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Quand Mody Niang Se Trouve à Court D’arguments

Quand Mody Niang Se Trouve à Court D’arguments

« Monsieur le président de la République, où trouvez-vous la force de regarder encore vos compatriotes les yeux dans les yeux ? » C’est le titre choisi par le très rébarbatif Mody Niang pour sa ritournelle publiée, le vendredi 17 juin 2016.

Très peu convaincu lui-même de la solidité de son argumentaire – le même depuis plus d’une décennie maintenant – M. Niang ne trouva pas mieux que l’injure publique pour se convaincre d’être lu par celles et ceux de ses concitoyens, non moins percutants, mais qui se refusent à tirer sur tout ce qui bouge, respectant ainsi le droit de chacun de s’exprimer librement. Si le contributeur Mody avait choisi un autre titre, le lecteur aurait compris la même chose en lisant la longue redite d’un auteur fâché avec la concision. La chance d’être plus concis que Mody s’amenuise néanmoins pour qui s’évertue d’expliquer la longueur de ses tribunes, la paresse d’enquêter de celui qui les produit et l’imprécision manifeste qui les caractérise dans l’attente de preuves qui n’arrivent pas.

Pour avoir choisi de commenter l’actualité, afin de s’affranchir du « présentisme » (l’instantanéité plutôt que le recul), Mody Niang est forcément long, très long même. C’est que le commentaire a cette faiblesse de faire dire aux faits ce qu’ils ne disent pas. Le commentaire est libre d’une liberté dont abuse le commentateur pour s’assurer d’avoir mieux commenté que mille autres hommes libres se disputant le même rôle, celui de contribuer, avec ou sans talent particulier, à la libre circulation des opinions dans une société politique parfois plus permissive que démocratique. Mais nos vies seraient moins bonnes que ce qu’elles sont aujourd’hui si la libre circulation des opinions n’achoppait pas sur « l’opinion vraie » dont de grands philosophes contemporains, comme le Français Alain Badiou, disent être le « propos central » de la République de Platon. « L’opinion vraie » est celle des hommes et des femmes qui tirent leur compétence d’un long apprentissage de la méthode avec laquelle ils traitent les sujets relevant de leur domaine de prédilection (la philosophie, l’histoire, le droit, la sociologie, l’économie, la science politique, les sciences de l’éducation, etc.). Parce qu’ils disposent d’outils d’analyse appropriés, reconnus par une communauté scientifique parfaitement identifiable ; ces hommes et ces femmes analysent les faits pour ne jamais leur faire dire ce qu’ils ne disent pas. Parce que l’analyse est un effort exceptionnel pour faire dire aux faits ce qu’ils disent réellement, on dit d’elle qu’elle a le même statut que les faits passés au crible.

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Apostrophant son correspondant dans sa lettre ouverte, Mody Niang écrit : « Votre gouvernance – on n’a pas besoin de rentrer dans les détails pour le démontrer – n’est ni transparente, ni sobre, ni vertueuse ». La sentence facile et courte préfigure d’autres commentaires longs dont le citoyen lambda connaît d’avance la teneur. Mody Niang aurait dû s’abstenir de publier son préfabriqué et se contenter des commentaires très peu philosophiques de Cheikh FAYE (La deuxième alternance: entre faillite morale et fautes politiques). Qui plagie qui ? Une autre sentence – celle d’un savant bien de chez nous, Cheikh Anta Diop, – nous intime à ne jamais surseoir à la démonstration dans la préface aux « Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire » (Présence Africaine, 1974) quand arrive le moment de s’adresser au « lecteur lucide ». « On croit pouvoir (…) suppléer à l’absence d’idées, de souffle, de perspectives révolutionnaires par un langage injurieux, extravagant et ténébreux, oubliant que la qualité essentielle du langage authentiquement révolutionnaire est la clarté démonstrative fondée sur l’objectivité des faits, leurs rapports dialectiques, et qui entraîne irrésistiblement la conviction du lecteur lucide », écrit l’auteur de « Civilisation ou barbarie » (1981). Notre tâche devient alors ardue, dès lors que nous faisons le pari de contrarier Mody Niang sans perdre de vue toute la rigueur que le « lecteur lucide » attend de notre propre démonstration.

Mody Niang nous tend lui-même la perche lorsqu’il conclut son long papier – consacré à « l’école sénégalaise d’hier et d’aujourd’hui » – en ces termes : « Elles (les autorités gouvernementales) injectent des sommes de plus en plus importantes dans le secteur (de l’éducation). Malgré tous ces efforts qui sont réels et qu’il faut saluer, l’école sénégalaise publique reste de moins en moins attrayante ». Si l’auteur du commentaire prenait autant de liberté que dans sa dernière lettre ouverte, il s’interrogerait sur les sommes d’argent destinées au secteur de l’éducation. Pourtant, tout porte à croire que l’école sénégalaise, passée, selon M. Niang, de la « grandeur à la décadence », est le tonneau des Danaïdes que notre brillant commentateur cherche ailleurs en ciblant le projet d’autoroute Ila Touba, le Train express régional (Ter), la parachèvement de l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd), etc. Une analyse s’impose donc et nous permet – hypothèse de départ – de créditer le Sénégal d’acquis nouveaux dans le domaine de la gouvernance depuis la prestation de serment de l’actuel locataire du Palais de la République, le 2 avril 2012.

