L’image est un langage populaire que tout individu peut apprécier à son goût. Mais, il serait fort difficile et prétentieux de « parler » d’images sans avoir la légitimité. A raison, permettez-nous ces lignes ci-dessous qui répondrait à la question de savoir : pour qui elle se prend ?
Comme je l’ai déjà dit dans la lettre que j’ai récemment adressée à Monsieur Sidy Lamine NIASSE, en tant que spécialiste de la pédagogie de l’image autrement dit comment utiliser l’image comme outil pédagogique, suite à un master II professionnel de cinéma et audiovisuel, mention Didactiques de l’Image à l’Université Paris 3 Sorbonne nouvelle ; titulaire d’un doctorat qui porte sur la littérature et le cinéma africains ; auteure de travaux théoriques et pratiques sur la littérature, le théâtre et le cinéma africains dont un film pédagogique, en 2008, « Le mutisme parlant de l’enfant dans cinq films de Sembène Ousmane » et ayant eu la chance d’être une disciple de Sembène, nous regardons la télévision en lisant entre les images.
Concurrence ou coïncidence médiatique, les téléspectateurs assistent « en ce moment » à l’envahissement des enfants des deux chaînes de télévision que sont Walf TV et la TFM (Télévision Futurs Médias) par des émissions dont le contenu a apparemment une visée distractive et didactique.
Si c’est un souci qui nous a incitée à adresser « une lettre ouverte à Monsieur Sidy Lamine NIASSE » pour qu’il veuille bien faire revoir le concept de Najemb Gunneyyi, pour SEN P’.TIT GALLE c’est une crainte qui nous pousse à sonner sur l’alarme.
SEN P’.TIT GALLE est une émission « pour enfants » dirigée par NGoné Ndour, produite par Prince Arts, réalisée et diffusée par la TFM (Télévision Futurs Médias).
Le concept est scindé en deux formats : l’un porte les schèmes du théâtre et le second est entièrement musical sur un script de télé-réalité.
Quelle est la réaction que l’on peut avoir devant les images de Sen P’.tit Gallé, selon le statut du téléspectateur et son état d’esprit ? Face à ces images d’enfants, micros à la main, sous les projeteurs, devant un orchestre et un public, chantant la vie et surtout l’amour d’après des textes de chanteurs connus : le frère, la sœur, les parents, téléspectateurs, soucieux d’une éducation à norme sociale peuvent se dire : « écœurant » ;
le frère, la sœur, les parents, téléspectateurs inconscients, pour ne pas dire « simples d’esprit », de l’effet psychologique et comportemental de ce genre d’émission sur l’enfant, pourraient applaudir ;
le pédagogue, qui sue sang et eau pour former un ou une élève ordinaire, sans tambour ni trompette, pour un résultat scolaire extraordinaire, peut se dire : « décourageant ».
Pour la pédagogue des images, que nous sommes, avertie de la portée pédagogique et psychologique de l’Image sur l’enfant, en voyant les images de Sen p’.tit Gallé, nous disons : « Troublant ».
Nous allons décrypter le « dit » et le « vu » de l’émission sous ces deux formats. Le titre de l’émission « votre petite maison » en dit long sur le cadre socialement déplacé dans le contexte sénégalais. Que le titre signifie littéralement « votre maison des petits » ou « votre petite maison », ni l’un ni l’autre ne sied au cadre de vie social référentiel du Sénégal. En outre, la télévision est populaire, c’est un fait social, et si la TFM se dit « Miroir du Sénégal », on ne peut concevoir que sa première émission de « télé-réalité » sur la famille sénégalaise se résume en une petite famille ou un p’.tit gallé ou une « maison » où « des petits » mènent la barque.
Dans Sen p’.tit Gallé à apparence théâtrale qui se passe dans une maison, il apparaît des scènes anti-pédagogiques et socialement, pour ne pas dire sénégalaisement, déplacées : Dans quelle société du Sénégal de référence voit-on des enfants mineurs discuter ouvertement du célibat de leur père ? Une fillette et un garçon qui contribuent toujours aux discussions pour adulte ?
