traité en 4 tomes, pour parler comme mes amis juristes, je m’en limiterais à une lecture simple en mesurant le risque que je prends.

En définitive, le saint homme recommandait surtout, par ce que j’en retiens, que la personne qui prend la parole doit être la personne indiquée et qualifiée. Ce qui n’est pas le cas de nos experts autoproclamés.

Ensuite, insistait sur le fait que ce qui dit soit vraiment dit dans les termes et le sens les plus pertinents et surtout qu’il soit utile. Cette dimension renvoie à la passoire de Socrates qui préconise 3 choses : le vrai, l’utile et le bien dans la parole publique.

Mais Mame Abdul Aziz Sy (Rta) faisait observer que la personne qui s’exprime publiquement doit s’assurer que la manière choisie pour livrer sa pensée est la plus indiquée en raison du contexte. Ce qui ajoute une dimension pédagogique de la parole publique.

A ce propos, Cheikh Anta Diop le disait fort justement, «l’insulte ne peut pas s’adjoindre à la vérité quelle qu’elle soit, elle risque de l’affaiblir et de la rendre inaudible». Hélas, dans l’espace publique, on se croirait au­jourd’hui dans une arène avec des gladiateurs prêts à se porter l’estocade verbale. Et même dans les débats publics (radio comme Tv), c’est l’impression qu’on a des vis-à vis, au détriment de l’explication, du raisonnement.

Enfin, toute personne qui prend la parole publiquement doit s’assurer que le lieu choisi pour faire son adresse est le plus pertinent. A défaut est-ce que la discussion en privé n’aurait-elle pas été plus utile ?

S’inspirant de ces 4 règles d’or, nul doute que notre espace public aurait gagné en intérêt y compris pour notre jeunesse et nos politiques actuellement très éloignés des préoccupations de nos concitoyens.

Mais est-ce bien cela que nous voulons ?

Je ne le pense pas, au vu de ce qui se passe sous nos yeux, avec une société civile politique dont la sélectivité des interventions inquiète, et les leaders d’opinion qui lorgnent déjà vers des postes et les prochaines échéances électorales.

Mamadou NDAO

Membre du Bureau politique de l’Afp

Liberté 6 Dakar

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