La contribution de notre compatriote Mme Fatou Sow Sarr relativement à cette problématique de nationalité sénégalaise complète le conseil d’un éminent juriste, professeur titulaire de droit, qui me disait, à juste titre, que les politiques que nous sommes devraient apprendre à régler leurs contradictions par des voies et moyens politiques et non via des arguments pseudo juridiques autrement dit par du juridisme. Ce dernier a raison.
Je souhaite rebondir sur ces deux interpellations pour tirer la sonnette d’alarme : Attention ! Ni la passion, ni le calcul politicien partisan, ni l’animosité, ni même la naïveté ne doivent nous laisser glisser dans un aveuglement d’exclusion à partir duquel l’on tenterait d’ostraciser certains compatriotes qui n’ont choisi ni leurs parents ni leurs lieux de naissance. Les lieux comme les hommes ont une histoire propre. L’histoire de Dakar, Rufisque, Gorée, Saint-Louis et celle de leurs natifs n’est pas tout à fait celle de Fissel, Bakel, Kartiack, Saraya et de leurs populations.
Je pense pouvoir me permettre cette alerte car étant le seul citoyen de ce pays jeté en prison, en raison de son patronyme, par un régime politique décadent qui prétendait que je n’étais pas sénégalais. Un ministre de la Justice irresponsable instrumentalise un parquetier incompétent car ignorant la lettre et surtout l’esprit des dispositions du Code de la Nationalité. Cet individu fait fracasser mes portes, brutaliser mon épouse au sang, pour me traîner, à l’aube, manu militari, devant la Division des investigations criminelles (Dic). Il réquisitionne un juge d’instruction aux ordres pour me jeter en prison au prétexte d’ «enquêter» sur la sincérité de mon acte d’état civil -moi né dans une commune de plein exercice contrairement à eux tous- d’ «enquêter» sur l’existence et le bien-fondé de la nationalité d’un homme qui ne souffre pas d’anonymat, qui a servi le Sénégal dans la haute administration, le Gouvernement, le Parlement, la vie municipale et régionale, le combat politique en faveur de la démocratie et dont la famille (tous sénégalais au premier degré) détient tous les documents officiels sur la nationalité depuis la création de celle-ci en 1961. L’opinion publique réagira à l’unanimité par le rejet et la condamnation de cet acte débile, barbare, indigne, injuste, illégal et antidémocratique mais le mal était déjà fait.
A propos de cette affaire de patronyme, il me revient qu’existerait un acte administratif : circulaire, note de service ou autre entre les mains des commissariats de police, commandant que, dans le cadre de l’instruction des dossiers de demandes de Carte nationale d’identité, il soit exigé la production d’un Certificat de nationalité à tous ceux qui répondraient à des noms du type Mendy ou Gomis , aux noms mancagnes, bassaris, ceux à consonance française, libano-syrienne, lusophone, «niak», etc. Ces patronymes sont considérés comme pas «sénégalais» ; or nom «sénégalais», ça n’existe pas. A tous ceux qui auraient connaissance de ce texte discriminatoire voire raciste, je lance un appel pour que copie me soit fournie afin que j’en demande l’annulation au ministre de l’Intérieur. A défaut de retrait, nous serons dans l’obligation de prendre nos responsabilités car les dérives sournoises de cette injonction sont intolérables. Introduire et laisser prospérer le prétendu «doute» policier ou administratif à partir du nom de famille constitue un délit assimilable à celui de faciès. Ce n’est pas parce que, bien que né au Sénégal, on se nomme Angrand ou d’Erneville, Haddad ou Wazni, Tavarez ou Dasylva, Boughaleb, Quénum ou Koffi, Malomar ou Nawoutane (mancagnes), Bindian ou Thiarthiar (bassaris) Diong ou Ndiolène (sérères), Boussou, Fassa, Goloko ou Yok (haal pulaar) que l’on doit, obligatoirement, prouver sa nationalité sénégalaise. Bien que né au Sénégal, ce n’est pas parce qu’on s’appelle Coulibaly ou Traoré, Touré ou Diallo, Fall, Ndiaye, Thiam ou Diop que l’on est d’office sénégalais. On peut parfaitement être malien, guinéen, mauritanien, ivoirien ou autre gabonais. La loi sénégalaise de la nationalité ne consacre pas, à la naissance, le droit du sol, même pas le double droit du sol s’il n’est pas assorti du droit du sang. Donc le seul acte de naissance ne saurait suffire. Exigence du Certificat de nationalité pour tout le monde sans distinction patronymique ou pour personne. Il appartient à l’administration de trouver les moyens de se prémunir autrement mais pas par la discrimination patronymique.