Comment le Sénégalais peut concevoir l’idée d’une fillette sénégalaise selon laquelle : « raconter n’est pas mentir ». Allez-le dire aux Français, ça marcherait !
De surcroit, la fillette traduit en mots la sentence en racontant, sans laisser une virgule, à son père ce que les deux filles adultes ont dit à propos de sa situation de célibat : l’équation est de lui trouver une fiancée.
Comme pour applaudir la fillette, le scénario résout l’équation : le père, après avoir écouté les « racontars » de la fillette, leur annonce une prochaine sortie en famille, à laquelle participe une future fiancée. Comme pour dénoncer son père d’avoir commis d’acte pervers, le garçon décrie le geste du père qui pose la main sur celle de la future fiancée ; de surcroît, le garçon dénonce le père auprès de l’accusé, de sa sœur et de l’autre fille adulte. Il faut vraiment que le scénario ait fabriqué un gamin à l’esprit mal tourné pour que ce geste soit ainsi interprété par le garçon.
Rappelons que, selon le scénario, la mère des enfants « n’est pas là » (elle est peut-être morte dans le scénario) et le père veut épouser « la fiancée » pour combler le vide maternel chez les enfants. La caméra nous montre « la fiancée » en mini-jupe, les jambes nues presque jusqu’aux fesses en compagnie du père ! sans commentaire !
Dans un numéro, on nous sert le prétexte du rêve du garçon sur un fondu enchaîné (en prise de vues filmiques, une image s’efface progressivement pour laisser apparaître une autre ; les deux images se rencontrent par surimpression sur le champ en un laps de temps) pour nous fait étalage de stars connus, de limousine et de « khoumbal », fête à tintamarre qui fait danser endiablés une dizaine d’enfants et les deux filles adultes.
C’est trop superficiel, comme idée et comme technique visuelle, car au cinéma et à la télévision, le rêve est aussi image, et l’on ne peut se servir du rêve pour tout juste montrer ce que l’image-cadre ne peut livrer.
En voyant le cadre de vie, la façon de vivre, le comportement des adultes et des enfants et le fond du scénario de Sen p’.tit gallé, « théâtre », nous sommes tenue de vous poser la question de savoir : quel est ce Sénégal ?
Sen p’.tit Gallé , de même que l’ émission « Relève bi » conçu sous le concept de prime qui réunit des apprentis chanteurs sur un podium n’apprend rien en matière de création de programme « à ceux qui savent »: TOUT est calqué sur « Star academy », une émission de télé-réalité musicale qui passait sur TF1 et était présentée par Nikos Aliagas. Après huit sessions de 2001 à 2008, réunissant, en tout, une centaine d’apprentis chanteurs, dont seuls trois (Jenifer, Nolwenn Leroy et feu Grégory Lemarchal) ont connu un succès consécutif, Star academy finit par lasser le public français qui dénonce les limites de l’émission. TF1 reconnaît qu’elle ne peut plus avancer avec et l’émission mourut le 19 Décembre 2008.
Contrairement à Star academy qui recrutait des adolescents et des adultes, Sen p’tit Gallé s’intéresse aux « petits ». Et c’est là que se trouve le problème ! Des enfants exposés au grand public! L’idée de faire accompagner l’enfant par un chanteur connu peut faire développer chez l’enfant le sentiment de vivre l’adulte et la star. Encore, l’enfant apprenti-chanteur et le téléspectateur-enfant risquent d’être affecté d’homéostasie : en image audiovisuelle, la relation entre les émotions et la réflexion qui, dans ce cas, peut déclencher l’esprit du fan qui copie machinalement les actes, le comportement et le port vestimentaire de la star adulte.
Une telle métamorphose de l’enfant provoque une croissance mentale précoce, laquelle entraîne un risque d’exposition à la pédophilie, à l’alcoolisme et à la drogue.
