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Papa, Je Veux Devenir Lutteur Quand Je Serai Grand

Papa, Je Veux Devenir Lutteur Quand Je Serai Grand

« Je dédie cette agrégation à la jeunesse qui ne travaille pas, qui n’étudie plus et qui s’intéresse davantage aux manifestations de foule et, plus particulièrement, à la lutte.»

Ces propos, sortis de la bouche du professeur Oumar Sangaré, le deuxième Africain agrégé de grammaire dans l’histoire après une agrégation en Lettres classiques, valent leur pesant d’or. Ils traduisent l’état d’esprit d’un homme surement déçu et sidéré par l’ampleur de ce qu’il convient d’appeler le nouvel opium du peuple sénégalais.

Cet enseignant émérite n’est pas le seul dans son triste constat, partagé qu’il est par tous ceux qui voient mal le pays – jadis respecté mondialement par le niveau intellectuel de ses honorables fils- se laisser progressivement inoculer le syndrome de la médiocrité, de l’ignorance et du folklore par un pouvoir en place qui n’a d’yeux que pour les dividendes politiques à tirer de toutes les situations .

La lutte sénégalaise a ainsi fini de se hisser au rang peu glorieux de sujet de prédilection des populations. Elle déchaine les passions allant jusqu’au meurtre ou aux crises cardiaques, ravive les connaissances dans ce domaine, et alimente les discussions les plus viles et les plus creuses. Si les pronostics d’avant –combats et les commentaires d’après-combat poussent les uns et les autres à se maintenir dans un niveau de surexcitation extrême, il est à croire que le seul gagnant de ces milliers de rencontres pendant la saison de lutte reste l’État.

Lui qui, tout heureux d’avoir trouvé enfin un artifice permettant de calmer les ardeurs d’une jeunesse au bord de la déprime, ne lésine plus sur les moyens tant médiatiques que financiers pour détourner le peuple sur les véritables préoccupations du moment et les nouveaux défis qui assaillent le monde.

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La télévision nationale, payée par l’argent du pauvre contribuable, ne se gêne pas, à la fin de chaque semaine, de braquer les caméras pendant plus de cinq heures d’horloge sur les corps nus de jeunes combattants qui n’ont que le mérite de leurs muscles entretenus et développés à la faveur des haltères et des stéroïdes anabolisants. Sur les gradins des stades, ministres et hautes autorités de l’état, arborant de larges sourires, manifestent toute leur satisfaction de ne pas rater ces « combats du siècle».

Au même moment, c’est silence radio sur les misères de jeunes et brillants étudiants qui n’attendent que l’occasion propice pour s’envoler vers d’autres cieux occidentaux plus cléments et plus attentifs au mérite du cerveau et des connaissances.

Ce qui est plus déroutant, dépassant toutes les limites de la décence dans un pays où la grande majorité de la population vit dans l’extrême pauvreté, ce sont les sommes faramineuses mises à la disposition des différents protagonistes. La presse nous apprend, par exemple, que c’est la rondelette somme de 270 millions CFA qui est mise sur la table par le promoteur de lutte pour réaliser le combat devant opposer prochainement Yékini à Balla Gaye 2. Scandaleux! Vraiment ahurissant dans un pays où la plupart de ceux qui le font vraiment marcher (fonctionnaires, enseignants, médecins, chercheurs, commerçants, ingénieurs, etc.) auront fini de verser jusqu’à la dernière goutte de sueur de leur vie pour leur patrie sans être propriétaires d’une maison ou dépositaires d’un compte en banque conséquent pour assurer une retraite paisible.

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Cependant, dans l’indécence la plus abjecte, frôlant l’humiliation, ces lutteurs, sortis de nulle part et n’apportant que de l’illusion à la population, exhibent ostentatoirement leurs biens et leurs avoirs faisant de jeunes envieux qui se détournent de l’école et envahissent les plages pour être parmi les nouveaux élus de la nation.

On nous dira que même dans les pays développés, les sportifs professionnels sont payés à coup de millions d’euros ou de dollars. Donc, notre sport national doit être logé à la même enseigne que ces autres sports importés, nous diront les inconditionnels de la lutte.

Certes ce raisonnement comporte une part de vérité. Toutefois, dans ces pays-là, les diplômés sont bien lotis et la population n’est pas miséreuse. Le mérite y est en effet reconnu d’où qu’il vienne. On ne laisse pas en rade tout citoyen capable d’apporter quelque chose au développement du pays. Là-bas, on ne patauge pas dans les eaux nauséabondes occasionnées par les inondations endémiques ; on ne ferme pas les petites entreprises parce que l’électricité est manquante ; on ne meurt pas dans les couloirs des hôpitaux à cause de la grève des médecins. L’État ne se range pas derrière des promoteurs de lutte, qui investissent des milliards aux origines douteuses, pour encourager et légitimer l’abrutissement et la crétinisation des masses.

 

Lamine Niang

Montréal

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