Si Dieu le Veut, un jour, j’écrirai sur le caractère que l’on exige «exclusif» de la nationalité du candidat à l’élection présidentielle. Pour l’heure je me contente de dire que «Exclusivement» est dangereux. Réfléchissons y bien ! Ça renvoie à des notions de «pureté» du style «ivoirité» alors que le Sénégal, Terre de rencontres, Nation avant l’indépendance, a reçu tout le monde d’où un peuplement mélangé, métissé, intégré -que dis-je- assimilé. C’est aussi de ce pays que de nombreux concitoyens, grands émigrés devant l’Eternel, sont partis vers le monde entier au point que l’un ou l’autre de nos ressortissants a pu se retrouver député au Parlement allemand ou au Parlement européen, Ambassadeur européen, ministre en France comme dans toute l’Afrique francophone et même lusophone, conseiller municipal en Italie, officier ou diplomate américain, etc. Nous sommes fiers d’eux.
Oui pour le débat serein et constructif, en cercles responsables pour commencer, à propos de cet «exclusivement» que l’on voudrait emprisonner dans un nouveau corset temporel. Nul n’exige du candidat à la Présidentielle une déclaration de patrimoine préalable datant de cinq ou même deux ans avant la compétition. Pourquoi l’imposer à la nationalité ? En tout cas, ce n’était pas à l’ordre du jour des discussions récentes sur la révision du Code électoral. On s’est placé hors sujet en tentant d’introduire cette question là-bas. Donc, dialoguons ! Maintenant, si l’on envisage de recourir au forcing à l’Assemblée nationale sans discussion préalable de la classe politique, chacun devra s’attendre à ce que, demain, ce genre de mesure soit étendu à toutes les fonctions politiques et les emplois publics en attendant le tour des emplois privés. Sachons, par exemple, que les cautionnements qui avaient débuté avec la Présidentielle vont être étendus aux Locales. Le scrutin censitaire va devenir la règle dans ce pays. Pas d’argent, pas de candidature.
C’est vrai qu’un président de la République dépourvu de morale, du sens des responsabilités et de la fibre patriotique peut beaucoup dans le bradage des intérêts du Sénégal mais il n’est pas le seul. Sans détenir, nécessairement, une autre nationalité, des opérateurs économiques, de simples fonctionnaires du foncier, des négociateurs officiels ou officieux peuvent tout autant qu’un chef d’Etat dans des actes anti nationaux. Or ils sont millions, les binationaux par droit du sang, du sol, adoption ou naturalisation, acteurs économiques, hauts fonctionnaires, diplomates, artistes, sportifs, universitaires, etc.
Aucune sacralité éternelle n’est conférée à la Loi. Le changement de majorité est un fait politique certain. A défaut, la force, première source de la règle voulue comme étant de droit pourrait faire son œuvre. Gardons à l’esprit les effets de l’ostracisme contre le Dr Alassane D. Ouattara par le biais de l’«ivoirité». Son combat politique et la force armée le placeront au pouvoir. Sa nouvelle Constitution va surmonter ces errements. Les conséquences de l’«Authenticité» de Mobutu furent balayées par la force militaire de Kabila-père. Le 23 Juin 2011, la force populaire aura mis un terme définitif à la tentative de dévolution monarchique du pouvoir au Sénégal et sonné le glas du régime en place. Le désespoir, le profond sentiment d’injustice, l’exigence de démocratie peuvent tout engendrer même au Sénégal, donc attention !…
Jean-Paul Dias