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Réponse à M. Fadel Dia : Oui, Les Minorités Ethniques Sont Bien Solubles Dans Le Sénégal

Réponse à M. Fadel Dia : Oui, Les Minorités Ethniques Sont Bien Solubles Dans Le Sénégal

M. Dia, nous avons bien lu votre texte publié dans la presse et repris par un certain nombre de sites web. Il a attiré notre attention par son caractère polémique et ses proclamations intempestives. Nous n’aurions pas réagi si votre discours n’avait eu une grande audience sur le Web et si dans certaines de ses envolées, nous n’avions décelé des éléments pernicieux pour la coexistence pacifique des groupements ethniques du Sénégal. Il nous a paru important d’apporter un certain nombre de clarifications aux lecteurs.

Comme vous, M. Dia, nous sommes scandalisés d’entendre les accusations personnelles de bas étage que se lancent un certain nombre d’hommes politiques et de personnalités de la société civile touchant parfois au système de castes ou à l’appartenance ethnique. Les périodes de campagne électorale, vous l’avez vous-même dit, ont toujours été dans notre pays des moments de railleries malvenues et même d’outrage. Nous déplorons ces écarts de langage. Nos politiques devraient faire preuve de plus de grandeur.

Comme vous, nous nous désolons que des journalistes en quête de sensationnalisme, ne s’acquittent pas avec professionnalisme de leur travail. Il leur arrive de mal formuler les titres de leurs articles, jetant ainsi l’opprobre sur certaines composantes sociales. Cela doit cesser.

Là s’arrête toutefois nos points de convergence. L’analyse que vous faites de la situation de la langue wolof n’est pas conforme aux faits. Nous ne pouvons vous suivre quand vous vous en prenez à la prédominance de cette langue, quand vous accusez les ministres et même le président de la République de la parler. Vous avez également, M. Dia, une manière sournoise de vouloir associer les autres minorités ethniques à votre « combat personnel », car nous pensons que votre texte, par sa teneur, aurait pu s’intituler : « La minorité pulaar est-elle encore soluble dans le Sénégal? ». En vous rangeant derrière le pluriel commode des minorités, vous cachez mieux votre dessein personnel.

M. Dia, toute votre argumentation est bâtie comme s’il existait une volonté et un projet soutenus d’imposition du wolof sur les autres groupements ethniques. Nous nous permettons, avec tout le respect qui est dû à votre rang, de vous dire que cela n’est pas conforme à la réalité. Le wolof n’est pas imposé et ne doit pas son audience à l’exclusion de toute expression culturelle autre. C’est une langue qui, pour des raisons historiquement établies, a été librement acceptée par la majorité de la population.

Du Baron Roger à Pierre Dumont, pratiquement tous les auteurs, anciens et modernes qui ont étudié le wolof, le considèrent comme la langue de communication par excellence du Sénégal. Ce que, du reste, des enquêtes et études ont prouvé. Maurice Calvet et François Wioland nous apprenaient en 1967 grâce à un questionnaire envoyé à 360 écoles, que 96% des élèves parlaient le wolof. Sur 100 enfants, seuls 3 déclaraient ne pas parler cette langue. On apprenait même qu’à Ziguinchor, la première langue parlée à la maison était le wolof.

Ce questionnaire est également confirmé par le sondage sociolinguistique de Blondé effectué dans le Sine en 1975 qui montre que dans cette zone où les Wolofs ne sont pas majoritaires, leur langue est parlée par quasiment toute la population (Seereer, Hal pulaareen, Jòola, etc.). Toutes les études plus récentes confirment cette tendance.

Vous le savez certainement M. Dia, alors que les Chrétiens sénégalais sont en majorité des non-Wolofs, l’Église catholique fait un large usage du wolof qui est devenue une langue liturgique. Ce n’est pas un hasard si le film « Jésus Christ » a été adapté en wolof.

