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Senegal OÙ Va Ta DÈmocratie ?

Senegal OÙ Va Ta DÈmocratie ?

Manifestement, «le Sénégal constitue un véritable îlot exceptionnel de stabilité et de progrès qu’il faut préserver à tout prix pour rassurer les rares investisseurs qui manifestent encore quelques intérêts à l’Afrique de l’ouest et qui font que le pays est l’enfant gâté de l’aide extérieure». Cette déclaration de Madame Anne Miroux de la CNUCED est aujourd’hui sérieusement remise en cause. En effet, depuis le 23 juin, notre pays tangue dangereusement : les acteurs politiques fourbissent les armes pour un combat dont les termes guerriers doivent inquiéter plus d’un patriote soucieux de la préservation de la paix. A la une des journaux, les titres sont expressifs d’une guerre civile annoncée : œil pour œil, loi du talion, riposte physique, psychose de chaos, affrontement frontal, mobilisation de milices et de gardes de corps. Les appels à la violence se multiplient sous des formes diverses à peine voilées. Parallèlement, les achats d’armes légères, les agressions verbales et les outrances s’accroissent chaque jour.

En pareil cas, ces éléments et bien d’autres constituent, bel et bien, les signes précurseurs d’un grave danger qui pointe à l’horizon politique. Il se profile une confrontation dont les auteurs ne semblent pas mesurer avec lucidité et responsabilité toutes les conséquences pour un pays dont le principal fonds de commerce est sa démocratie, sa stabilité, sa paix sociale, la qualité de ses ressources humaines et celle de ses valeurs socio-culturelles comme le dissoo (dialogue), le maslaha (consensus) et la paix (jaam). Or, ces facteurs sont sérieusement parasités. Jamais le pays n’a eu autant de frayeur particulièrement face à la soudaineté et à la sévérité des violentes émeutes de l’électricité du 27 juin qui ont introduit une nouvelle configuration des manifestations jadis bruyantes mais pacifiques.

Les diverses mises en scène qui nous sont servies commencent à dépasser les bornes d’une simple théâtralité politique dans laquelle les acteurs jouent à se faire peur. Dans ce contexte, toutes les forces sociales au premier rang desquelles les intellectuels producteurs, régulateurs sociaux et défenseurs des idées comme moteur de l’activité humaine, doivent cesser de garder le silence, au risque de trahir leur mission fondamentale. Ce groupe social qui n’appartient ni à des systèmes clos, ni à des organisations partisanes, dans ces moments de crise et de désarroi, doivent s’investir pour jouer sa partition dans la recherche de la paix sociale.

Quelles sont les vraies questions qui agitent la société politique sénégalaise ? Existe-t-il des solutions pour un retour de la stabilité afin que le pays puisse aller vers des élections libres, transparentes et apaisées en 2012 ?

I/ Aux sources de la crispation : des questions essentielles non débattues ni par les élites, ni par les politiques.

Faut-il le rappeler, dans une démocratie, le débat est à la fois utile et crédibilisant surtout quand il se déroule sans aucune entrave entre des acteurs soucieux de révéler la vérité et de faire partager leurs expériences aux citoyens dans le respect scrupuleux des lois et règlement de la République. Il peut éclairer sur la situation réelle du pays et la manière dont il est géré ainsi que les performances et contreperformances des politiques appliquées. Il est un bon indicateur d’appréciation de la qualité des acteurs du jeu démocratique qui est en fait un jeu transactionnel régi par les règles d’une compétition bornée par les lois et règlements.

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L’absence de débats, de confrontation des idées, de concertation et de recherche de dialogue a totalement cristallisé beaucoup de frustrations qui n’attendaient que la moindre étincelle pour exploser. La 17ème révision constitutionnelle autour du ticket présidentiel, le 23 juin, a introduit, justement cette rupture totale de charge au niveau du jeu politique. Elle a été le déclic d’une mobilisation contestataire qui a surpris par son ampleur, sa profondeur et sa diversité. Sur plusieurs points ce mouvement rappelle celui de mai 68. Pourtant, le 19 mars a été un signe annonciateur qui n’a pas été sérieusement décrypté. On peut dire avec certitude que le séisme du 23 juin est la conséquence d’une trop longue absence de débat large, d’un manque de concertation et des fautes lourdes de communication sur le projet de ticket présidentiel. Tous ces éléments ont structuré avec une rapidité déconcertante une nouvelle conscience citoyenne. La boîte de pandore étant ouverte, le débat sur la candidature du Président Abdoulaye Wade s’est invité au point de créer un effet de fixation qui va obstruer beaucoup de problèmes et lancer la dynamique de la campagne présidentielle. Il me semble que jusqu’aujourd’hui, il manque encore une lecture lucide des événements des 23 et 27 juin (émeutes de l’électricité).

