Le phénomène de voyance commence à devenir une véritable source de troubles à l’ordre public au Sénégal. Les récentes rumeurs de chute d’un avion à l’université de Dakar distillées par certains médias devraient provoquer un véritable débat constructif sur ce syndrome de divination à outrance dont les conséquences sont inquiétantes.
La surmédiatisation de la voyante « Salbé Ndome » est assez troublante en ce sens qu’elle est devenue honteusement la principale source d’information d’une certaine presse. Certains journalistes et animateurs en quête de scoop n’hésitent plus à envahir la demeure de la voyante à la veille d’événements. Les pronostics des techniciens de lutte, les analyses des politologues et le décryptage des spécialistes sont souvent relégués au second plan face aux élucubrations des charlatans dont la « science » et les projections ne sont fondées que sur l’incertitude et la manipulation des « djinns ».
Ce phénomène de voyance a connu ces derniers temps une plus grande ampleur à cause de certaines radios communautaires à Dakar et dans les régions. Des séances de voyance sont organisées en direct 24H/24 à travers les ondes grâce à une meute de sorciers qui défilent à l’antenne pour « prédire l’avenir » aux milliers de Sénégalais qui se bousculent au serveur vocal. Ces radios amassent chaque mois plusieurs millions de francs sur le dos des auditeurs, sous l’œil peu vigilant des autorités religieuses et étatiques.
La traditionnelle cérémonie de divination communément appelée « xoy » organisée dernièrement par l’ONG PROMETRA au centre Malango de Fatick a livré des informations fracassantes sur la situation nationale. Les conclusions de ces séances de divination sont malheureusement consommées par la presse sénégalaise sans le minimum de regard critique.
Le « xoy » de Malango, contrairement à la croyance populaire, est loin d’être une source d’information fiable, il est au contraire un vrai exercice de manipulation et d’intoxication. Selon les comptes rendus de la presse, des « saltigués » ont prédit que l’équipe nationale de football va remporter la coupe d’Afrique des nations prévue en 2013. La presse a encore amplifié ces prédictions sans faire l’état des lieux des conclusions des séances de divination qui avaient été livrées les années précédentes. Et pourtant ces mêmes saltigués de Malango ont dit beaucoup de contre-vérités l’année dernière. Notre seul malheur est de ne pas avoir des journalistes assez vigilants et courageux pour déceler la grande campagne de mensonge planifiée par l’ONG PROMETRA. Cet ONG semble réussir chaque année une belle et fructueuse opération de marketing à travers ses séances de divinations pompeusement couvertes par les médias. Du coup, cette campagne de communication de Malango installe chez beaucoup de Sénégalais le culte du dogmatisme, du fatalisme et de la superstition.
L’année dernière, des saltigués de Malango avaient prédit qu’un militaire prendrait le pouvoir à l’élection présidentielle de 2012. Cette prise du pouvoir, selon un devin, devait être provoquée par des troubles qui pourraient être plus graves que la crise en Côte d’Ivoire.
La forte médiatisation de cette pratique de divination bien connue en milieu sérère, surtout dans le Sine, mérite une attention particulière. Dans la région de Fatick, plusieurs séances de « xoy » sont organisées chaque année mais aucune de ces manifestations n’est médiatisée comme celle du centre Malango. Dans beaucoup de villages du Sine, le « xoy » est organisé sans bruit ni trompette avec la seule présence des initiés.
Des journalistes qui confondent « saltigué » et guérisseur ne prennent jamais la précaution d’enquêter sérieusement sur le phénomène. Le « Saltigué » à qui l’on prête des facultés de prédire l’avenir est différent du « guérisseur » qui est préposé au traitement des maladies. Il est de coutume que les journalistes qui sont embarqués vers le centre Malango retransmettent les déclarations des « saltigués » sans jamais s’interroger sur la véracité de leurs contenus. La presse, dirait-on, est en terrain inconnu, elle est en plein dans une manifestation de science ésotérique. Les propos de ces « saltigués » sont pris comme lettre à la poste sans aucun regard critique.
Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) est malheureusement dans l’expectative face au développement de la publicité mensongère et à cette mascarade, qui mettent notre pays dans la voie opposée à celle de l’émergence et de la modernité. Il est certain que les « saltigués », les charlatans et autres sorciers utilisent les mêmes procédés pour « prédire l’avenir ». Ils communiquent avec des djinns à travers des incantations et des sacrifices pour solliciter de leur part un dévoilement afin de « lire l’avenir ». Les djinns dans leur nature sont des créatures différentes des hommes tant sur le plan physique que sur le plan des facultés psychiques.
Les djinns nous voient et très peu d’êtres humains peuvent les voir, même sous leur forme secondaire. Les djinns n’apparaissent jamais sous leur apparence originale. Ils ont, contrairement aux hommes, un champ visuel très large. Et leur capacité de lire les sentiments des hommes et de les espionner, leur donne une certaine prédisposition à conjecturer non sans mentir sur l’avenir pour tromper l’homme qui est leur rival naturel. Les « saltigués » en réalité ne font que livrer aux hommes les informations soufflées par les djinns.
Les djinns non croyants qui sont les plus grands alliés des charlatans, des « saltigués et des sorciers sont en général de vrais manipulateurs de l’information et de tantinets menteurs dont le seul objectif est de semer le désordre et de propager le mensonge dans la société. Ainsi les résultats d’une séance de divination ne peuvent jamais être considérés comme vrais car étant fondés uniquement sur la conjecture et les informations approximatives transmises par des djinns qui ne peuvent percer que très rarement les mystères de Dieu. Autrement dit, les citoyens ne doivent compter que sur des informations fiables pour fonder une opinion ou agir pour l’avenir. Si notre équipe nationale de football devrait gagner la coupe d’Afrique des nations en 2013, ce ne sont pas les devins qui le diront, mais c’est la volonté de repenser notre football et la détermination de tous les acteurs qui pourront déterminer notre avenir.
Mouhamadou BARRO / lanalyste.com