Cela est tout simplement dû au fait que cette langue a accepté très tôt le métissage. Elle a acquis un caractère utilitaire en se désethnicisant. Le wolof n’est plus uniquement la langue des Wolofs; elle est devenue une « lingua franca », une langue véhiculaire. Des intellectuels renommés de notre pays nous l’ont dit et redit. Lisez l’article « L’avenir de la tradition » de Souleymane Bachir Diagne; parcourez les pages de l’ouvrage, Sénégal, les ethnies et la nation, de Makhtar Diouf; Discutez avec nos linguistes professionnels : Pathé Diagne, Jean-Léopold Diouf, Momar Cissé, Aram Fal, Mamadou Cissé, etc. Tous vous diront la même chose : le wolof n’est pas accepté parce qu’on l’a imposé; il s’est plutôt imposé parce qu’il a été librement accepté.

Les politiciens l’ont su très tôt. On raconte que Blaise Diagne, arrivant le 5 mars 1918 à Ziguinchor pour recruter des soldats, fut accueilli avec une chanson en wolof par les élèves de l’école des sœurs de la ville. Encore aujourd’hui dans cette ville, pratiquement tous les enfants disent préférer parler cette langue (Voir l’ouvrage, Le plurilinguisme au Sénégal de Martine Dreyfus et Caroline Julliard).

Le président Senghor qui apprit le wolof à la Mission catholique de Joal et qui l’a enseigné plus tard en France, en a fait usage toute sa vie, y compris dans les affaires de la République. Il l’a considérait comme une langue simple. Quand il rencontrait l’ancien président de la Gambie, Daouda Kaïraba Diawara (qui est manding), tous deux utilisaient ce médium. L’ex- président gambien avait même dit du wolof qu’il avait réussi par sa fonction unificatrice, à faire de la capitale Banjul, une « de-tribalizing area », c’est-à-dire une zone de désethnicisation. Pourtant, M. Dia, les Wolofs constituent le 3e groupe ethnique de ce pays. Idem dans la capitale mauritanienne, Nouakchott, où le wolof a longtemps joué ce rôle.

C’est donc tout naturellement que la plupart des slogans utilisés aujourd’hui par nos politiciens sont en wolof. Il en est ainsi de And jubbanti Senegaal, And defar Senegaal, Takku defaraat Senegaal, Dekkal yaakaar, Dooleel Senegaal, etc. Nul ne s’offusque qu’un Mamadou Lamine Diallo, pourtant originaire du Fouladou, intitule son mouvement Tekki Taaru Senegaal ou que l’on parle de Bennoo Sigil Senegaal dans une mouvance réunissant entre autres personnes, Abdoulaye Bathily et Amath Dansokho, etc. De la même manière, l’on peut voir sans s’émouvoir, deux politiciens hal pulareen, Djibo Kâ et Cheikh Tidiane Gadio, se disputer la paternité du fameux slogan en wolof, Luy Jot Jotna.

Cher M. Dia, vous avancez qu’Amath Dansokho est victime de railleries pour son accent et rangez cela sur le compte de l’intolérance. Vous semblez oublier que la personne qui a été le plus victime de moqueries pour son accent particulier est le président Senghor. Pourtant, lui, contrairement à vous, savait qu’il fallait mettre cela sur le compte de l’amusement. D’ailleurs, certains de nos humoristes, Mor Bâ en particulier, ont fait de l’imitation du parler du président-poète, leur thème de prédilection. Il n’y a là, cher M. Dia, aucune volonté de nuire, aucune once d’intolérance ou de méchanceté.

Vous vous opposez au fait que l’on puisse enseigner le français par le wolof. Vous ignorez peut-être que dans la première école d’Afrique noire francophone ouverte au Sénégal en 1817, à Saint-Louis précisément, l’instituteur Jean Dard à qui l’on doit une « grammaire wolofe » et un dictionnaire français-wolof, utilisait avec succès la langue wolof pour enseigner le français.

Par ailleurs, pourquoi reprocher au président actuel et à ses ministres de parler le wolof? Comment, M. Dia, n’en serait-il pas ainsi si l’on sait que cette langue est la plus parlée dans le pays? Qui plus est, l’enquête du CLAD de 1975 nous montrait que le français n’est employé que dans des situations bien déterminées et par un groupe restreint de personnes. Beaucoup ne le parlent que par obligation professionnelle. Il n’est pas la langue de la vie intime ou familiale.

