Au départ, un désespoir ! Un désespoir que nous avons voulu transformer en une action utile. Une rage ! Une rage que nous avons estimée traduire en un cri de ralliement de toute une jeunesse pour se faire entendre. Un engagement ! L’engagement d’être les propres acteurs de notre destin. Un rêve ! Le rêve de bâtir un citoyen modèle capable de porter les changements que nous estimons indispensables pour l’émergence d’un Etat démocratique, d’une nation développée plus juste et plus libre. Nous fondions ainsi dans la nuit du 15 au 16 janvier le mouvement Yen a marre : Pour engager notre génération à se déprendre des idoles politiques à qui nous avons confiées nos destins depuis plus de 50 ans et qui ne nous ont pas sorti du sous-développement.
On ne va pas trop s’épancher sur les causes de ce ras le bol généralisé. Il est juste important de rappeler de quoi on discutait mes amis et moi la nuit de la création du Mouvement Yen a marre. Nous parlions « des nuits passées dans le noir et des journées de travail perdues, des enfants qui rendent l’âme dans les hôpitaux, dans les salles d’opération, des cadavres qui se décomposent dans les morgues à cause des coupures d’électricité ». Nous constations l’échec des politiques agricoles et du monde rural abandonné à lui-même. Des grèves dans les écoles et à l’université. Des scandales financiers avec ces milliards détournés, de la corruption érigée en système de gouvernance. Et nous, on en avait marre de voir toutes ces frustrations accumulées et refoulées à longueur de journée sans rien faire ! « Marre d’être complice de cette passivité lassante sans lever le plus petit doigt. Marre d’avoir épuisé notre capacité d’indignation. Marre d’attendre un hypothétique sauveur pour régler nos problèmes au moment où on ne fait rien pour changer nous-mêmes les choses. Marre d’observer l’autre hypothéquer notre destin ! Marre des promesses trahies ! Des projets dévoyés ! Marre des rêves brisés ! Marre de voir l’alternance trahie, sombrée dans l’abîme de l’indifférence comme s’est noyé le bateau le Joola. »
Ces maux que nous avons tant décriés constituent, en réalité, le quotidien de bons nombres d’africains pour qui l’avenir n’existe plus. On peut retrouver les causes, certes, dans les politiques d’ajustement imposées aux africains ou épiloguer sur la situation du continent qui est paradoxalement le grenier mondial et la poubelle mondiale, mais nous n’avons pas voulu chercher loin. Des responsables, davantage des coupables ! Ils sont parmi nous et proclament partout leur désir de nous sortir de l’auberge au moment où ils pillent nos ressources sans se préoccuper de notre lendemain.
Ce sont en premier lieu, les politiciens et leurs partis politiques. On ne peut pas les mettre tous politiciens dans le même sac, mais force est de reconnaitre que dans nos pays et particulièrement au Sénégal, ils ont fini par démontrer qu’ils ne sont mus que par leurs intérêts du moment. Après 52 ans d’indépendance, ils ont échoué dans les missions qu’ils s’étaient assignés : Le développement et le bien-être des populations. Parce qu’ils n’ont jamais sur embarquer les peuples dans un projet cohérent d’auto-développement. Avec une certaine façon de se comporter dans l’espace public qui est aux antipodes des valeurs, le reniement de soi, le clanisme, la transhumance… ils ont fini par constituer une oligarchie dont les membres sont plus des courtisans et dont la promotion dépend de leur capacité à se mettre à genoux et à se plier à la décision du chef.
Chef de parti, d’un parti Etat. L’Etat de son ethnie ou de ses courtisans qui s’accaparent le bien public au moment où le peuple trinque sa misère avec la complicité de la justice et de la police. Dans cette perspective, le parti politique sert de cadre institutionnel pour perpétuer ce système par l’absence de démocratie, de critique, de voie discordante en son sein. Depuis la crise 1962-63 avec la victoire de Senghor sur Mamadou Dia, l’évolution des partis politiques au Sénégal, que ce soit dans l’opposition comme dans le pouvoir, n’a pas dérogé à cette règle : Il y a un chef et ses lieutenants. L’adhésion à ces formations politiques ne répond pas à des principes idéologiques, éthiques ou moraux, mais à des considérations bassement matérielles et ponctuelles ou à la sympathie qu’on a vis-à-vis du leader. Le résultat est connu. La majorité des populations répugnent la politique. La conséquence est fatale à notre développement : Les citoyens sont exclus de la gestion du bien public. C’est ainsi que l’Afrique est privée du meilleur de ses ressources humaines qui devaient concourir à l’émergence de nos sociétés. On peut citer beaucoup d’exemples, mais retenons juste les cas de Cheikh Anta Diop, Mamadou Dia qui ont payé le prix de leur désaccord avec le régime de Senghor.
