« Notre thèse est que l’idée d’un marché s’ajustant sur lui-même était purement utopique. Une telle institution ne pouvant exister sans anéantir la substance humaine et naturelle de la société, sans détruire l’homme et sans transformer son milieu en désert »
L’impératif de la concurrence des entreprises a pendant longtemps façonné et orienté les stratégies et les comportements des dirigeants et gouvernants. La recherche de compétitivité dont il est question dans cet article, est devenue alors le maître mot des économistes et gestionnaires. De tous les développements sur cette notion, nous retiendrons celle qui renvoie à une conception économique considérant les organisations comme des entités en concurrence les unes avec les autres. La position concurrentielle de ces organisations repose sur une dotation en facteurs socio-économique qui contribuerait à rendre certains territoires plus attractifs et plus innovants. La compétitivité est ainsi perçue comme la capacité à vendre ses produits face à la concurrence, en les proposant moins cher («compétitivité-prix»), ou en les dotant d’une meilleure qualité et/ou d’une meilleure réputation («compétitivité produit», encore appelée «compétitivité structurelle» ou «compétitivité hors prix»).
C’est dans ce sens que les pays industrialisés ont mis sur pied des politiques visant à mieux valoriser leurs territoires afin d’améliorer la compétitivité de leurs systèmes de production territoriaux, appelés selon les pays clusters, districts industriels ou pôles de compétitivité.
Cette économie territoriale repose sur l’ancrage d’une activité spécifique dans chaque région et sur sa capacité à se spécialiser. Face à l’émergence de nouvelles formes organisationnelles, les chercheurs sont amenés à réfléchir sur de nouveaux concepts afin de qualifier et de déterminer la nature et la forme de cette nouvelle « économie géographique » par différentes approches (relevant de l’économie industrielle, des courants évolutionnistes, néo-institutionnalistes).
Ces systèmes sont souvent définis comme des réseaux d’entreprises actives dans un secteur donné, qui partagent leurs ressources et leurs expériences pour en tirer mutuellement profit ; on met l’accent sur les relations en réseaux en faisant abstraction de la notion d’espace. A ce titre, la maîtrise de l’information et le partage des connaissances apparaissent comme la pièce maîtresse des pôles de compétitivité. Et une caractéristique importante des pôles de compétitivité est la mise en place de structures institutionnelles qui accompagnent les entreprises et interviennent pour en réguler le fonctionnement.
Ainsi, il y a eu un renouvellement des problématiques de recherche prenant pour objet les dynamiques régionales vers le marché mondial. Le questionnement reste centré sur la capacité à s’adapter face aux mutations industrielles et économiques.
Il s’avère dès lors capital que le Sénégal prenne la pleine mesure du phénomène et essaie de ne pas manquer le train du développement en se dotant d’un appareil économique capable de faire face à la poussée des pays industrialisés et des pays émergents.
En effet, ces vingt dernières années ont été marquées par l’abandon des politiques d’inspiration keynésienne et du fordisme dans les anciens pays industrialisés et la domination des approches néolibérales qui ont contribué à l’affaiblissement des modèles de régulation étatiques.
Le Sénégal devra accumuler ses savoir-faire dans différents domaines pour conquérir l’avantage comparatif conceptualisé par David Ricardo. Il est important que ses entreprises travaillent en harmonie avec les universités du territoire national, les laboratoires, les centres de recherche, mais aussi les entités économiques et financières locales et sous régionales (Etat, CDEAO, UA, UEMOA). C’est à ces conditions, et en stimulant l’innovation – source d’avantages concurrentiels, qu’elles feront preuve d’un grand dynamisme face à la menace industrielle des autres pays.
Elles devront mutualiser leurs compétences en travaillant en réseaux comme le préconise l’économiste Granovetter (1985) quand il parlait d’ «embeddedness » (ou d’encastrement local). L’idée consiste à enrichir la notion de libre entreprise qui fonde le libéralisme. En effet, il ne peut y avoir d’économie de marché ou de libre entreprise (au sens classique) dans le contexte actuel de mondialisation puisque des échanges (sociaux ou économiques) perpétuels lient profondément les acteurs d’un même milieu (que ce soit au niveau national ou sous régional).
Il faudra, lever l’ambiguïté qui voudrait qu’avec la modernité, l’économie se soit autonomisée (aucune organisation ne pourra se développer en ignorant l’autre) pour fonctionner sous l’effet autorégulateur du marché et des prix. C’est d’ailleurs le sens premier de la notion d’«embededdness ». C’est la manière dont chaque entreprise tentera de maîtriser son marché en étant rationnelle dans ses échanges et de mutualisation de ses ressources. De ce point de vue, on ne peut séparer l’ordre de la pratique économique d’une idée ou d’un fait du contexte dans lequel il ou elle s’insère, car les actions économiques sont embedded
(encastrées) « au sein de systèmes concrets et continus de relations sociales », de « réseaux permanents de relations personnelles ».
Dans cette acception d’une nouvelle économie, ce qui est central demeure les réseaux de relations sociales qui renvoient au fait que les aboutissements ne « résultent pas seulement des actes individuels et des nécessités des «system level », mais aussi des rapports inter-organisationnels et de la structure des réseaux de relations entre tous les acteurs ».
Cette nouvelle approche montre l’urgence de repenser l’économie sénégalaise dans la mesure où elle réfute l’image d’un marché régulé par le mécanisme autorégulateur des prix que nous imposent nos partenaires institutionnels (ce partenariat doit s’organiser sous le régime d’un partenariat et non de l’assistanat).
