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«ignorent-ils Leur Serment, La Loi Ou Les Deux ?»

Le mardi 6 février 2018 aux environs de midi sur le Boulevard de la République, devant un immeuble privé sur le parking, les forces de police ont interpellé plusieurs laveurs de véhicules qui y officiaient et tous ceux qui le faisaient alentours. Motif : l’arrêté du sous-préfet de l’arrondissement de Dakar-Plateau numéro 046/A-DK-PL/SP du 5 février 2018, c’est-à-dire de la veille. Ils ont été appréhendés, brutalisés, conduits au commissariat où ils ont été retenus sans eau ni nourriture, sans communication aucune, sans explication aucune… jusqu’à 22 heures. Dans un pays normal, cela n’arrive pas. Puis, ils ont été relâchés, c’est tout. Non, il leur a été remis à chacun d’entre eux une copie dudit arrêté préfectoral. Qu’on ne me raconte surtout pas que «nul n’est censé ignorer la loi», car pour moi ce n’est qu’une insulte grecque de plus ! Ils ne savent ni lire ni écrire, encore moins une loi écrite la veille.

Nous ne voulons pas être cet «Homme cafre, cet homme indou de Calcutta» dont parlait Aimé Césaire qu’on «pouvait tenir, le rouer de coups sans avoir de comptes à rendre à personne, sans avoir d’excuses à présenter à personne…». Nous ne changerons pas de pays non plus.

Voici ce que dit l’arrêté :

  • Le sous-préfet de l’arrondissement de Dakar-Plateau

    Vu la Constitution ;

    Vu le Code pénal, notamment en ces articles 96 à 100 ;

    Vu la loi 72.02 du 1er février 1972 relative à l’organisation de l’Administration territoriale modifiée ;

    Vu le décret n° 72.636 du 29 mai 1972, relatif aux attributions des chefs de circonscription administrative et des chefs de village, modifié par le décret n° 96-228 du 22 mars 1996 ;

    Vu le décret N°2015-689 du 27 mai 2015, portant nomination du sous-préfet de l’arrondissement de Dakar-Plateau ;

    Arrête

    Article Premier : Il est interdit de laver les véhicules dans toutes les grandes artères de la commune de Dakar-Plateau pour les motifs ci-après :

    Problèmes de sécurité

    Problèmes de salubrité

    Article 2 : Le maire de la commune du Plateau, le commissaire de police du Plateau sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent arrêté.

    Article 3 : Le présent arrêté sera enregistré, notifié et communiqué partout où besoin sera.

    »

J’ai restitué fidèlement ledit arrêté sous-préfectoral non pas pour en discuter la justesse, l’opportunité ou la légalité, mais pour relever deux choses (quoique anodines) et inviter les acteurs à y réfléchir aux fins uniques d’améliorer les relations entre Administration et administrés. Nous y reviendrons.

Au regard de ces faits, je me pose juste un certain nombre de questions dont la première est de savoir si le Peuple, sans s’en apercevoir, était devenu l’ennemi public numéro un de l’Etat au point que celui-ci ne lui doive aucun égard ni respect, au point que ses Forces de l’ordre s’érigent aussi souvent en matraque qu’en bouclier contre lui. S’y ajoutent le mépris et la condescendance de ceux qui sont censés faire respecter les lois et règlements de ce pays. La bonne gouvernance se résumerait-elle donc (me semble-t-il) aux slogans distillés ici ou là dans les rencontres sur la question ? Non, elle est d’abord un état d’esprit ; cela signifie que lorsque quelqu’un est mis dans une position où il est amené chaque jour à prendre des décisions ou donner des instructions qui concernent la communauté, il doit savoir privilégier et cultiver la concertation (c’est une forme de communication), l’accessibilité, le respect des autres et l’humilité. Celui qui nomme cette personne doit s’assurer qu’elle est bien formée pour en mesurer les conséquences lorsque toutes les dispositions auront été prises pour en garantir l’applicabilité légale et matérielle. La personne qui exécute ces décisions ou ces instructions doit également réunir les mêmes conditions et avoir le même comportement ; à savoir en plus des qualités précitées, avoir une connaissance certaine de la loi dans son texte comme dans son esprit. Ensuite, on pourrait ajouter une bonne dose d’humanisme parce que nous sommes des êtres hu­mains avant et après tout et nous habitons la planète terre. Ainsi, je le pense, la communauté à laquelle ces décisions sont opposables serait plus réceptive et respectueuse vis-à-vis de l’autorité publique. Voilà un peu de ces principes qui pourraient servir l’Etat au premier chef et son chef à bien gouverner.

Je me demande aussi pourquoi la communication entre l’Ad­ministration et ses administrés est aussi calamiteuse car, me semble-t-il, il aurait été plus simple et humain (pour ne pas dire intelligent) dans le cas d’espèce de diffuser d’abord l’arrêté du sous-préfet à vil prix d’ailleurs, en lieu et place de la logistique mobilisée (véhicules, carburant, effectifs armés etc.) pour embastiller ces pauvres jeunes gens, les privant de liberté et de gagne-pain et dont la seule faute est de n’être pas allés à l’école pour des raisons que nous connaissons tous, une fois départis de notre hypocrisie. Je veux juste rappeler que le sort qui a conduit certains d’entre nous à l’Ecole nationale d’administration (Ena) pour que, une fois sortis, ils administrent, ils jugent, en a conduit d’autres dans la rue pour qu’ils lavent des véhicules, mendient, se prostituent… Le mérite, on en parle après qu’on a été mis dans les conditions pour saisir ce qu’on appelle «la chance». Mais il demeure que le respect doit être mutuel, en tous les cas.

Je suis, bien sûr et fondamentalement, pour le maintien de l’ordre, de la salubrité, de la sécurité et tout ce qui va avec, mais objectivement, je ne pense pas que laver des véhicules nuit à la sécurité de ce pays. Les laveurs de véhicules qui ont été arrêtés sous mes yeux l’ont été devant un immeuble privé sur un vaste parking tout aussi privé, dont la salubrité et la sécurité sont totalement prises en charge par le syndic de copropriété de l’immeuble. En l’absence de ces conditions, la brutalité ne se justifie pas. Cela me permet de revenir sur les deux choses dont j’ai parlé tantôt, relativement à l’arrêté du sous-préfet, notamment en son article 1er qui ne comporte pas de délai d’application et son article 3 qui pose une contrainte notoire de communication, compte tenu de la date dudit arrêté. Même si l’on voudrait considérer qu’elle serve de date d’effet. Vu sous l’angle de la bonne gouvernance, c’est une catastrophe. Je trouve qu’il y a soit maldonne (force reste au plus fort) soit il y a un monde qui ignore sa propre loi, son serment ou les deux. C’est en cela que c’est regrettable. Je veux suggérer qu’il se pose ici la question de l’exécution des ordres, des instructions à tous les niveaux ; savoir s’il s’agit d’une application conforme à la législation que nous avons votée dont on parle ou d’une brutalité endémique d’automates dénués donc de toute compréhension de la lettre et de l’esprit du texte, y compris de leur fonction à la fois administrative et sociale.

Je termine sur l’expression d’une volonté intrinsèque de faire une contribution positive en appelant les Forces de l’ordre au respect et à la retenue vis-à-vis des citoyens de la République, sans porter un jugement sur le travail qu’elles font. Mais il faudrait bien comprendre et définitivement que la répression aussi est normée et tirer sur le dos n’est pas honorable, surtout pour le roi.

 

Samba DIALLO

BP 17 418 Dakar Liberté

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