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Les Paradoxes De La «démocratie» Sénégalaise

Le Sénégal est véritablement un pays de paradoxes. Après avoir clamé haut et fort l’existence et la profondeur de «sa» démocratie, caractérisée même de majeure, voire de «démocratie de référence» (quid de celle du Kenya ?), le Sénégal n’arrive même pas à faire le distinguo entre pouvoir exécutif, pouvoir législatif et pouvoir judiciaire, c’est-à-dire, à voir clair, dans la sacro-sainte séparation des pouvoirs, b.a.-ba et condition première, de cette démocratie tant criée sous tous les toits.

Démocratie ou «Démoncratie» ?

Rappelons d’abord que la démocratie est la forme de pouvoir politique qui s’oppose radicalement à cette autre forme de pouvoir politique, qu’est l’autocratie. Le second signifie le pouvoir d’un individu, souverain ou monarque, lequel pouvoir peut être absolu (monarchie absolue) ou contrôlé par une loi fondamentale (monarchie constitutionnelle) ; Le premier signifie le pouvoir du Peuple, lequel pouvoir peut être absolu (directement exercé par le Peuple lui-même) ou être contrôlé par une loi constitutionnelle (exercé par des représentants du Peuple). La démocratie absolue présuppose une décentralisation maximale du pouvoir, tandis que la démocratie constitutionnelle présuppose une centralisation absolue du pouvoir entre les trois entités que sont le pouvoir exécutif (qui exécute), le pouvoir législatif (qui légifère) et le pouvoir judiciaire (qui justicie). Au Sénégal, la démocratie est censée être constitutionnelle, encadrée par la loi fondamentale qu’est la Constitution. Et c’est là où commencent les paradoxes de la «démocratie» sénégalaise.

Le premier paradoxe, c’est que la Constitution qui est l’instrument par excellence du pouvoir judiciaire, sa feuille de route, se trouve être sous la protection et la garantie du pouvoir exécutif ; autrement dit, le pouvoir exécutif est le gardien de son gardien. Du temps du poète-Président, la Cour suprême était bien le gardien et le garant de la Constitution.

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Le second paradoxe, c’est la grande proximité, voire la complicité, qui existe entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, du fait que c’est le chef même de l’Exécutif qui désigne la majorité des membres du pouvoir législatif, voire de son chef. Dans ces conditions, le pouvoir législatif peut-il contrôler efficacement, censurer ou réorienter l’action du pouvoir exécutif ; n’y a-t-il pas risques de manipulation du premier par le second ?

Le troisième paradoxe est que le pouvoir judiciaire aussi pourrait manipuler le pouvoir législatif. S’il est instrumentalisé par le pouvoir exécutif dont le chef est gardien de la Constitution et préside aux destinées du Conseil supérieur de la magistrature, le pouvoir judiciaire peut être amené à «tordre» les lois dans tel ou tel autre sens. Si la bonne application des lois échoie au pouvoir judiciaire, leur bonne interprétation ne revient-elle pas exclusivement au pouvoir législatif qui les a élaborées ?

De fait, c’est au pouvoir législatif de définir les grandes orientations de l’évolution de la Nation (que le pouvoir exécutif est chargé d’exécuter), d’élaborer les lois qui organisent la vie de toute la Nation (que le pouvoir judiciaire est chargé de justicier), dans le sens d’un mieux-être, toujours plus accru, des populations. C’est également au pouvoir législatif de veiller à la bonne exécution de ces orientations et lois pour sanctionner positivement ou négativement, aussi bien le pouvoir exécutif que le pouvoir judiciaire. Quand le pouvoir exécutif ou le pouvoir judiciaire enfreint les orientations ou les lois que le pouvoir législatif élabore, c’est ce dernier qui doit sévir, en bloquant les budgets alloués aux deux autres pouvoirs et en les contraignant à licencier les fautifs.

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Cette démocratie, initiée par l’Occident et qui repose sur la séparation des pouvoirs entre le législatif, l’exécutif et le judiciaire, a pour socle l’opérationnalité de la loi. Or, la loi n’est réellement opératoire «que si elle parvient, dès son origine, à se couper de tout intérêt exclusif qui la transformerait en défense d’intérêts privilégiés». Malheureu­sement, «où vous croyez faire régner les lois, ce seront les hommes qui régneront». Ce ne sont donc pas les lois qu’il faut parfaire, ce sont les hommes qu’il faut parvenir à contrôler. Ce dont cette démocratie occidentale est tout à fait incapable qui vaut moins que cinq mille francs Cfa.

La démocratie en Afrique noire traditionnelle, par contre, à travers l’Egypte antique, avait plutôt prôné et appliqué non pas la séparation des pouvoirs, mais leur extrême concentration entre les mains du dirigeant (Pharaon, fonctionnaire, père, époux, etc.), aussi bien tous les pouvoirs temporels que spirituels. Le socle de cette démocratie africaine, c’était la séparation entre la possession de biens matériels et ceux immatériels. De sorte que celui qui est matériellement riche est exclu de la gestion du pouvoir politique, tandis que celui qui gère le pouvoir politique est privé de toute possibilité d’enrichissement matériel. En Egypte antique, il était inconcevable d’être nanti à la fois matériellement et immatériellement. Quand on avait l’un, on perdait aussitôt toute possibilité d’avoir l’autre.

Quand on n’a pas (encore) ce que l’on veut, l’on se contente (pour le moment) de ce que l’on a. On n’a pas encore (retrouvé) la démocratie africaine ; contentons-nous donc de la démocratie occidentale, en veillant à une séparation effective et rigoureuse entre Exécutif, Législatif et Judiciaire, aussi à ce que le Législatif puisse contrôler et sanctionner positivement ou négativement les deux autres pouvoirs.

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C’est le pouvoir législatif, et non le pouvoir exécutif, qui doit se charger de la définition de la politique nationale de développement socioéconomique et socioculturel que l’Exécutif est chargé d’exécuter. Ensuite, sur la base des grandes orientations définies par le pouvoir législatif (Tdr Politiques), les prétendants au pouvoir exécutif élaborent un projet de programme de développement et un projet de plan d’actions sur la base desquels le chef de l’Exécutif est élu. Enfin, le Législatif amendera le projet de programme de développement et le projet de plan d’actions, afin de leur donner leur mouture finale. Et c’est sur la base de celle-ci que l’Exécutif organisera le développement du pays, que les lois nécessaires seront élaborées par le Législatif, que le Judiciaire se chargera de faire respecter et appliquer.

Le pouvoir exécutif doit «sortir sa main» de tout ce qui est législatif et de tout ce qui est judiciaire, tandis que le Législatif doit «mettre sa main» dans tout ce qui est exécutif et dans tout ce qui est judiciaire. La séparation des pouvoirs ne signifie nullement absence de liens entre ces pouvoirs, bien au contraire. La notion de séparation des pouvoirs est impropre, si elle est comprise comme étant absence de liens organiques et hiérarchiques entre ces pouvoirs. Certes l’Exécutif exécute, le Législatif légifère, le Judiciaire justicie. Néanmoins, c’est au Législatif que revient la tâche de contrôler l’Exécutif et le Judiciaire, de les sanctionner positivement ou négativement, selon le cas.

 

Cheikhou Gassama

gassamacheikhou@yahoo.fr

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