Dans un article que j’avais publié, dans la période préélectorale de 2007, dans le Quotidien Walfadjri, il m’était apparu que « plusieurs raisons de taille militent massivement en faveur de la constitution d’un vaste consensus politique autour des idées Maître Wade». Parmi celles-ci, j’en avais souligné et analysé au moins trois: d’abord la dimension de l’homme politique, ensuite ses ambitions affichées pour un Sénégal nouveau dans une Afrique promise à « un grand destin » et enfin les incertitudes qui calfeutrent et obstruent la lisibilité de l’après Wade». J’avais axé mon argumentaire autour de trois idées clefs : La première raison concerne son âge avancé que l’Opposition caricature comme un handicap. Pour ma part, je pensais alors que cet âge avancé est une grande chance si la classe politique sait en faire un bon usage. Comme étant l’une des dernières grandes figures historiques de l’Afrique de l’Ouest francophone, son ambition ne serait certainement pas de s’incruster au pouvoir. La seconde raison est relative aux ambitions et succès économiques et sociaux remportés par l’alternance. Les travaux herculéens d’envergure attestent une claire volonté de marquer son passage en laissant à la postérité une œuvre indélébile». La troisième raison est que « le Président peut être l’arbitre et le régulateur de la vie politique d’autant plus qu’il a clairement déclaré qu’il ne briguera pas un troisième mandat. Cette déclaration lui confère de facto une excellente posture d’un arbitre au dessus de tout soupçon et capable da faire réaliser au pays une seconde transition démocratique calme et apaisée qui conjure d’avec les éventuels soubresauts de la recomposition de l’espace politique».

Les arguments développés pour la validité de sa candidature, et notamment le troisième, me semblent, aujourd’hui, revenus en surface pour soulever des débats passionnés au double plan juridique et politique.

Après les différentes péripéties, le débat ne se déroule pas encore avec toute la sérénité requise ; bien au contraire, il prend même des relents de guerre civile verbale avec un affermissement des positions. Il faut alors le ramener d’abord au niveau des scientifiques du droit, donc entre constitutionnalistes et cela en dehors des dérapages et des outrances qui sont les fosses dans lesquelles il faut éviter de tomber car cela risque d’ébranler sérieusement les fondements de notre démocratie en tout point exemplaire. Si les divergences persistent, alors Il existe bel et bien en République le pouvoir d’arbitrage des juges qui est, dans le cas d’espèce, le Conseil Constitutionnel dont l’attribution majeure est de lire le droit sur la question. Il doit en être ainsi pour ceux qui acceptent de vivre en République sur le sacro saint principe de la séparation des pouvoirs. Il est évident qu’en parlant de l’institution Conseil Constitutionnel, des précédents dramatiques et de triste mémoire apparaissent : la démission historique non encore élucidée du Juge sénégalais Kéba Mbaye et le syndrome de la proclamation des résultats électoraux par mon ami le Doyen Yao Ndré qui a brûlé la Côte d’Ivoire. Bien entendu, ces deux exemples ont introduit suspicion et scepticisme. Dès lors, que faire pour dissiper ces ruptures de confiance ? Dans pareille contexture, quel que soit le verdict des juges, les risques de troubles graves demeurent énormes. Cette impasse ne peut se résoudre que par le dialogue préalable entre les protagonistes significatifs, sérieux et sincères.

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II/ L’impérative nécessité de retisser la confiance et de bâtir des ponts entre tous les acteurs politiques et la société civile pour sortir de l’impasse.

Dans un ouvrage célèbre Kenneth Arrow définissait la confiance comme une «institution invisible au même titre que les règles de droit ou les principes éthiques». En effet, si chacun voit midi à sa porte, peu de progrès pourront être réalisés dans la gestion d’un bien collectif comme l’élection présidentielle. En bâtissant des ponts entre les acteurs, en retissant les liens de confiance, il est possible de promouvoir des comportements responsables et de conforter un consensus bâti sur l’écoute, l’éthique de responsabilité et le patriotisme.