Il faudra que l’organisation de l’économie sénégalaise ne soit plus analysée en termes strictement économiques mais en fonction de questionnements plus profonds qui devront inclure la dimension sociale et la formation si l’on veut devenir productif. D’ailleurs, le prix Nobel Paul Krugman disait que seule compte finalement cette productivité, car elle détermine le revenu réel par tête à moyen terme et donc, le niveau de vie d’une économie nationale et sa richesse.
Une nouvelle économie doit, à ce titre, être acceptée et intégrée, et l’on devra apporter une solution au ciment qui va sous-tendre ces échanges : la confiance. Celle-ci est centrale car mettant à l’épreuve les relations d’échanges elles-mêmes et les comportements opportunistes défavorables aux réseaux et aux échanges d’informations au niveau des marchés.
L’idée sera de faire émerger une vision économique et managériale qui intègrerait totalement le rôle des liens sociaux, comme vecteurs de la confiance interpersonnelle et comme gage de réussite de toutes les organisations économico-sociales. Ici il est fortement question de la mutualisation des ressources, dans un environnement de confiance, dans le but d’en faire profiter tout le système économique.
En effet, la littérature académique montre que la compétitivité des entreprises repose notamment sur leur capacité d’encastrement dans les milieux dans lesquels elles s’insèrent. Et la confiance, elle, est tributaire de la proximité géographique, des accords de coopération, de l’essaimage technologique, de la mobilité des salariés et de la mutualisation des compétences.
Il est patent que la compétitivité de l’économie sénégalaise dépendra de la capacité des acteurs à collaborer et à échanger des compétences et des connaissances. Ainsi, les entreprises ne pourront évoluer que si elles sont en contact les unes avec les autres ou en partenariat avec les laboratoires, les centres de recherches et les universités. Les pôles de compétitivité (l’économie du territoire) apparaissent donc comme le salut pour une émergence économique!
Depuis de nombreuses années, la notion de réseaux a fait l’objet de nombreuses études relevant de l’économie de la connaissance, de l’information et des coûts de transaction, de la coopération… Cette dernière constitue l’un des socles des pôles de compétitivité. Fondé sur ce principe, le développement du Sénégal résultera de la nécessité de relever les défis du développement économique territorial. Aujourd’hui, les politiques publiques devront susciter et développer ces nouvelles formes organisationnelles autour des pôles de compétitivité.
D’un modèle fondé sur une division sociale dans la conception des tâches (Adam Smith, 1776) et de leur réalisation, un nouveau modèle est apparu, celui basé sur le partage de compétences, de connaissances et d’information.
Tous ces développements devront permettre de mettre en évidence le rôle fondamental et la nécessité d’une nouvelle modalité de coordination des acteurs économiques sénégalais. L’objectif est de réaliser collectivement ce qu’une entreprise ou un pays, au sens plus large, ne peut faire individuellement.
Les entreprises sénégalaises ne devront ni rester isolées- ce qui les fragiliserait – ni rester trop rigides face aux évolutions du contexte économique mondial.
Aujourd’hui, la compétitivité de l’entreprise dépend, dans une large mesure, des divers aspects de son organisation qui déterminent l’efficacité de l’industrie et d’autres investissements reliés à l’innovation.
L’OCDE (1996) considère enfin que « la compétitivité désigne la capacité d’entreprises, d’industries, de régions, de nations ou d’ensembles supranationaux de générer de façon durable un revenu et un niveau d’emploi relativement élevés, tout en étant et restant exposés à la concurrence internationale ».
C’est fort de tout cela que le Sénégal devra tenter, face aux mutations de l’environnement économique national et international, d’initier une politique industrielle de grande envergure: la promotion des facteurs- clés de compétitivité industrielle. Il s’agira d’identifier les potentialités de chaque région, des besoins en emplois et de confronter ces derniers avec les formations existantes ou à mettre en place.
Et, au regard du caractère multidimensionnel (géographique, économique, sociologique, politique) de ce modèle, il appert aujourd’hui qu’il est opportun, pour le Sénégal, d’aller dans ce sens en envisageant de faire participer les Centres de recherche, les conseils Régionaux et les Universités pour la réussite du modèle.
Une piste de réflexion pour illustrer notre propos, l’Etat pourrait porter un projet qui ferait collaborer les universités de Ziguinchor, Gaston Berger (section sciences économiques spécialisation gestion des entreprises agricoles), de Dakar (les laboratoires), les centres de recherches (ISRA, CIERVAL), les entreprises et les pouvoirs publics autour des thématiques comme la chimie verte (l’agriculture dans toutes ses formes avec la possibilité d’en faire de la matière première pour les industriels). Peut-être une solution au problème énergétique par les énergies renouvelables.
De même, d’autres pistes sont à explorer et cela passera forcément par une meilleure articulation et un renforcement des mécanismes de coordination à l’intérieur des systèmes territoriaux dans le jeu de l’économie. D’une manière générale, la compétitivité des territoires dépend de leur capacité, en tant que systèmes économiques, à gérer leurs relations avec leur environnement et à orienter leur politique de développement économique et d’innovation.
Arame Ndoye GASSAMA
Doctorat es Sciences de Gestion
Spécialisée en pôles de compétitivité et « Knowledge management »
Université Paris La Sorbonne