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Entre économie Et Culture, Quelles Approches Pour Un Sénégal émergent ?

Depuis les premières années de l’indépendance du Sénégal en 1960, la problématique du développement, au sens générique du terme, est au centre des préoccupations politiques. De nombreuses initiatives y relatives se sont succédé – avec tout le capital espoir nécessaire – dans le but d’aboutir, à long terme, à un mieux-être des populations. Elles n’ont pas toujours donné les résultats escomptés.

En 2014, le Plan Sénégal Emergent (Pse) est mis sur orbite par le Président Macky Sall, pour répondre aux attentes des Sénégalais dans un horizon de vingt (20) ans. Parmi toutes les stratégies et tous les leviers activés dans le cadre de la mise en œuvre du Pse, le paradigme «culturel» est assurément l’un des aspects les plus difficiles à cerner ; l’économie étant souvent opposée à la culture, à tort ou à raison.

A l’ère de l’émergence de territoires créatifs, de classes créatives, de l’économie créative et de clusters culturels à vocation économique à travers le monde, le défi à relever ne semble plus résider dans l’historique confrontation entre «économie» et «culture», longtemps considérées comme séparées, voire même antinomiques. Malgré le débat contradictoire entretenu de manière à la fois passionnée et passionnante, l’étroite interrelation entre économie et culture semble bien établie. Mieux, les deux concepts se confondent parfois pour ne faire qu’un.

Selon les époques, les contextes, les localités et la disponibilité des ressources, la perception de la culture dans l’indice de développement connait des fortunes diverses. Certains la considèrent comme une simple activité de divertissement pour occuper les masses populaires et d’autres comme objet de luxe destiné à une certaine élite placée au sommet de la pyramide du célèbre psychologue américain Abraham Maslow ; frange privilégiée de populations issues d’une «bourgeoisie prospère raffinée et douée d’un certain goût».

Au Sénégal, pays de tout temps réputé pour l’importante place qu’il accorde aux questions de culture par le fait de grandes dames et de grands hommes, le paradoxe est entretenu par un semblant d’amalgame consensuel autour du concept de culture et par une prolifération de proverbes, de dictons et de langages du genre «Xaalis kenn du ko ligééy, da ñu koy lijanti». Et c’est parti pour une course effrénée de dérives comportementales !

Tout acteur du développement qui s’abreuve de clichés semblables constitue un danger à tout point de vue, et les attentes de résultats placées en lui en pâtissent inéluctablement.

Sous le prisme de ces seules extrêmes représentations, la culture s’offre à toutes sortes «d’entendus, de sous-entendus et de malentendus». Toutefois, est-il heureux de constater qu’à des fins économiques, des territoires ont fait de la culture un argument concurrentiel de taille et un avantage compétitif réel en faisant valoir au moins quatre de ses grandes caractéristiques :

  • son caractère transversal pour servir de liant et de lien dans le processus de développement des territoires ;
  • la spécificité de l’acte de création esthétique pour disposer d’une cartographie visible et lisible des productions culturelles les plus représentatives des territoires ;
  • les valeurs éthiques et comportementales (courage, vertu, pudeur, intégrité, exemplarité, mérite, excellence, etc.) qu’elle charrie sous une forme systémique et qui constituent parfois un ensemble de règles non écrites au service du capital humain (re-configuration de la ressource humaine).
  • son pouvoir d’influence insoupçonné qui fait que lorsque les stratégies entrent en conflit avec la culture, cette dernière finit toujours par prendre le dessus sur celles-là.

En effet, faudrait-il avoir une conscience claire de la complexité polysémique qui entoure le concept de culture et amorcer un travail de discernement entre «culture» et «culture». Cet exercice auquel nous allons nous évertuer est on ne peut plus nécessaire. C’est assurément une des conditions devant permettre à la «culture générique» de jouer le rôle qui devrait être véritablement le sien dans un projet de développement aussi ambitieux que le Plan Sénégal Emergent (système de valeurs, culture organisationnelle, ressources humaines de qualité, manière d’être, contribution substantielle à la croissance économique, création d’emplois, mieux-être des Sénégalaises, des Sénégalais et des hôtes étrangers, etc.).