Le dialogue et la concertation dans des instances appropriées et restreintes et en dehors de toute médiatisation tonitruante peuvent rétablir la confiance en vue de trouver une solution de paix et éviter les confrontations. Puissent nos dirigeants comprendre le message et proposer non la division mais le regroupement de nos forces dans l’intérêt de tous et surtout des plus faibles d’entre nous.

Au sortir des années 60, dans une période de crispation extrême de la vie politique, nous avions imposé un débat sur le « consensus national » et non le «compromis historique». Egalement, quand le paysage politique s’était sérieusement embrassé, en 1983, j’avais proposé au Président Diouf une note sur l’impérative nécessité de la mise en œuvre d’une Majorité Présidentielle : l’idée était trop neuve pour ne pas susciter des attaques spécieuses dans ma formation politique. En effet, Il fallait oser entreprendre le passage d’une démocratie centralisatrice et exclusiviste vers une démocratie participative qui intègre diversités et minorités. Cette proposition devait offrir des garanties pour une cohabitation pacifique entre les partis politiques les plus significatifs.

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Malgré l’âpreté des confrontations intellectuelles, ces idées avaient permis d’apaiser le climat politique et de résoudre quelques équations politiques brûlantes. Nous avion pris de très lourdes tuiles et traité comme un agent d’une prétendue cinquième colonne : qu’importe c’était la contrepartie de notre mission car comme disait un poète grec : «si je ne brûle pas, si tu ne brûles pas, si nous ne brûlons pas, alors d’où viendra la lumière».

En conclusion

Pour une démocratie adulte, l’élection présidentielle est un temps fort qui structure la vie politique pour le quinquennat à venir. Il est tout à fait convenant, voire impératif que tous les citoyens libres qui se sentent la vocation se lancent dans la course sans contrainte majeure, surtout financière. J’ai ma vie durant lutté contre toutes les discriminations par l’argent. Je demeure convaincu que sans les internats de l’époque et la Cité Universitaire confortable des années 60 (que certains dirigeants de l’Union Générale des Etudiants d’Afrique Occidentale (UGEAO) présentaient comme de la corruption), nos pays n’auraient certainement pas capitalisé cette brillante élite qui a bénéficié de ces structures. Toutefois, les acteurs politiques doivent, pour être crédibles, dédramatiser l’élection présidentielle et œuvrer pour qu’elle puisse se dérouler de manière libre, transparente et accessible en respectant scrupuleusement les lois et règlements de la République.

Rien, absolument rien ne peut excuser le manquement de toutes les forces sociales à l’appel au dialogue pour trouver une solution au blocage actuel: leur démission ou leur pessimisme serait en porte à faux avec la nature profonde de la société sénégalaise dont toutes les composantes manifestent à toutes les occasions leur vouloir vivre ensemble et en paix.

Après le relatif échec du fameux M6, composé de six éminentes personnalités indépendantes auto mobilisées, pour promouvoir le dialogue entre pouvoir et opposition, il existe encore des pistes plausibles qui peuvent être exploitées à condition de mettre préalablement hors jeu les thuriféraires et les faucons des deux bords.

La sortie du Ramadan est un moment propice. Du reste, cette opportunité avait été saisie en 2007, par la RADDHO, pour lancer son appel solennel au Président de la République afin qu’il examine avec lucidité la nécessité d’instaurer un Pacte républicain qui contribuerait à la décrispation politique pour aborder dans la paix, la sérénité et la stabilité les redoutables enjeux électoraux. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de gravité et d’urgence, car coincés par des échéances imminentes. Ce même appel, doit être réitéré en direction de l’ensemble de la classe politique sénégalaise afin qu’elle puisse trouver une éthique de responsabilité en vue de préserver le pays de soubresauts qui risquent d’assombrir l’avenir. Le consensus politique national devient un impératif, un passage quasi obligé. Des personnes crédibles, les autorités religieuses, morales, intellectuelles, dont regorge le pays, doivent se pencher sur la situation et entreprendre des initiatives hardies dans la recherche d’un compromis salvateur d’apaisement et de paix. Le vrai danger serait de ne rien essayer. L’avenir de la démocratie est à ce prix ! C’est devenu une obligation car comme disait Martin Luther King, il «Vient un temps où le silence est une trahison». Alors nous seront tous coupables.

 

Professeur Moustapha Kassé

Doyen Honoraire.

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