Nous avons bien remarqué que la direction artistique de l’émission tient à habiller décemment, voire à l’africaine, les enfants. Mais détrompez-vous, l’habillement, si correct soit-il, ne peut compenser les dégâts mentaux et comportementaux que ce genre d’émission peuvent causer à l’enfance. Au cinéma, au théâtre et à la télévision, l’adulte joue un rôle alors que l’enfant vit un rôle qu’il prolonge à petit ou grand format dans la vie réelle. C’est juste la réalité à retenir dans le traitement de l’image chez l’enfant.
L’histoire nous rappelle que nombreux sont les enfants mis sous les projecteurs qui ont une triste histoire. Pour ne pas tous les citer ici, nous retenons la vie bouleversée de presque tous les Jackson five ; le petit chanteur Jordy dont le succès international précoce a divisé sa famille pour un problème d’argent ; l’enfant-acteur Macaulay Culkin, dans « Maman, j’ai raté l’avion », qui a connu le même sort que Jordy, et ont tous les deux eu une ascension fulgurante qui a fini par une chute brutale et prématurée. Psychologiquement, l’enfant-star digère durement les échecs, et cette règle est internationale, car il est mentalement difficile pour l’enfant-star de gérer l’absence d’intérêt médiatique. Pour en être convaincu, allez demander à travers le monde comment finissent les enfants-star qui ont connu une chute ou une absence médiatique (exemple :Anissa Jones dans Chez Oncle Bill, Lindsay et Sidney Greenbush dans La petite maison dans la prairie, Mary-Kate et Ashley Olsen dans La fête à la maison, etc.»).
Monsieur le Président Directeur Général de la TFM, dans Sen p’tit gallé, les enfants sont exposés sous ce que nous appelons les cinq P de la star : paillettes- projecteurs-podium-public-people. Comme vous devez le savoir, ces cinq P sont lourds à porter par un adulte et c’est trop pour un enfant. Les enfants de Sen p’tit gallé portent déjà les empreintes de la star marquée par le passage de l’ordinaire à l’extraordinaire, d’où les tresses en couleurs, les ongles en vernis multicolores, les boucles d’oreilles en couleur démesurées pour un enfant et le bonnet, à la Usher, (star américaine) en version couleur. Si l’influence fonctionne, que les parents et les maîtres d’écoles s’attendent que la mode de Sen p’tit gallé envahisse les écoles ; si l’influence fonctionne que les Sénégalais s’attendent à une invasion de petits chanteurs. Eu égard à la faculté mentale naturelle chez l’enfant à recevoir fortement les influences, nous pensons que la magie de la télé va malheureusement fonctionner sur les enfants.
Le Sénégal compte déjà un nombre important de personnes qui se lancent dans la chanson, au point que, nous pensons, que cela suffit largement; nous pensons qu’il n’y a pas lieu de fabriquer une relève en « relève bi » car la relève est déjà là ; nous pensons qu’il n’est pas pertinent de fabriquer de petits chanteurs : le Sénégal s’appauvrit de plus en plus en ressources économiques et a fort besoin de ses « petits » pour se développer autrement que par la chanson. A ce sujet, souvenez-vous de ces mots de La Fontaine : « La cigale, ayant chanté / Tout l’été, /Se trouva fort dépourvue. (…) Elle alla crier famine/ Chez la fourmi sa voisine… ».
Monsieur le Président Directeur Général de la TFM, pour les raisons que nous avons disséquées ci-dessus, nous vous demandons pour le bien de notre société et sans prétention aucune de faire retirer « Sen p.’tit Gallé », télé-réalité musicale, du programme de la TFM et de faire revoir les scénarii y compris le cadre de « Sen p.tit Gallé » à apparence théâtrale.
Le rapport entre image et enfant comporte une forte dose d’influence. Pour en être convaincu, allez interroger le fin esprit de SEMBENE Ousmane, qui faisait dire à la mère de FAAT Kiné, (film, en 2000), s’adressant à ses petits-enfants : « Vous avez reçu l’éducation de la Télévision. »
Dr Hadja Maïmouna NIANG NDIAYE
Ecrivain-dramaturge
Professeur de Techniques de Communication
à l’Université de Thiès