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Pratiques Préjudiciables, Droits Et Protection Des Enfants

En attendant que les enquêtes en cours nous édifient davantage sur les vrais mobiles qui sont à la base des douloureux événements survenus ces dernières semaines et dont les enfants ont été les principales victimes, il semble exister une corrélation entre les tentatives d’enlèvement, les enlèvements et les meurtres.

On n’enlève pas pour demander une rançon, pour soustraire la garde de l’enfant à l’un des parents ou pour les besoins d’une quelconque exploitation. On enlève pour tuer. A quelles fins ?

Jusqu’à présent, il n’est pas encore établi que ces meurtres ont un lien avec le trafic d’organes, qu’ils ont été perpétrés pour se venger d’un affront ou d’une humiliation ou qu’il s’agit d’actes isolés commis par des déséquilibrés.

Tout porte à croire qu’il s’agit d’actes délibérés, commis en toute connaissance de cause et avec des objectifs assez précis.

En attendant d’en savoir davantage, les populations semblent percevoir derrière ce phénomène la survivance de pratiques mystiques, liées à la recherche du pouvoir, de la richesse et de la puissance avec les enfants comme victimes principales.

Ces actes semblent relever de la catégorie des pratiques sociales et culturelles néfastes qui affectent négativement les enfants, comme les indexent les instruments relatifs aux droits et à la protection des enfants.

A ce titre et nous référant à l’étude du Bureau régional de l’Unicef pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre sur les «Enfants accusés de sorcellerie, étude anthropologique des pratiques contemporaines relatives aux enfants en Afrique», on note que le Sénégal (tout comme la Côte d’Ivoire) est cité parmi les pays exerçant une forte discrimination et des violences envers les personnes atteintes d’albinisme. On peut toutefois noter que les enfants qui ont été tués ces dernières semaines ne sont pas atteints d’albinisme.

Ces meurtres ne peuvent aussi être rangés dans la catégorie des «crimes d’honneur» décrits par Plan international dans son rapport «Protéger les enfants contre les pratiques néfastes dans les systèmes juridiques pluriels», comme un acte «commis contre des femmes ou des filles par un ou des parents qui croient que la victime a apporté la honte sur la famille», car pour le moment, les enfants victimes de ces agissements ne sont pas encore en âge «d’apporter la honte sur une famille».

Si pour le moment, aucun lien ne semble encore être établi entre ces meurtres et les raisons précitées, que reste-t-il comme mobile sinon la recherche du pouvoir, de la richesse ou de la puissance ?

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Il existe toute une documentation qui atteste en ce qui concerne l’Afrique des liens étroits entre les sacrifices humains et les questions de pouvoir, de richesse et de puissance. Et il arrive que ces sacrifices soient commis en dehors du continent.

L’histoire non encore élucidée du jeune garçon originaire de l’Afrique de l’Ouest et dont le corps a été retrouvé flottant sur la Tamise à Londres le 21 septembre 2001, décapité, mutilé et vidé de son sang, constitue un des exemples les plus probants en matière de crime rituel.

Dans un dossier consacré à «La sorcellerie au cœur du pouvoir : petits secrets de palais» en daté du 10 juillet 2012, le journal Jeune Afrique nous relate pour ce qui concerne le Sénégal, (i) «le cas de Maodo Malick Pouye, un garçon de 6 ans retrouvé sur la corniche ouest, égorgé, le corps lacéré, le visage défiguré», (ii) «la découverte d’un corps amputé de ses membres inférieurs et de sa main gauche et laissé à l’abandon sur une plage de Guédiawaye».

Il semble donc établi que les cas survenus ces derniers temps ne sont pas une nouveauté, mais que le rôle de relais joué par la presse a permis aux populations d’en savoir davantage, de crier leur indignation et leur désarroi et demander ainsi une meilleure protection des enfants.

De telles pratiques sont absolument plus que néfastes et vont même au-delà d’affecter négativement ou d’être préjudiciables aux enfants.

Les instruments relatifs aux droits de l’enfant, notamment la Convention relative aux droits de l’enfant, les ont bien répertoriées et les ont rangées dans la rubrique de la protection spéciale compte tenu de leurs spécificités.

Dès lors, il importe à chaque Etat partie de prendre les mesures nécessaires à l’éradication de telles pratiques incompatibles avec les droits humains.

Il s’agit là d’un des plus grands défis que rencontrent les pays africains dans la mise en œuvre des instruments relatifs aux droits et à la protection des enfants compte tenu de l’ancrage de telles pratiques dans les croyances et le Sénégal n’est pas en reste.

