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Exploitation Des Ressources Pétrolières Du Sénégal : Les Défis De La Configuration Industrielle Et Du Cadre Administratif

La production de pétrole et de gaz est prévue, au Sénégal, dans la période 2021-2023 et dans cette perspective, une réflexion est conduite actuellement au sujet de l’encadrement administratif à mettre en place par la voie législative pour réglementer les modalités de la dite production et optimiser la saisie et l’emploi du revenu qui en sortirait.

Le texte qui suit se propose de contribuer modestement à la réflexion en cours en formulant quelques commentaires sur l’économie de l’industrie pétrolière « amont », commentaires inspirés par des faits d’expériences récentes et susceptibles de s’avérer pertinents au regard de la réflexion engagée.

Pour la facilité de lecture, les commentaires en question sont groupés par rubrique. Bien évidemment, les thèmes et sujets abordés sont propres à faire l’objet d’une recherche plus approfondie.

Malédiction des resources naturelles

La théorie économique – dont celle de la croissance endogène – et l’expérience s’accordent maintenant pour conclure que la prétendue « malédiction » trouve son origine dans trois dysfonctionnements principaux, à savoir :

• une destruction de valeur économique consécutive à une injection dans l’économie locale de ressources/moyens importants -financement et/ou infrastructure – et exogènes au point que les compétences disponibles dans la population active et/ou l’organisation des entreprises privées ou publiques n’en permettent pas une exploitation rentable.

• une perte de compétitivité suite à une augmentation excessive du budget de l’Etat et des coûts de production en général.

• une bureaucratisation pléthorique des entreprises et/ou administrations publiques impliquées et ses conséquences en termes d’opacité de gestion et de compartimentalisation morcelée des décisions.

Dans la littérature de l’économie des ressources naturelles, le « syndrome Hollandais » tout comme la plus récente « réussite Norvégienne » s’analysent souvent en faisant appel à ce qui précède soit pour souligner la « contre exemplarité » parfaite du premier cas et/ou pour montrer l’exemplarité du second. Il convient ainsi de mettre en avant les deux dispositions singulières de la gestion du revenu pétrolier en Norvège à savoir d’une part le rôle prépondérant du Fonds de l’investissement générationnel doté pour intervenir sur les marchés financiers internationaux et d’autre part la mise en concurrence systématique de la compagnie pétrolière nationale.

La « Sar » site pivot des secteurs pétroliers amont et aval

Il est utile de faire ressortir les données techniques et industrielles qui peuvent structurer la configuration opératoire et administrative des industries de l’amont et de l’aval pétroliers à l’horizon 2023. A cette fin plusieurs attendus méritent d’être mis en avant :

• la demande intérieure d’hydrocarbures peut être estimée entre 20000 et 25000bbl/jour, ce qui constitue un débouché naturel pour une production pouvant atteindre 65000 bbl/j.

• dans ces conditions, le site de raffinage de la « SAR » peut jouer un rôle majeur dans la valorisation de la ressource pétrolière nationale. En effet le site de Dakar relève alors de l’économie du raffinage de pétrole brut « à la sortie du puits » et à ce titre il peut être constitué en une source d’approvisionnement en produits pétroliers tout à la fois fiable et très compétitive. Dans une telle perspective l’’extension et la modernisation des installations de la « SAR » trouvent une justification que confirme l’expérience acquise dans tous les cas semblables. Il s’avère donc une priorité de définir sans tarder les nouveaux moyens dont doit être doté le site de la « SAR » pour que la raffinerie réhabilitée puisse mener à bien la mission de valorisation de la ressource pétrolière nationale qui lui échoit naturellement.

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• la production disponible pour le négoce représente 40000bbl/j (avant partage de production) ce qui est une quantité modeste et en tout cas insuffisante pour y affecter une nouvelle organisation commerciale intervenant internationalement. Ce « surplus pétrolier » peut très probablement trouver un débouché régional régulier et avantageux notamment à travers la « SAR ».

L’intégration technique des secteurs pétroliers amont et aval est donc très prononcée et se trouve de fait réalisée par le site de raffinage de la « SAR » pourvu de nouveaux moyens. Cette disposition est d’une part très favorable à l’économie pétrolière Sénégalaise dans sa future configuration et elle est d’autre part simplificatrice de l’appareil administratif à concevoir et à mettre en place pour une meilleure saisie et valorisation de la production de pétrole brut.