Etant à la fois le substrat et le déterminant les plus caractéristiques de l’Homme (valeurs identitaires et expressions), la culture est partout présente dans ses formes et contours physiques les plus aboutis, en filigrane et en mode diffus.

Sous un autre angle, convient-il de rappeler que tout développement est processus. Tout processus est changement. Tout changement est à la fois acculturation et mutation. Il y a acculturation et mutation lorsqu’une culture s’estompe peu à peu (absence) au profit d’une autre culture (re-génération). En cela, les politiques, les projets et les programmes visant à agir sur les populations, à les faire agir et à transformer leur mode de penser et d’agir, leurs comportements et leurs conditions d’existence, appellent inéluctablement des transformations à caractère culturel. De très profondes transformations dans la plupart des cas !

Le Plan Sénégal Emergent (Pse), comme toutes les initiatives qui l’ont précédé, n’échappe pas à cette règle. Car, aucune autre alternative n’est envisageable en dehors du paradigme culturel (compris ici comme l’avènement d’un nouveau système de valeurs, de nouveaux traits caractéristiques acceptés et partagés). De ce point de vue, la mise en œuvre du Pse nécessitera des séries de transmutations culturelles génératrices de nouveaux comportements et de plus de performances sociales et économiques pour un mieux-être des populations.

Au regard du caractère transversal de la culture, de sa complexité sémantique et de son pouvoir de construire, de déconstruire et de reconstruire, serait-ce réaliste de «penser le développement» sans «penser la culture de ce développement» ?

A la suite de l’examen du contexte dans lequel est adopté le Pse, la réflexion portera sur ce qui pourrait faire passer ce référentiel d’un projet «économique à soubassement culturel» à un projet «culturel à vocation économique».

Entre économie et culture, quelles approches pour un Sénégal émergent ?

Les réalités endogènes varient d’un pays à un autre et s’apprécient différemment selon le périmètre géographique dans lequel on se situe en Afrique. Le contexte peut ainsi être favorable ici et défavorable là. Toutefois, aucun des Etats africains n’est épargné par les crises qui secouent le monde. Y compris le Sénégal ! Bien qu’étant un document de référence pouvant se faire valoir d’une valeur scientifique certaine, destiné à apporter des réponses aux attentes des populations, le Pse émerge d’un contexte marqué par une série de dysfonctionnements. Les plus remarquables d’entre ces derniers portent sur la démographie, l’économique, la pauvreté, les territoires, le choc de cultures, la dépréciation de certaines valeurs, la crise d’autorité, la disparité entre Dakar et l’intérieur du Sénégal, la réappropriation du plan par les populations, le développement d’un sentiment d’appartenance audit plan, etc. ;

Sur le plan culturel, le contexte n’est pas plus reluisant. En effet, ces crises d’ordre financier et économique ont profondément affecté les systèmes de valeurs culturelles, sociales, identitaires et les modes d’expression, de production et de diffusion de la culture.

Le monde subit des mutations profondes pour diverses raisons. Et cette logique de mutation provoque une sorte de dérèglement dans le système de correspondances classiques qui relient les statuts et les profils professionnels aux métiers des arts et de la culture. Ce dysfonctionnement systémique commence à avoir de graves conséquences sur la mise en marché des œuvres de création esthétique et sur la compétitivité et la solvabilité des entreprises culturelles.

Le secteur des arts et de la culture devient ainsi le champ de prédilection de nouveaux acteurs sans formation professionnelle en amont, sans vocation et sans aptitude en la matière. Par la faveur de moyens de communication et d’une nouvelle catégorie d’animateurs peu ou pas au fait des enjeux mondiaux, ces artistes et autres acteurs culturels de circonstance occupent à longueur de journées le paysage médiatique et se font passer comme ce que le Sénégal compte de meilleur dans ce domaine.

Ce contexte de sauve-qui-peut tous azimuts vers les médias et les arts a son revers. Il renvoie à une nouvelle forme de libéralisation professionnelle qui contribue, lentement mais sûrement, à banaliser la production culturelle et les statuts des corps des métiers de la culture.