En second lieu, il y a les syndicalistes par leur inféodation à ce système des partis politiques et leur silence face aux dérives du régime. Les intellectuels aussi, pour avoir démissionné, pour s’être découragés de porter le débat du développement dans l’espace public et pour avoir abandonné la formation de l’élite de leur pays au profit des écoles étrangères. Et certains marabouts… On peut concevoir le contrat social sénégalais sur une relation triangulaire entre les politiques, les citoyens et les marabouts. Avant l’indépendance, les citoyens pour fuir le colon s’étaient refugiés auprès du marabout qui s’est érigé comme un contre pouvoir pour défendre les intérêts moraux et culturels des populations. Malheureusement, aujourd’hui, les paradigmes semblent être inversés. Le marabout qui étaient censé défendre les populations se retrouvent à valider les forfaitures des politiques. C’est comme si on assistait à une nouvelle alliance entre certains marabouts et le politique où les deux partis s’autorisent tous les excès sur les citoyens qui ne savent plus à quel saint se vouer.
On en était là hélas ! L’élite a déserté ses responsabilités. Le besoin de changement vivement exprimé par le peuple sénégalais en 2000 est dévoyé par l’homme qui l’a incarné pendant 40 ans. 12 ans après qu’il soit arrivé au pouvoir, Abdoulaye Wade n’a fait qu’exacerber ce système usant de l’ignorance du peuple pour lui faire avaler son projet de dévolution monarchique du pouvoir. La coupe était pleine !
Que faire ? Continuer à se morfondre dans l’opium de la fatalité et laisser les politiques pérenniser ce même système ? Ou devrait-on se contenter de dénoncer seulement comme on sait si bien le faire avec les journaux ou la musique ?
Non ! « Il n’y a pas de destin forclos il n’y a que des responsabilités désertées », avons-nous dit pour affirmer que notre situation n’est pas une fatalité, elle est le résultat de notre inertie. Nous avons dit Yen a marre pour susciter un mouvement populaire, déclencher un élan patriotique, une convergence des forces de la jeunesse sénégalaise, une synergie de réflexions et d’actions précises et ciblées, pour amener les autorités à faire des préoccupations du peuple leurs urgences et arrêter d’ériger au rang de priorités des futilités.
Nous avons dit Yen a marre, pas juste pour un mouvement d’humeur comme l’expression peut le laisser croire, mais pour forger un état d’esprit. Celle de la conscience de sa force individuelle, la volonté de la mutualiser avec d’autres et le courage d’en faire une action citoyenne au service de la communauté.
Nous avons dit Yen a marre pour rompre avec les statuts tutélaires, et ne compter que sur nous-mêmes afin d’exiger le respect de notre peuple, de notre existences et nos aspirations légitimes de démocratie et de liberté, seule gage d’un développement.
Nous avons dit Yen a marre pour enterrer les icônes honteuses de l’Afrique, ses soi-disants pères de l’indépendance pour que définitivement renaissent en nous les africains de valeurs, tels que Um Nyobé, Cheikh Anta Diop, Thomas Sankara, Mandela, Patrice Lumumba…
Nous avons dit Yen a marre pour rompre avec ces sénégalaiseries archaïques et démodées tels que le masla complice et le soutoura criminel.
Nous avons dit Yen a marre pour se donner en exemple et susciter l’émergence d’un Nouveau type de sénégalais, d’un Nouveau type d’Africain porteur des valeurs du changement.
Enfin bâtir le Yenamarrisme comme une philosophie d’action fondée sur une citoyenneté active et constructive. Par l’abnégation et la positive attitude, se positionner comme une sentinelle de la démocratie et un acteur de développement.
Bref, il nous faut déconstruire et rompre, avec toutes ces tares qui nous empêchent de décoller. Ressusciter et revaloriser toutes nos valeurs et nos efforts longtemps étouffés et brimés par les forces qui nous prennent en otage depuis des siècles. Nous avons estimé, que, comme nous, il y a des sénégalais qui n’ont pas épuisé leur capacité d’indignation et nous avons fait appel à eux et particulièrement la jeunesse qui constitue plus de 60% de la population pour tenter de bâtir un lendemain non hypothéqué. Cette lutte passe, devait passer nécessairement par la déconstruction du pouvoir d’Abdoulaye Wade.
Nous l’avons attaqué de manière intelligente en commençant par une vaste campagne d’éveil des masses intitulée « les Mille plaintes contre le gouvernement du Sénégal ». Ensuite, nous avons fait du Daas Fanaanal pour inciter les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales. Fanaané Daas a consisté à aller retirer nos cartes d’électeurs. Avec Sama askan sama bakan nous avons réitéré notre attachement à la démocratie et au respect de la constitution et l’empêcher de modifier la loi fondamentale le 23 juin. La Foire aux problèmes pour poser les doléances des populations pendant de la campagne électorale. Faux ! pas Forcé pour ne pas qu’il se présente aux élections.