Il faut dire que dans le processus d’élaboration et d’adoption de la Convention sur les droits de l’enfant, la question des réalités socio-culturelles a pendant longtemps polarisé les discussions entre les pays européens et africains. Ces derniers reprochant aux premiers de vouloir «imposer» un document qui allait remettre en cause leurs us et coutumes en ce qui concerne leur perception de l’enfant.

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En portant le projet de résolution qui allait déboucher sur l’adoption du dernier alinéa du préambule de la Convention sur les droits de l’enfant : «Tenant dûment compte de l’importance des traditions et valeurs culturelles de chaque Peuple dans la protection et le développement harmonieux de l’enfant», le Sénégal ne faisait que demander le respect des us et coutumes des pays dans le sillage du principe humanitaire qui recommande le respect des coutumes quand elles ne violent pas les droits humains.

Ainsi, le respect des traditions et valeurs culturelles de chaque Peuple ne saurait encourager l’exercice de pratiques préjudiciables aux enfants.

Compte tenu de la situation qui semble inédite, il est normal qu’un dispositif spécial soit mis en place pour connaître et comprendre davantage les contours de ces événements, mais ceci ne doit en aucune façon nous faire oublier que les droits et la protection sont un processus qui requiert une interaction dynamique dans un cadre multidisciplinaire.

Ainsi, ensemble avec les communautés qui vont élever la voix pour une efficiente prise en compte de leurs préoccupations légitimes, ensemble avec les forces de sécurité qui vont sûrement densifier le maillage sécuritaire du territoire, les acteurs de la protection de l’enfance doivent veiller davantage à ce que les instruments ratifiés ne souffrent d’aucune insuffisance quant à leur mise en œuvre.

Les marches, les protestations, les déclarations n’auront d’impact que lorsqu’elles iront dans le sens d’amener l’Etat à s’engager davantage dans la voie d’une meilleure mise en œuvre des instruments déjà ratifiés.

Et déjà un certain nombre de questions nous viennent à l’esprit

Quelles sont les mesures prises pour mettre en œuvre les observations finales adoptées par le Comité des Nations unies pour les droits de l’enfant lors de sa 2104ème séance tenue le 29 janvier 2016, suite à l’examen des 3ème, 4èmes et 5ème rapports périodiques du Sénégal sur l’état de mise en œuvre de la Convention sur les droits de l’enfant ?

Qu’est-ce qui explique que les recommandations du Comité pour les droits de l’enfant faites en 2006, lors de l’examen du 2ème rapport périodique, n’ont pas été mises en œuvre à telle enseigne que ledit comité en fasse une nouvelle recommandation en 2016 : «Le Comité recommande à l’Etat partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour donner suite à celles de ses recommandations formulées en 2006 dans ses précédentes observations finales qui n’ont pas encore été mises en œuvre ou qui ne l’ont pas été dans toute la mesure voulue, en particulier celles concernant la sensibilisation, la formation et la diffusion.»

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Pour quelles raisons l’Etat a procédé en 2015 à une diminution sensible des ressources allouées au département ministériel en charge des droits et de la protection des enfants telle que relevé dans les observations finales du Comité pour les droits de l’enfant : «Le Comité est toutefois préoccupé par la diminution sensible de l’enveloppe budgétaire attribuée au ministère de la Femme, de la famille et de l’enfance par la loi de finances de 2015.»

La question des ressources à allouer aux questions de l’enfance est primordiale et revêt une importance assez particulière en ce qui concerne la mise en œuvre des instruments de protection de l’enfant. C’est cette importance qui a amené le Comité des Nations unies pour les droits de l’enfant à consacrer sa journée de discussion générale du 21 septembre 2007 au débat sur : «Ressources pour les droits de l’enfant- Responsabilités des Etats».

Il est important donc pour l’Etat qui a la responsabilité de respecter ses engagements de veiller à ce que des ressources suffisantes soient consacrées aux questions relatives à l’enfance et combiner tout ceci avec une volonté politique réelle de mise en œuvre des instruments ratifiés.

A ce niveau, les observations finales du Comité des Nations unies pour les droits de l’enfant semblent assez pertinentes comme cadre de référence pour un état qui veut protéger davantage ses enfants pour un futur meilleur.

Et surtout, ne soyons ni frileux et ni réticents quant aux futures conclusions de la prochaine journée de débat général du Comité des Nations unies pour les droits de l’enfant prévue le 28 septembre 2018, et qui va porter sur : «Protéger et autonomiser les enfants en tant que défenseurs des droits de l’Homme».

Ibrahima DIOUF

Consultant, Droits et Protection des Enfants

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