Une sorte de star system d’un genre assez particulier s’impose ainsi de plus en plus avec de nouveaux médias, de nouveaux acteurs, de nouvelles techniques de présentation et de représentation, un nouveau jargon et l’emprise d’un omniprésent «virtuel virtuose».

D’autre part, le contexte est aussi caractérisé par la force de clichés du genre «l’art ne nourrit pas son homme» qui ont fini de s’incruster dans la conscience collective et qui entravent sérieusement le processus d’émergence de territoires créatifs. Ici, l’environnement sociologique secrète lui-même les entraves à l’émergence d’une synergie créatrice et d’une dynamique de type territorial.

Au grand dam des principes élémentaires de gestion, le facteur «temps» fait l’objet d’une méprise au quotidien, alors qu’il est une ressource d’une extrême importance dans tout processus de développement. L’élasticité du temps, le non-respect des délais prescrits, le cumul de temps perdu pour des réunions et des séminaires, le mépris de l’assiduité et de la ponctualité, autrement dit la domestication ou l’apprivoisement du temps par les Sénégalais, sous le prisme du laxisme et de la désinvolture, sont autant de faits hors normes. Ils provoquent des surcoûts exorbitants préjudiciables au développement du pays et installent des réflexes comportementaux acceptés de façon tacite comme règles non écrites, en passe de devenir des traits de culture totalement néfastes à toute volonté d’émergence.

Quid de la Gestion Axée sur les Résultats (Gar) si culturellement, les fondamentaux relatifs à la planification semblent sapés à la base par ce fameux temps sénégalais ? Pour rappel, la Gar accorde une place prépondérante à la posture «culturelle» et au travers du nouveau paradigme du «résultat» considéré ici comme une transformation observable et mesurable.

L’analyse du contexte ne saurait faire abstraction de la carence de données statistiques fiables sur les arts et la culture. Les appréciations qualitatives sur les indicateurs de manière générale (créativité, produits, productivité, effectifs, efficacité, efficience, résultats, performances, chiffres d’affaires, etc.) laissent très peu de place aux appréciations quantitatives. Un tel état de fait favorise-t-il l’adoption généralisée de la Gestion Axée sur les Résultats dans le management du secteur de la culture ? La rigueur de gestion rappelle que «Tout ce qui se gère se mesure» mais «Gare à la Gar», semble rétorquer sans ambages une certaine conscience collective sénégalaise !

Au pays des grands commis de l’Etat ayant blanchi sous le harnais, fonctionnaires chargés des responsabilités les plus élevées au sein de l’administration culturelle sénégalaise, au pays des académiciens Léopold Sédar Senghor et Ousmane Sow, de Douta Seck, Cheikh Hamidou Kane, Cheikh Alioune Ndao, Arame Fall Diop, Aminata Sow Fall, Mariama Ba, Boubacar Boris Diop, Mada Thiam, Samba Diabaré Samb, Papa Ibra Tall, Yandé Codou Sène, Saloum Dieng, Ousmane Sembène, Doudou Ndiaye Coumba Rose, Germaine Acogny, Bouly Sonko, Ndèye Khady Niang, Ndèye Bana Mbaye, Julien Jouga, Youssou Ndour, Didier Awadi, Gacirah Diagne, TT Fons, du Yéla, du Ndaga, du Kankurang, de la tapisserie, du premier Festival mondial des Arts nègres et du Dak’Art, au pays de ces grands hérauts de la culture, il peut paraître paradoxal que nombre d’acteurs supposés être à la base des productions culturelles ne s’identifient toujours pas comme étant des entrepreneurs à part entière -avec leurs spécificités propres- appelés à produire des œuvres à forte valeur ajoutée, compétitives, résolument orientées vers le marché, dans l’espoir de réaliser de grandes performances commerciales.

(A SUIVRE)

 

Sidy SECK

Ancien Directeur général

des Manufactures sénégalaises

des Arts décoratifs (Msad) de Thiès

siidisekk@gmail.com

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