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En matière de gouvernance, les « efforts réels » – nous empruntons l’expression à Mody Niang – d’un gouvernement renvoient aux critères d’« efficacité et de responsabilité gouvernementale » qui signifient qu’un « gouvernement est considéré comme efficace et en mesure de mettre en place son programme » en exécutant son budget annuel. Notre intérêt pour le budget (traçable) de l’Etat s’explique, ici, par l’importance des travaux scientifiques consacrés aux effets de la corruption sur les dépenses publiques. En 2015 – donc sous le président Macky Sall –, le Sénégal occupe, sur les quinze pays que compte la Cedeao, la quatrième place, derrière le Nigéria, le Ghana et la Côte-d’ivoire, dans le « classement des pays d’Afrique de l’Ouest en fonction de leur budget » (volume des recettes budgétaires). Notre pays fait néanmoins preuve de plus d’efficacité et de responsabilité gouvernementale que le Nigéria et la Côte-d’Ivoire dans la manière de disposer de ce que Mody Niang aime qualifier de « maigres ressources ». Ce constat – plutôt encourageant en matière de gouvernance – est celui de « Perspective Monde-Université de Sherbrooke » (Canada). En 2010, deux ans avant l’élection du président Macky Sall, le Sénégal, au creux de la vague en matière d’efficacité et de responsabilité gouvernementale – « Classé 1-10, 10 étant le plus haut niveau » – n’avait pas de leçons de gouvernance à donner à la Gambie, à la Mauritanie et au Mali (voir graphique).

En 2010, le Mali devançait nettement le Sénégal ainsi que nous le montre le graphique obtenu en combinant les données de la source commune (The Economist) utilisée par l’équipe interdisciplinaire de l’Université de Sherbrooke. La situation est nettement meilleure depuis. Mais cela n’empêcha pas chacun des 7 Sénégalais sur 10, régulièrement inscrits dans les listes électorales, d’envoyer le candidat Abdoulaye Wade à sa propre succession au tapis le 25 mars 2012, dans un contexte particulièrement agité. En 2011 déjà, la République du 23 juin sonna le glas du Sopi, au pouvoir. Et les bonnes choses ne s’arrêtèrent pas là. L’« outil pédagogique des grandes tendances mondiales depuis 1945 » de l’Université de Sherbrooke montre également qu’en 2012 la corruption est plus faible ou « qu’elle exerce une limitation moins forte sur la liberté individuelle » au Sénégal qu’au Nigéria et en Côte-d’Ivoire, première économie de la zone Uemoa. Ne disposant pas de données après 2012, un observateur prudent gagerait son préjugé favorable sur le Sénégal en tenant compte des réformes en matière de gouvernance dont Mody Niang conteste péremptoirement les effets positifs sur la disposition des ressources du pays depuis l’arrivée du président Macky Sall au pouvoir.

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Parce qu’il expérimente l’injure publique, Mody Niang n’épargne pas les « informateurs » dont ils dévoilent le sexe. L’ambiguité du substantif « informateur » est gênante pour ceux qui considèrent qu’ils n’ont pas vocation à renseigner la police sur les agissements des malfaiteurs. Mody leur aurait épargné l’embarras en écrivant : « Selon mes sources ». On ne s’improvise pas journaliste. On ne s’improvise pas non plus policier dans une République. L’injure publique extirpe le citoyen de l’espace, qu’est la communication politique, où s’échangent les discours contradictoires entre les acteurs légitimés à parler de politique (les hommes politiques, les journalistes et l’opinion). Dans l’espace démocratique de la communication politique, n’importe lequel de nos concitoyens jouit du même statut que le commentateur Mody Niang qui a une petite idée de ce qu’il considère comme une « petite patrie », celle d’« un peuple prêt à avaler passivement toutes les couleuvres, à encaisser tous les coups (…) ».

Dans un autre commentaire, Mody Niang écrit : « Elle (l’opposition) a plutôt intérêt à fédérer ses forces dans une sorte de front, un Front pour la restauration des valeurs morales et républicaines. Je suis prêt à me joindre à des compatriotes, pour porter sur les fonts baptismaux une telle structure ». Mais de quelle opposition parle Mody Niang ? Et si le « Front » devenait caduc, à l’issue du débat contradictoire auquel nous convions M. Niang, accepterait-il de se joindre à nous pour explorer les voies de l’émergence dans la solidarité qui nous vaut, elle, l’une des politiques de protection sociale les plus volontaristes de l’Afrique de l’Ouest ? Pour le débat, nous recommandons vivement au doyen Niang l’essai « Macky Sall et la société du care : Radioscopie d’une politique sociale » (L’Harmattan, juin 2015).

 

Abdoul Aziz DIOP

Conseiller spécial à la présidence de la République

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