Nous avons remarqué les efforts, ô combien méritoires, que nos dirigeants et médias font pour revaloriser nos langues nationales. Que pouvons-nous dire sinon « Bravo ! » ? Mais est-ce que nos chanteurs en font autant ?
(Quand je parle de langues nationales, je ne peux hélas que m’en limiter au wolof car je ne parle pas les autres.)
On entend souvent nos chanteurs dire : « Woy bi » (Le chanson) ou lieu de « Woy wi » (La chanson), « Jamono bi » au lieu de « Jamono ji », et j’en passe car la liste est tristement longue. Il me faudrait quelques centaines de pages pour citer toutes les fautes de ce genre qui pullulent dans leurs chansons. Et le lecteur trop sensible risquerait une crise cardiaque.
« Bi » est certes un article très usité en wolof mais il n’est pas le seul. Ce n’est pas le cube maggi qu’on met dans toutes les sauces. Mais il semble que nos « ambassadeurs culturels » n’ont jamais entendu les autres. Gi, ji, li, mi, si, wi, ki, ku, wu, am, ag, etc.
Le massacre (le mot est peut-être trop fort ou pas assez) cependant ne se limite pas aux articles ; la grammaire aussi, la conjugaison, la syntaxe et tout le reste en souffrent. Ils sont impitoyables, nos chanteurs, de vrais bourreaux. Mais ils tuent dans les règles de l’art, comme on dit. Qu’a-t-on donc à leur reprocher ? Quand on a une belle voix accompagnée d’un bon mbalax, le peuple est aux anges. Que voulez-vous de plus ? Ces acrobates de la langue nous en font alors voir des vertes et des pas mûres.
On entend par exemple : « Féc bu bees » pour dire « une nouvelle danse ». Mais « Féc » est un verbe. Le nom est « Péc » et il va avec « mu ». « Péc mu bees », voilà du wolof, si j’ose dire.
Avez-vous entendu la fabuleuse tirade de Thione Seck dont voici un extrait : « …Yalla amna benéén yàp budul géj… » ? En Français, ça donnerait : « Dieu a une autre viande qui n’est pas du poisson fumé. » (En wolof, on dit : Wanéén yàp = une autre viande). Je ne savais pas que le poisson fumé était de la viande. Vous non plus, j’imagine. Nos stars sont, à vrai dire, d’excellents éducateurs pour le peuple. Qui en doute encore ?
Youssou Ndour, dans sa chanson « Médina » (première version), nous sort cette phrase, une de ses prodigieuses inventions qui méritent d’être décortiquées : « Da maa xamul ne woon li maam ba fii tey, lu ñu koy teree baña topp bay wutu’w lay ». Traduction : « Je ne savais pas que ce que grand-père a laissé ici aujourd’hui, ce qui nous empêche de refuser de le suivre pour chercher une excuse. » Est-ce que vous vous y retrouvez ? Nos superstars ont décidément le don de secouer nos neurones. C’est sans doute pourquoi nous les adorons tant.
Je peux en citer d’autres. Presque tous nos paroliers de la musique contemporaine martyrisent le wolof. A tel point que ça devient cauchemardesque. Amusez-vous à compter et vous trouverez en moyenne cinq fautes par chanson et là encore je suis indulgent parce que le peuple ne dit rien. Il ne faut pas réveiller un peuple que le mbalax endort. A chacun son opium et on a bien le droit de fermer les yeux.
Par ailleurs on remarque que nos vedettes ont de plus en plus tendance à chanter en anglais et en français. (L’espagnol des Magatte Ndiaye et Laba Socé ne fait plus recette.) Ils en ont tous les droits, n’est-ce pas ? Mais ce qui est extraordinaire, c’est que même ceux qui n’ont jamais été à l’école ne font pas de fautes dans ces langues civilisées. ( C’est seulement la prononciation qui, parfois, laisse à désirer, mais c’est une question d’entraînement et nos lions du mbalax sont très sportifs.) Je me pose quand même une question : comment aurait réagi le peuple sénégalais si par exemple Youssou Ndour avait chanté : « C’est le coupe de la monde… » au lieu de « C’est la coupe du monde…» ? Imaginez le tollé et la honte de l’artiste. Pourtant c’est ce qu’on entend sans cesse en wolof.
Est-ce normal que les politiques et les médias ne réagissent pas ?
Vous souvenez-vous de la fin des années 70, quand Cheikh Anta avait des problèmes avec son « Siggi » et Sembène avec son « Ceddo » ? Tous deux avaient été censurés. A l’un on reprochait d’avoir deux « g » au lieu d’un et à l’autre deux « d » au lieu d’un. Les lois étaient rigoureuses en matière de langues nationales. Les « académiciens » y veillaient.
Je comprends qu’on ne puisse pas obliger nos artistes à s’exprimer de telle ou telle façon, mais alors qu’on ne tombe pas dans l’indécence de les nommer ambassadeurs culturels, chevaliers de l’ordre du lion et que sais-je encore. Qui perd sa langue perd la moitié de sa culture. Ayons donc du respect pour nos langues nationales.
Si j’ai une proposition à faire aux médias, radios et t.v. en l’occurrence, c’est de faire des jeux linguistes. L’autre jour, j’ai entendu un « jeu Colgate » à la radio, on demandait aux auditeurs pendant combien de temps on peut se servir d’une brosse à dents. Très instructif, n’est-ce pas ? On pourrait aussi, dans le même style, mettre une phrase d’une de nos stars et demander aux auditeurs de trouver les fautes. Une émission de ce genre aurait une longévité assurée d’avance car la source est intarissable. Et cela pousserait sans doute nos chanteurs à accorder plus d’importance à nos langues nationales et à revoir leurs textes avant de les balancer au public.
L’adage wolof dit que la parole est comme la balle d’un fusil, une fois elle est sortie, on ne peut plus la rattraper.
Bathie Ngoye Thiam
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