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Des Efi Aux Crfpe, Qu’est-ce Qui A Changé ?

La crise actuelle qui sévit au sein des Crfpe (Centres régionaux de formation des personnels de l’éducation) constitue un prétexte pour réfléchir sur l’organisation de ces structures de formation. Créés en 2011, les Crfpe résultent de la fusion des Efi (Écoles de formation des instituteurs) et des Pôles régionaux de formation.

Implantés dans les capitales régionales, ces centres s’assignent pour mission la formation initiale des enseignants du préscolaire, de l’élémentaire, du moyen, du non formel ainsi que des personnels administratifs de l’éducation (Article 3). En adoptant une vision holistique, le gouvernement du Sénégal inscrit son système de formation des enseignants dans un processus d’unification de la formation des enseignants du cycle fondamental. Qui plus est, la création des Crfpe procède de l’harmonisation de la formation initiale – qui était gérée par les Efi et la Fastef pour le moyen – et celle continue qui était confiée aux pôles régionaux.

Ce modèle, regroupant en un seul lieu la formation des enseignants du préscolaire, de l’élémentaire et du moyen, peut être qualifié de modèle unifié consécutif. L’avènement des Crfpe peut être lu comme l’expression de la volonté des autorités politiques et éducatives d’arrimer le système de formation des enseignants sur la mouvance internationale de la professionnalisation.

Une réforme escamotée

Après quatre ans d’existence, quel bilan peut-on tirer de la réforme des Crfpe ? En dépit de l’attelage institutionnel, la réforme reste encore timide. Quid de l’unification de la formation ! Quid de l’harmonisation entre formation initiale et formation continue ! Rien de tout cela n’a connu une application dans les pratiques de formation. Nous constatons plus de permanence des anciennes pratiques des Efi qu’une véritable rupture dans l’organisation de ces centres.

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Tout porte à croire que la réforme portée par les Crfpe se limite, tout simplement, à une prescription formelle sans une véritable modélisation dans les pratiques de formation. Ainsi, les formés dans ces centres sont essentiellement destinés à l’enseignement préscolaire et à l’élémentaire à l’instar des Efi.

La prescription institutionnelle de former les professeurs du moyen et les personnels administratifs n’a toujours pas connu un début d’application malgré le positionnement de professeurs formateurs disciplinaires au niveau des centres. Ces derniers, en majorité des Pes (Professeurs d’enseignement secondaires) détenteurs d’un Master 1 ou/et 2 dans une spécialité disciplinaire s’adonnent, dans la plupart des cas, aux activités de formation continue épisodique (encadrement, séminaires, cellules d’animation pédagogiques) des professeurs de l’enseignement moyen et secondaire.

Pas de formation professionnalisante sans formation des formateurs

La formation initiale dans les Crfpe ne peut occulter la question de la formation des formateurs. L’absence de statut propre au formateur est consécutive à l’inexistence de formation initiale spécifique pour les formateurs. Ces derniers, au plan formel, relèvent de deux catégories : les inspecteurs de l’éducation – pour le préscolaire et l’élémentaire – et les professeurs d’enseignement secondaire assumant la formation des professeurs d’enseignement moyen. Ces deux catégories de formateurs sont formées à la Fastef (Faculté des sciences et des technologies de l’éducation et de la formation) aux fonctions d’encadreurs, de gestionnaires et de contrôleurs du système éducatif pour les inspecteurs et à la didactique disciplinaire pour les professeurs. Ce faisant, même s’ils sont prédisposés à intervenir dans la formation professionnelle concernant le « cœur du métier », il n’en demeure pas moins que leur formation initiale ne leur prédestinait pas à exercer la fonction de formateur d’enseignants. Ainsi, dans la plupart des cas, les formateurs se mettent plus dans la posture de prêcheurs de théories pédagogiques et didactiques que dans celle de facilitateurs, de chercheurs et d’aides à l’analyse de situations et pratiques professionnelles.

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La réforme de la formation initiale, en s’inscrivant sur la tendance internationale de la professionnalisation, doit être accompagnée d’un cadrage national de la formation des formateurs pour plus d’efficacité et d’efficience.

À l’ère des mutations profondes liées aux nouvelles et nombreuses exigences du métier d’enseignant, les professionnalités des formateurs sont appelées à se transformer en prenant en compte la recherche, l’analyse des situations professionnelles, la réflexion sur les pratiques de formation.

Pour ce faire, il semble nécessaire, en plus de faire intervenir les inspecteurs et les maitres d’application dans les activités relatives au « cœur du métier », de disposer dans les centres des « formateurs-chercheurs » (Altet, 2011) qui aideront à analyser les situations et pratiques professionnelles des élèves-maîtres afin de faciliter l’appropriation du « savoir-analyser » caractérisant l’enseignant professionnel. Cette catégorie de formateurs, issue du monde universitaire, jette un pont entre les Crfpe et l’université.

Dans cette perspective, la formation initiale, tout en réservant une place importante aux inspecteurs et maîtres formateurs, pourra se bonifier de l’apport des enseignants chercheurs dans la formalisation des pratiques de classe et dans la réflexion sur les questions émergentes et les innovations pédagogiques.

À ce titre, l’ouverture d’une Ufr en Sciences de l’éducation, de la formation et du sport à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis peut être un début de collaboration entre les Crfpe et les universités régionales. Puisse cette initiative être suivie par les autres universités afin de promouvoir une mobilisation de l’ensemble des intervenants – enseignants chercheurs, inspecteurs, professeurs, maîtres formateurs, etc. – dans la formation initiale et continue des enseignants du préscolaire, de l’élémentaire, du moyen et des administrateurs scolaires axée sur la logique de la professionnalisation.

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Nonobstant la volonté politique affichée (textes, référentiel de compétences) de réformer le système de formation des enseignants du préscolaire, de l’élémentaire et du moyen, les Crfpe souffrent de leur dysfonctionnement institutionnel.

La réalité de la formation initiale ne présage pas une rupture nette avec celle qui était de mise dans les anciennes structures, à savoir les Efi. Nous pouvons utiliser la métaphore « verser du sang neuf dans de vieilles outres » pour qualifier la réforme des Crfpe. Pour répondre aux attentes institutionnelles, la réforme doit gagner le pari de l’appropriation et de la participation des différents acteurs et ce, en n’épargnant aucun élément du système de formation (structure, contenus, dispositifs, acteurs, etc.).

Ainsi, il convient d’ouvrir ces centres au monde universitaire et de former les différents intervenants à l’analyse de pratiques professionnelles, à la recherche et à la réflexion sur les questions émergentes et les innovations pédagogiques pour une meilleure professionnalisation de la formation initiale.

 

Dr. Mouhamadou Lamine BA

Formateur au CRFPE de Thiès

Courriel : babelnoir@gmail.com

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