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Lettre Ouverte Au Maire De Saint-louis : Le Sanguinaire Général Faidherbe Ne Mérite Pas D’avoir Une Statue Au Sénégal

M. le maire, nous passons sur les manipulations religieuses et ethniques entretenues par le général tout au long de sa présence au Sénégal. Il faudrait tout un texte pour ça. Nous passons sur le fait qu’il a institué le principe de L’ASSIMILATION CULTURELLE par laquelle il fallait apporter la civilisation française aux sénégalais jugés « primitifs » et la leur faire adopter. Nous passons sur le fait qu’il a aussi instauré le principe de la LOYAUTÉ ENVERS LA MÉTROPOLE.

Il fallait en effet former les jeunes Sénégalais de sorte qu’ils reproduisent les « valeurs de la culture française » et montrent une attitude loyale (toujours de rigueur d’ailleurs) envers la France. C’est pour cette raison que L’ÉCOLE DES OTAGES, rebaptisée plus tard École des fils de chefs et des interprètes, fut créée par lui à Saint-Louis. Les fils de chefs de villages et de notables étaient pour la plupart pris de force lors de campagnes militaires et envoyés à Saint-Louis pour y être « formatés ». À l’aide d’ouvrages jugés « périmés » en France et d’autres mettant l’accent sur la grandeur de ce pays, l’éducation qui fut donnée aux jeunes Sénégalais mit la référence sur la civilisation française. Il n’était nullement question d’évoquer le passé précolonial du Sénégal et de l’Afrique. Seul ce qui devait servir les intérêts de la colonisation était privilégié.

M. le maire, la “pacification” (les expéditions violentes qui permirent de soumettre des peuples entiers) du Sénégal menée par Faidherbe n’a été possible en partie que par ses connaissances ethnologiques utilisées aux fins de domination de populations entières. Son but c’était de connaitre l’être et le mode d’être des Sénégalais pour mieux les subjuguer et affirmer le pouvoir de la France.

M. le maire, le général Faidherbe n’a été au Sénégal que de 1854 à 1861 puis de 1863 à 1865, mais il aura eu le temps de mettre en place les bases idéologiques de l’occupation française du pays et de l’Afrique occidentale. Pour lui, toute action devait servir la cause coloniale. Ce fut le cas lorsqu’on mobilisa la force des indigènes pour construire un hôpital, une route, un pont, etc.

Le poète Aimé Césaire avait « démoli » dans son Discours sur le colonialisme, l’argument de ceux qui avancent que la colonisation a été un bienfait, qu’elle permit de réaliser des ouvrages. Au-delà du fait que ces ouvrages nécessitèrent l’utilisation souvent forcée de bras et de ressources locales, le poète nous dit que l’entreprise elle-même est une dépersonnalisation :

« J’entends la tempête. On me parle de progrès, de “réalisations”, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »

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M. le maire, même quand Faidherbe conseillait à ses collaborateurs français de s’unir à des femmes indigènes, ce n’était pas d’abord par amour, mais pour supporter l’éloignement et éviter de succomber à la solitude dépressive qui ferait perdre des éléments à l’administration coloniale. Cela engendra une cascade de relations illégitimes qu’il ne fallait jamais révéler en France de peur de subir des railleries. Faidherbe avait lui-même imposé une grande discrétion à sa relation avec la jeune Diokounda Sidibé, qui avait 15 ans lorsqu’il fit d’elle son « épouse à la mode du pays », comme on disait à l’époque. Pinet-Laprade, bras droit du gouverneur et qui deviendra lui-même gouverneur, suivit le conseil de Faidherbe à la lettre et prit comme femme indigène, Marie Peulh, qu’il présenta en France comme sa…bonne.

M. le maire, Faidherbe c’était cela, mais c’était aussi et surtout les expéditions militaires sanglantes. Lui et ses soldats ne laissèrent derrière eux que misère et désolation.

Janvier 1855 : une expédition est lancée contre le village de Bokol dans le Dimar. Tout le village est brûlé.

Mars 1855 : expédition contre les villages de Marsa et d’Oundounba. Faidherbe y envoie la « Garnison de Bakel ». Le village est brûlé. On dénombra 12 morts, 25 blessés, 22 bœufs volés ainsi que des chèvres et des ânes.

Mars 1855 : un lieutenant de Faidherbe, M. Bargone, envoie des tirs de canons et rase le village de Bakel. La détermination de M. Bargone fut saluée par Faidherbe. Un seul endroit dans Bakel fut épargné, le quartier Ndiaybé (Ndiayga?), parce qu’il s’y trouvait quelques alliés fidèles du général.

Le 5 avril 1855 : Les hommes de Faidherbe brûlèrent le village de Nayé, dans le Sénégal oriental. Plus de 200 personnes périrent dans les flammes. Un grand homme religieux du village fut fusillé sur place.

Le 14 juillet 1855 (le 14 juillet symbolise la prise de la Bastille, date fêtée en France) : Le gouverneur Faidherbe lui-même fit tirer sur des villageois, des populations riveraines, près d’Orndoli dans le Damga.

Le capitaine Parent, un lieutenant de Faidherbe, fit des razzias aux abords de Bakel et brûla entièrement le village de Koungueul.

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Le 18 décembre 1856, le village de Nguik dans le Ndiambour est pillé et brûlé par les hommes de Faidherbe. Le général dirigeait lui-même les opérations.