Un nouveau secteur gazier à configurer et à administrer

L’introduction du gaz naturel dans le paysage énergétique Sénégalais annonce la naissance d’un secteur gazier dont les infrastructures industrielle et administrative sont à concevoir et à implanter ex nihilo. A ce sujet plusieurs commentaires peuvent dès à présent être utilement formulés dont ceux qui suivent :

• la configuration des installations de la production gazière dépend largement des débouchés de la dite production. En effet trois choix se présentent : l’accès à un réseau international de gazoducs, la liquéfaction en vue d’un transport maritime et la transformation locale en énergie électrique. Ce dernier choix est le plus probable dans les circonstances propres de la production gazière au Sénégal.

• cependant quel que soit le choix des débouchés les modalités opératoires et gestionnaires sont largement imposées par les propriétés physiques de l’hydrocarbure produit et en l’espèce des pratiques prévalent qui sont validées universellement.

• en conséquence de ce qui précède l’encadrement administratif de la production gazière répond à un modèle bien défini qui peut être mis en place avec un objectif de grande efficacité organisationnelle.

• par ailleurs il est probable que tout le gaz produit trouve le(s) même(s) débouché(s) régulier(s) et qu’une activité de négoce ne puisse être envisagée par manque de ressources.

Dans ces conditions il s’avère probable que le mode opératoire de la future production gazière du Sénégal relève d’une configuration industrielle communément mise en œuvre et que partant la dite configuration favorise l’emploi d’un appareil administratif d’encadrement simple dans sa conception et efficace dans sa mise en œuvre.

Le risque de l’excroissance bureaucratique

Ce risque est attesté par de nombreux exemples et les analyses s’y rapportant sont largement diffusées dans la presse spécialisée. Les facteurs causaux du risque d’excroissance bureaucratique sont multiples mais les principaux sont souvent présentés comme suit :

• pour la majorité d’entre eux les industriels de l’industrie pétrolière amont sont mondialisés et ont acquis par expérience une réelle expertise technique et gestionnaire, expertise que leurs interlocuteurs des entreprises publiques et/ou des administrations tutélaire égalent en accroissant – parfois significativement – leurs effectifs au lieu de sous-traiter le service.

• l’instrument technique que représente une entreprise pétrolière nationale peut se trouver détourné de sa mission principale et se voir incité à (1) prendre des initiatives comportant des risques techniques et/ou commerciaux et/ou (2) moyennant une contrepartie à influencer le processus de décision pour satisfaire des objectifs politiquement motivés. Dans les deux cas les moyens et les ressources de l’entreprise sont augmentés en effectif et/ou en capital et en absence de mise en concurrence de la dite entreprise la spirale de la bureaucratisation se trouve engagée irrémédiablement.

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• l’opacité de gestion qui résulte d’une première étape de bureaucratisation agit en accélérateur de la dite bureaucratisation en rendant possible des mécanismes de fraude et de détournement des flux financiers générés par le production pétrolière. Dans un tel contexte le Fonds de l’Investissement Générationnel se trouve souvent et de fait oblitéré du champ institutionnel.

Il n’en reste pas moins vrai que le risque d’excroissance bureaucratique peut être prévenu avec succès comme le montrent les circonstances qui prévalent en Norvège, en Tunisie et au Ghana. Au Moyen Orient le risque considéré est généralement contrecarré par le recours au partenariat avec des entreprises privées de rayonnement international et souvent d’origine Nord-Américaine.

L’interface entre les industriels et les pouvoirs publics

Les entreprises du secteur pétrolier amont interviennent dans le cadre d’un accord contractuel qui précise les modalités du mode opératoire de production des hydrocarbures, les obligations des industriels dans le cadre considéré et les principes selon lesquels l’investisseur est rémunéré.

Ce dispositif contractuel définit aussi pour une grande part les flux techniques et les flux financiers qui doivent être saisis conjointement par les industriels et les pouvoirs publics dans le but de valider en volume et en capital le résultat de l’activité de production d’hydrocarbures.

Il semble donc fondé de prendre en compte les dispositions contractuelles convenues entre l’Etat du Sénégal et les industriels lors de la définition de l’encadrement administratif destiné à assurer la pleine valorisation de la production d’hydrocarbures à venir. Une telle pratique est observée de manière générale et l’évolution du dispositif contractuel qui associe l’Etat et les industriels demande la mise à jour régulièrement du contexte législatif et réglementaire. Ainsi l’introduction du dispositif dit « contrat de partage de production » – dispositif maintenant prépondérant – a entrainé une révision profonde de la loi pétrolière dans la plupart des pays producteurs.