Comment, dans ces conditions, en vouloir au président et à ses ministres? Vous osez même brandir la Constitution à l’appui de vos reproches. L’hypocrisie, pensons-nous, M. Dia, ce n’est pas comme vous dites de se taire pendant que les politiques parlent wolof; la véritable hypocrisie, c’est de ne pas voir que cette Constitution, dans le choix de la langue officielle, ne reflète pas la situation linguistique du Sénégal; qu’elle frise l’injustice. Mais nous savons, M. Dia, que vous ne dénoncerez jamais cette glottopolitique actuelle de l’État, car elle ne cadre pas avec votre agenda personnel.

Vous dites même redouter une guerre civile. Vous ne savez peut-être pas que l’existence d’une langue de communication largement utilisée comme le wolof, est un facteur de paix et de stabilité. Si aujourd’hui des pays comme la République centrafricaine, le Botswana et la Tanzanie sont épargnés par les conflits ethniques, c’est parce qu’il y a, entre autres choses, respectivement, le sango, le swana et le kiswahili : des langues de communication à l’échelle nationale. Quand en effet toutes les ethnies se retrouvent dans une langue commune, les crispations identitaires se font moins sentir. Ces langues utilitaires jouent une fonction d’unification. Des experts nous l’ont dit. Ainsi Pierre Fougeyrollas : « La communauté linguistique réalisée ou en voie de réalisation par et dans le wolof, unit les ethnies ». Ainsi Pierre Dumont : « Le Sénégal est linguistiquement dans une situation privilégiée parce qu’échappant à la balkanisation linguistique ».

Quand une langue se désethnicise, se fait synthèse d’apports ethniques divers, elle devient une langue véhiculaire et permet l’intercompréhension entre les divers groupes. Par voie de conséquence, dans une situation multiethnique, cette langue est acceptée par la quasi-totalité de la population.

Pour qu’une langue devienne utilitaire, M. Dia, il faut une évolution particulière dans le temps et des caractéristiques propres. La langue d’une ethnie minoritaire peut l’être, tel est le cas du sango parlé par la majorité des Centrafricains et devenu langue officielle à côté du français. Le wolof, par un de ces secrets de l’évolution, a acquis ce statut. Il s’agit donc de composer avec cette langue et de travailler à en faire le fer de lance de l’unité du pays.

Le linguiste Stéphane Robert disait du wolof qu’il « tend à devenir un terme neutre ». Nous pensons qu’afin de lui enlever toute connotation sectaire et ethnique, il serait bien de l’appeler désormais, « le sénégalais » ; de cette façon il conserverait toute sa dimension nationale conquise à force de tolérance et d’ouverture.

Puis finalement, M. Dia, ce qui lie le wolof aux autres langues est plus fort que ce qui les divise. Le wolof a une parenté proche avec toutes les langues qui le lui rendent bien d’ailleurs; il possède en effet beaucoup de racines communes avec les autres parlers. N’est-ce pas le président Senghor qui disait que le wolof, le seereer et le pulaar descendaient tous du proto-seereer? N’est-ce pas Cheikh Anta Diop qui écrivait que ces langues et bien d’autres avaient une parenté insoupçonnée?

Le wolof est une chance pour le Sénégal. Il est du reste d’une extrême urgence pour nos politiques de travailler à faire de cette langue la langue officielle en lieu et place du français.

Cela ne veut nullement dire que cette langue est supérieure en dignité aux autres langues. Notre poète national Moussa Kâ, d’origine peule lui-même, nous avait déjà prémunis contre cette mauvaise façon de voir les choses, dans un beau poème en wolof, en mentionnant que « Toutes les langues se valent: l’arabe, le wolof et toute autre …Toute langue est belle qui sait exprimer la raison et la dignité en l’homme »

Il s’agit donc simplement d’accepter, M. Dia, que le wolof est la langue véhiculaire des Sénégalais. Il s’agit de se faire à l’idée que la présence d’une langue commune n’est pas synonyme de disharmonie. Bien au contraire.

Di jeggalu bu baax

Fasaale

 

Sidi Diop

Professeur d’anglais

sididiop11@mail.com

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