Il a forcé, il s’est présenté, nous avons sorti nos armes, nos cartes d’électeurs et Doggali au second tour nous l’avons défait ! Je ne veux pas m’attarder sur ce qui est déjà fait. Car ce qui nous reste à déconstruire est largement plus important et plus conséquent. La victoire sur Abdoulaye Wade est un défi relevé, mais ne peut pas être une finalité. Il est parti, mais les raisons d’indignation, pour paraphraser Stephane Hessel sont toujours là. L’enjeu, ce n’était pas seulement de se débarrasser d’un vieux dirigeant avec ses propensions monarchistes, mais de fonder un espoir, de susciter une prise de conscience des jeunes susceptibles de mettre notre pays sur les voies du développement. Abdoulaye Wade est parti, un défi est tombé, il ne faut en aucun cas que l’euphorie de la victoire sclérose notre bel enthousiasme, notre ardente détermination à accompagner le changement dans notre pays.
Comment maintenir cette dynamique ? Comment mettre cet élan au service du développement sans être affriolé par les avantages du nouveau pouvoir, sans être récupéré par le système ? Il est vrai que le contexte de conjoncture politique dans lequel le mouvement est né, notre ferme opposition à la candidature de Wade et la violence répressive qui s’en est suivie ont donné à Yen a marre une image contestataire. D’aucuns cherchent d’ailleurs à lui confiner un simple rôle dans rue, un rôle de râleur, de mécontents qui ne savent que dire non !
Nous avons estimé modestement que Yen a marre doit poursuivre son combat pour l’émergence d’un Nouveau type de Sénégalais. Cette grande bataille commence par une remise en cause de nous-mêmes. Flétrir le Mauvais type de sénégalais qui sommeille en nous pour le fleurir le bon qui est latent et que nos dirigeants n’ont jamais su réveiller. Notre conviction, c’est que souvent, les africains ont été dirigé sur la base de leur vice et non sur leur valeur. Jamais le bilan de la colonisation n’a été fait pour déterminer quel type de société sur la base de quelles valeurs nos nations devraient être bâties. A défaut de cette introspection, nos dirigeants se sont évertués à encourager des pratiques peu orthodoxes pour asseoir leur pouvoir souvent totalitaire. Et tous ces impérialistes qui se sont accaparés et violé le continent, des arabes aux colons comme aujourd’hui les islamistes dans le nord du Mali. Ils aiment l’Afrique sans les africains. Pour arriver à leur fin, ils font croire que l’Africain n’était pas apte pour s’émanciper e et se développement. Ce n’est pas vrai ! Il n’y a pas de peuple ni de race qui a le monopole de l’interprétation des textes religieux, ou le chemin du développement pour prétendre l’imposer à d’autres. « Ils ne sont debout que parce que nous sommes à genoux. » Il est temps qu’on fasse l’effort de se lever. Il faut juste oser commencer ! Il faut juste travailler ! Il faut juste que la jeunesse croit en elle-même ! C’est pourquoi Yen a marre a développé ses chantiers à partir de quatre axes pour engager sa génération sur les chemins d’un lendemain meilleur.
1- Action citoyenne : Ce chantier comporte deux sous chantiers :
Formation citoyenne qui enveloppe un volet formation à l’école avec la mise sur pied des Clubs Nts (citoyen) à l’école et de vastes programmes de communications pour le changement social destiné aux masses.
Observatoire de la démocratie et des droits humains qui consiste à mettre sur pied un vaste réseau de surveillance et de contrôle citoyen avec à la clef un site de monitoring des promesses tenues. Ce chantier constitue la sentinelle.
2- Leadership et entreprenariat. Il s’agit ici d’encourager et d’accompagner les jeunes dans la création de petites entreprises à partir des ressources de leur terroir. Ce chantier crée des Noyaux d’initiative dans les quartiers où les jeunes sont mutualisés en fonction de leur formation pour le développement personnel et la création de richesse.
3- Environnement pour embarquer les jeunes dans la lutte contre les grands problèmes environnementaux qui touchent le Sénégal tels que les sachets en plastique, l’érosion côtière, la désertification…
4- Sport et cultures urbaines. Dans ce chantier, nous allions des projets culturels et sportifs pour répondre à des besoins de communication et permettre aux acteurs de ce secteur de vivre de leur art.
Ces chantiers présentés ici sommairement, nous comptons les réussir en comptant d’abord sur nos propres ressources, nos efforts, notre détermination, notre ras le bol et notre envie de s’en sortir. Ensuite, avec nos maigres cotisations et notre génie, les faire fructifier. Enfin, nous nous ouvrons à tous ceux qui croient que notre rêve est possible…
Il n’y a pas de destin forclos, il n’y a que des responsabilités désertées.
Fadel BARRO
Coordonnateur du Mouvement Yen à marre