Emploi du revenu pétrolier

Plus de doute ne persiste quant à l’optimum dans l’emploi des fonds émanant de la production de ressources naturelles tant des études de qualité ont été conduites ces dernières années sur ce sujet par des organisations aussi différentes que la Banque Mondiale et Morgan/Stanley. Les conclusions principales des études dont il est fait ici mention peuvent être résumées dans les termes qui suivent :

• l’économie nationale des pays producteurs d’hydrocarbures ne peut pas « absorber » profitablement un accroissement de moyens et de financement tant que les paramètres critiques – à savoir les compétences disponibles, l’organisation/moyens de l’entreprenariat et la structure de la consommation – n’ont pas évolué sous l’effet des « fondamentaux » du développement économique que sont l’infrastructure, la santé publique et l’éducation.

• un triple emploi du revenu pétrolier tend à se généraliser au moins dans son principe. Il s’agit de l’investissement dans l’infrastructure de mobilité et de communication, du budget de fonctionnement des services de l’Etat notamment en direction des « fondamentaux » et du placement dans un Fonds de l’Investissement Générationnel. Ce Fonds vise à valoriser au niveau international un revenu qui ne peut trouver une utilisation profitable dans l’économie nationale à court terme mais dont la ressource peut être employée profitablement à plus long terme.

• les bénéfices socio-économiques attribuables à la production de ressources naturelles ne deviennent tangibles que lentement et au rythme où les paramètres de l’économie nationale évoluent sous l’effet de l’accroissement des dépenses consacrées à l’infrastructure productive, la santé publique et l’acquisition des connaissances.

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• le cas de « l’émirat producteur de pétrole » – faible population, revenu pétrolier considérable – ne ressortit pas à la problématique décrite ci-dessus. En effet il se produit alors une importation massive de biens et de services de grande qualité au profit d’une population devenue rentière et peu impliquée dans l’économie productive. Dans ce contexte le Fonds de l’Investissement Générationnel devient l’organisation principale de l’économie pétrolière nationale et se constitue fréquemment en institution financière de premier plan.

Les enseignements de l’expérience acquise en matière de gestion du revenu pétrolier- et plus généralement du revenu de la production de ressources naturelles – semblent les mêmes quel que soit le niveau de développement de l’économie concernée. Seules les formes sous lesquelles une « mauvaise gestion » peut se manifester sont alors différentes comme le confirme une comparaison même sommaire entre « l’échec Hollandais » et « l’échec Nigérian ». Le succès reste toutefois possible au prix d’une rigueur budgétaire affirmée et d’un investissement intergénérationnel soutenu à travers un Fonds Souverain dédié à cet effet.

Modélisation sur des pratiques existantes

Le bilan matière prévisionnel de la production d’hydrocarbures au Sénégal et la nature des débouchés probables du pétrole et du gaz produit font que le mode opératoire des industriels impliqués – notamment à l’interface avec les services de l’Etat – s’apparente à celui observé dans d’autres pays producteurs. De ce point de vue les cas du Ghana, de la Tunisie et dans une certaine mesure de la Tanzanie peuvent utilement être analysés. D’autres pays producteurs – Malaisie par exemple – sont susceptibles d’être pris en compte pour mieux pouvoir identifier un dispositif gestionnaire du revenu pétrolier très orienté en faveur de la croissance économique par l’industrialisation et la relance de la production agricole .

Néanmoins pour s’intéresser aux mécanismes institutionnalisés par lesquels le revenu pétrolier est géré aux fins d’optimisation intergénérationnelle il est certainement fondé de s’intéresser aux méthodes et aux procédures mise en œuvre en Norvège.

Remarques en guise de conclusions

Le plan de relance et de développement économiques que constitue l’initiative gouvernementale dite « Projet Sénégal Emergent » définit les priorités en matière de politique énergétique et partant énonce déjà des propositions concernant la destination et l’emploi des hydrocarbures prévus d’être produits au plus tard en 2023. La perspective retenue est celle d’une destination principalement nationale et subsidiairement régionale des hydrocarbures, perspective qui n’est pas porteuse de complexification organisationnelle. A noter dans ce contexte le rôle déterminant que peut jouer le site de raffinage de la « SAR » en se constituant en interface actif entre l’amont et l’aval pétroliers et en devenant ainsi le pôle de valorisation des hydrocarbures produits au Sénégal.

Par ailleurs les principes de la « bonne gouvernance » du revenu pétrolier et/ou gazier sont largement reconnus et validés par les acteurs du secteur et il semble tout à fait possible de s’inspirer des meilleures pratiques en la matière pour concevoir et mettre en place au Sénégal un dispositif d’encadrement administratif efficace et transparent.

Les cas d’échec à valoriser le revenu pétrolier persistent MAIS ils ne relèvent en rien d’une malédiction.

 

Papa Moctar Sarr

Ingénieur Diplômé de l’Ecole Centrale de Paris

Diplômé d’Etudes Approfondies d’Econométrie

et d’Economie mathématique de l’Université

Panthéon Sorbonne

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