Le 19 décembre 1856, le village de Ouadan et celui de Baralé sont également incendiés par les hommes de Faidherbe.

À noter également qu’au mois de mars 1858, les hommes de Faidherbe brûlèrent de nouveau Ouadan. Le village de Keur-Seyni-Diop est aussi incendié au cours de « L’expédition de Niomré ». Les villages de Tanim ainsi que celui de Mbirama furent également incendiés par les soldats dirigés par un homme de Faidherbe, le lieutenant Lafont. Les chroniques rapportent qu’on voyait au loin la fumée s’élever au-dessus du village de Mbirama.

Mars 1860 : Faidherbe envoya le commandant Laprade en Basse-Casamance pour punir certains villageois jugés hostiles. C’est « l’expédition de Caronne [Karone] et Thionk ». Le village de Hilor fut entièrement incendié. Un des fils du roi de Hilor fut tué. Le village de Kourba fut également brûlé.

5 février 1861 : En Haute-Casamance, le vilage de Sandiniéri est dévasté. Le capitaine Fulcrand détruisit le village de Dioudoubou. Le village de Niagabar fut également incendié.

Le 12 février 1861: Le village de Bombadiou est incendié.

Novembre 1860 : un homme de Faidherbe, M. Parchappe, dirigea une expédition violente contre les Balantes et détruisit tout le village de Kouniara.

Mars 1861 : Faidherbe dirigea lui-même une expédition contre le Cayor. Tous les villages entre Kelle et Mékhé, au nombre de 25 furent tous brûlés. Des dizaines de personnes furent fusillées.

Le 4 avril 1861, au village keur Ali-Mbengue, 16 hommes sont tués. Tous les villages voisins sont pillés et incendiés.

Le 5 avril 1861 : 1000 soldats de Faidherbe sont envoyés pour détruire tous les villages des environs de Guéoul et de Mbawor.

30 avril 1864 : 10 villages autour de Pout sont entièrement détruits.

30 décembre 1863 : l’homme de main de Faidherbe, le lieutenant-colonel Laprade passa 4 jours à punir violemment des villages dans le Baol accusés d’être contre les intérêts des colons.

Le 18 juillet 1864 : les hommes de Faidherbe détruisirent tous les villages bosséyabé dans le Fouta. Près d’une quarantaine de personnes furent massacrées.

Mai 1859 : Sur la route pour combattre le Sine, les hommes de Faidherbe forcèrent les villages à fournir de force un contingent de volontaires. L’échauffourée de Logandème contre Bour Sine Famak est lancée le 18 mai 1859. Ce fut une épreuve sanglante. Faidherbe lui-même affirme que 150 Sérères furent tués ou blessés. Il donna l’ordre de brûler Fatick et tous les villages environnants. Les imposantes colonnes de fumée poussèrent les rescapés à aller se réfugier dans les zones voisines.

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M. le maire, la liste est loin d’être exhaustive. Le général Faidherbe était le grand acteur d’une entreprise coloniale qui ouvrait une ère d’oppression et d’assujettissement au Sénégal. Cette entreprise signifiait « chosification » et animalisation et se caractérisait par une violence inouïe qui s’exprimait à tous les niveaux de la société. Cette violence, nous dit Achille Mbembe dans son ouvrage, De la postcolonie, se manifestait même quand le colon montrait un semblant d’affection au colonisé qui était, en réalité, un «objet d’expérimentation» pour lui.

M. le maire, l’écrivain et cinéaste sénégalais, Sembene Ousmane, dans sa lettre au président Senghor de 1978 déplorait déjà la présence insultante de cette statue : “N’est-ce pas, écrivait-il, une provocation, un délit, une atteinte à la dignité morale de notre histoire nationale que de chanter l’hymne de Lat Joor sous le socle de la statue de Faidherbe? Pourquoi, depuis des années que nous sommes indépendants à Saint-Louis, Kaolack, Thiès, Ziguinchor, Rufisque, Dakar, etc., nos rues, nos artères, nos boulevards, nos avenues, nos places portent-ils encore des noms de colonialistes anciens et nouveaux ? Notre pays n’a-t-il pas donné des femmes et des hommes qui méritent l’honneur d’occuper les frontons de de nos Lycées, collèges, théâtre, université, rues et avenues, etc…?”

M. le maire, on n’efface pas le passé en faisant tomber la statue d’un oppresseur. On peut enseigner une histoire douloureuse en étant le plus objectif possible, sans graver sur la pierre des bourreaux. Au colonisé à qui l’on a dénié l’histoire, la morale, la religion, les héros, etc., il serait bien, à des fins thérapeutiques, de montrer des figures de résistance locales, des figures qui incarnent la haute stature morale, des figures historiques nationales qui flattent et revigorent la fierté et l’estime perdues.

Pour toutes ces raisons, M. le maire, une statue de Faidherbe n’a pas lieu d’être au Sénégal. Une statue a une valeur éducative en principe. Cette statue de Faidherbe érigée en plein centre de Saint-Louis, avec la mention « À son gouverneur L. Faidherbe, le Sénégal reconnaissant », consacre, aux yeux des enfants sénégalais qui la voient tous les jours, l’humiliation et l’asservissement subis par leurs ancêtres. Cette statue de Faidherbe représente le bourreau sanctifié, l’accoutumance à la figure de l’oppresseur, le tortionnaire glorifié et la figure du criminel immortalisée. Elle consacre le point de vue du colon; sa version de l’histoire.

 

Khadim Ndiaye

Montréal

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